Comment gère-t-on le fait d’avoir son père comme entraîneur ?
Bernard Genghini : C’est très difficile. J’en avais parlé avec Claude Puel il y a quelque temps. Ce n’est pas évident à gérer à plusieurs niveaux. Le choix est jugé différemment de l’extérieur ou même de l’intérieur. Déjà, les gens se disent qu’il joue au détriment d’un autre, même si le garçon a des qualités. Il y a aussi la pression interne, la jalousie même de l’effectif, d’un concurrent direct au poste par exemple. Après, il faut aussi savoir faire un choix. Puel, il a un effectif devant lui, et je peux vous dire qu’il ne fait pas de cadeaux à son fils. S’il a estimé qu’il pouvait jouer, c’est qu’il le méritait. À lui ensuite de faire étalage de ses qualités. Mais pour moi, sur le court terme, c’est une situation vivable, alors que sur le long terme, c’est beaucoup plus compliqué. Il faut faire sa route.Benjamin Genghini : C’était un peu bizarre, parce que c’était aussi mon agent. Quand j’ai commencé en Ligue 1, mon père était directeur sportif à Sochaux, et l’entraîneur, c’était Bijotat. C’était compliqué pour lui d’aller voir le coach. Je pense qu’il me fallait quelqu’un d’autre, d’extérieur. Après, quand je descendais en CFA où il entraînait, il n’y avait pas de problème. Les autres me connaissaient, j’étais là depuis longtemps. Je jouais même en CFA avant qu’il n’arrive, donc cela se passait bien.
Est-ce que la voie pour les « fils de » est plus semée d’embûches ?
Bernard Genghini : Il y a évidemment beaucoup d’attente avec ces joueurs-là. C’est vraiment énorme pour eux. La comparaison est inévitable, surtout s’il joue au même poste que son père. Le fils de Giresse fait une bonne carrière, il a connu la Ligue 1, est reconnu en Ligue 2. C’est pas comme son père, mais quand même. Mais souvent, ceux qui réussissent jouent ailleurs sur le terrain. Regardez : Youri Djorkaeff était un grand attaquant, et son père un défenseur d’un bon niveau. Ou chez nous (à Sochaux, ndlr), on a le fils de Thuram, et il joue attaquant. Cela dépend aussi beaucoup de la carrière du père. Après, si vous jouez au même poste que votre père, qui a été un grand joueur et qu’il est l’entraîneur de l’équipe, c’est mission impossible. Le fils Cruijff par exemple. Son père était l’un des tout meilleurs joueurs du monde, et il lance Jordi au Barça. La marche était trop élevée. La pression est terrible pour le fils, qui doit être très fort mentalement. Je dirais qu’à talent égal, c’est plus dur pour eux.
Benjamin Genghini : Je pense aussi que c’est plus dur. J’étais dans le même club que lui. J’ai fait un essai à Sochaux et j’ai signé. Pour moi, c’était plus simple d’un point de vue logistique. Je n’habitais pas loin, mon père était là. Mais au début, c’était un peu difficile. Quand je suis arrivé, j’en ai eu qui m’ont dit que j’étais là à cause de mon père. Alors que j’avais Strasbourg, Nancy… Après, ça allait mieux, les gens ont bien vu pourquoi j’étais là. Mais si c’était à refaire, je ne le referais pas.
Comment cela s’est-il passé pour vous ?
