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Puel, l’hymne à la liberté
C'est devenu un porteur d'espoir. Arrivé à Nice en 2012, Claude Puel récolte définitivement cette saison les fruits d'un travail de l'ombre, entamé en profondeur et passé depuis de longues années devant un tableau noir. Le pari de la jeunesse, du sourire, du jeu et de l'avenir dans un monde qui manquait de lumière.
Johan Cruyff est mort. Il était le plus grand. Rien ni personne n’aura laissé autant de traces dans le monde du sport après son passage sur terre. Joueur, Cruyff était déjà entraîneur. C’était une machine, un inventeur. Celui qui a démocratisé la feinte de corps, le football collectif, la tête relevée. Il avait, aussi, ce côté matheux et poète. Une espèce de condensé de règles géométriques appliquées au football. Son Barça était l’un des plus beaux. Il était peut-être même le plus inventif, car il était précurseur. C’était les années 90 et son ère du tout physique. Aujourd’hui, nous sommes en 2016. Il faut être franc : à certaines exceptions près, la créativité est morte. La Ligue 1 et ses stéréotypes en sont le plus bel exemple. Le championnat de France refuse la possession, c’est comme ça. Il peut y avoir du plaisir, mais le jeu est rare. Claude Puel l’a bien compris. Alors il a décidé de jouer pour exister, par ces mots : « On a la volonté d’avoir des techniciens, avec une intelligence de jeu, il faut essayer d’avoir des profils sachant réciter la même partition.(…)On n’a pas de moyens, alors on s’efforce de rassembler des joueurs dont le profil correspond au jeu pratiqué par l’équipe. » Le travail a été long. Puel est arrivé à Nice lors de l’été 2012 avec ses idées, sa philosophie. C’est un homme de projet, il veut du temps et il en a besoin. Maintenant, ça y est : la Ligue 1 a son bain de fraîcheur. Nice, lui, a posé ses rondeurs au sommet.
Les gamins et le ticket
Le Nice de Puel est un Jägerbomb. Une espèce de mélange qui te pète le crâne avec le sourire, de l’énergie et de la surprise. Un mix entre des joueurs techniques, formés à la maison, et des recrues utiles à moindre frais avec, au sommet, un magicien revanchard. C’est la première victoire de Puel : avoir fait d’Hatem Ben Arfa un joueur de foot complet. Le coach niçois parle d’un « ticket gagnant-gagnant » où le talent de l’ancien Lyonnais ne doit pas être indispensable, mais une valeur ajoutée. Ben Arfa est devenu ce qu’il n’avait jamais été auparavant. Un meneur de jeu sans ballon, croqueur d’espaces, au volume décuplé et qui peut, encore, faire basculer une rencontre sur une accélération, un dribble, une passe éclair. Sous la coupe de Claude Puel, Ben Arfa s’est transformé en un joueur, là où on l’avait laissé soliste. Derrière lui, des gamins : Mendy, Seri, Koziello, Rémi Walter. Cruyff aurait aimé voir ce Nice bouffer la largeur d’un terrain à la force des poumons, à l’impact de ses pressings. Un jeu « à risques » qui a coûté des points au groupe niçois. Mais Johan Cruyff ne disait-il pas que le football est « un jeu d’erreurs où celui qui commet le moins d’erreurs gagne la partie » ? Puel a axé sa vision sur la notion de plaisir, il se permet de perdre des paris contre Bastia (0-2), à Monaco (0-1) ou surtout à Caen (0-2). Mais son football est riant. N’est-ce pas ce qu’on lui demande ?
Les pions et les préceptes
La force de Puel est dans l’adaptation. Du côté de Lille, dans la première décennie des années 2000, l’étiquette de coach défensif était scotché à son front. « On avait l’image d’un club qui était difficile à jouer de par notre organisation défensive, pose l’ancien latéral gauche lillois Grégory Tafforeau, qui a embrassé toute la période nordiste de Claude Puel. C’était un défenseur sur la réserve offensivement. C’était notre force, et son exigence était encore plus importante avec nos attaquants qui avaient un profil très recherché. Savoir comment défendaient nos attaquants était le plus important. Je me rappelle un joueur comme Odemwingie qui était parfaitement dans le registre voulu où la transition défense-attaque devait être très rapide. » Le recul nécessaire prouve que Claude Puel a fait à Lille avec ses armes et ses moyens. Le titre de champion 2011 est aussi le sien. Les victoires historiques du club en Europe ont aussi laissé des traces. C’était un projet global autour d’un meneur d’hommes, réputé froid et distant avec ses joueurs, qui passait l’ensemble de ses journées à travailler, analyser, et ce, « dès le coup de sifflet final de la rencontre » , détaille Tafforeau. La passion du tableau noir, des pions à bouger et des flèches dessinées au feutre épais.
La gifle de la liberté
Cette notion de projet global est l’explication majeure du projet niçois. Puel a répété à Nice ce qu’il avait également mis en place à Lille. On parle alors de système-club où l’entraîneur de l’équipe première n’hésite pas à piocher dans les équipes de jeunes. Tafforeau : « À Lille déjà, dès qu’il le pouvait, il allait voir l’équipe réserve et les catégories inférieures. L’idée était de mettre en place un jeu commun à toutes les équipes du club. Avec lui, ça marche au mérite. Le travail est sa seule raison. Pour être récompensé, il faut bosser, que ce soit pour