Bernard Genghini : Mon fils avait un peu moins de 20 ans. Il entre pour la première fois contre Rennes, à Bonal, à cinq minutes de la fin du match. Il y a 0-0. Deux minutes plus tard, il marque, et on gagne. Le match d’après, il est resté remplaçant. Bizarre. Il n’a rejoué qu’au suivant, contre Troyes. On était mené 2-0 à vingt minutes. Et c’est tout. Il n’a plus jamais eu sa chance. Normalement, quand le jeune marque pour sa première, on veut le revoir un peu. On lui fait jouer des bouts de match, et s’il est vraiment bon, il s’impose comme titulaire ou candidat. Il n’a plus jamais mis les pieds à Bonal. Je ne dis pas que mon fils était le plus fort du monde, mais je ne pense pas qu’il méritait ce traitement. Son cas était un peu particulier. Je voulais demander des explications à l’entraîneur, mais je ne l’ai pas fait. J’ai plus pensé au fonctionnement du club. J’aurais peut-être dû. Aujourd’hui, je regrette de ne pas être plus monté au créneau. Parfois, il y a des moments clefs dans une carrière. On pensait que cela allait être une sorte de déclic. Sauf qu’il n’a presque plus rien eu derrière. Une carrière, ça tient à peu de choses. Benjamin Genghini : Ouais, je marque donc pour mon premier match et après, pendant quatre-cinq semaines, je suis sur le banc. Et puis Troyes, une entrée à vingt minutes de la fin. Quand j’ai marqué, je me suis dit : « c’est bon, ça démarre. » Mais j’ai jamais eu cette chance-là. Marquer pour son premier match et ne jamais avoir sa chance, je ne sais pas si c’est arrivé à quelqu’un d’autre dans le monde. Je l’ai assez mal vécu, et j’ai jamais compris d’ailleurs. Mon père n’y pouvait pas grand-chose, alors que peut-être que quelqu’un d’extérieur aurait pu lui rentrer dedans, à Bijotat.
Est-ce qu’après les matchs, vous en parliez ?
Bernard Genghini : Je lui donnais mon sentiment. Ce qui était bien, ce qu’il fallait améliorer, ce qui n’allait pas. Comme d’autres papas aussi d’ailleurs. L’important, c’est d’avoir un avis objectif. Parfois, on est plus dur quand on a été ancien joueur. Surtout quand on est dans le même club. Moi, j’étais revenu à Sochaux, alors je l’ai ramené avec moi quand il a eu l’âge. Mais vous savez, il y avait deux-trois clubs de l’Est qui le voulait aussi. Avec le recul, je le mettrais dans un autre club, avec un autre environnement.Benjamin Genghini : Il venait beaucoup me voir après les matchs. Il me donnait quelques conseils importants, mais jamais de grands discours. Il a été dur parfois parce qu’il était sur place, parce qu’on était dans le même club. Bon, quand c’est quelqu’un comme mon père, qui a eu la carrière qu’il a eu, on écoute. Il avait souvent raison, mais pas tout le temps non plus. Parfois, j’aurais pu faire des choix, me tromper ou pas d’ailleurs, mais c’est souvent lui qui décidait à ma place. Sochaux, c’était bien, c’était ma décision aussi, mais peut-être qu’à Strasbourg les choses auraient été différentes.
Qu’est-ce qu’on ressent au moment du premier but ?
Bernard Genghini : Cela reste un grand moment de ma vie. C’était en championnat contre Rennes, en novembre ou décembre. On le voit s’échauffer pour la première fois. On a un peu peur qu’il ne soit pas à la hauteur. On est nerveux, sur le qui-vive. Et puis, sur le troisième ou quatrième ballon, il marque. On se dit : « C’est pas possible. » C’est une émotion très forte, qu’on n’oubliera jamais. On se dit aussi que c’est parti pour lui, même si ce n’est jamais vraiment parti en fin de compte. On a eu ces grands moments comme joueur ; mais là c’est plus beau. On a vieilli, on a pris de l’âge, on est passé par là. On a envie comme tous les papas, comme toutes les mamans, qu’il soit heureux. C’est plus fort que quand on marque un but soi-même.
Benjamin Genghini : Quand je l’ai vu rentrer, j’étais déphasé. Heureux, complètement heureux. C’était vraiment mon rêve qui se réalisait. Toute la famille était en tribunes en plus. Je pense que si j’ai un jour un fils qui marque en Ligue 1, je pense que je serai super content. C’est vraiment très beau.
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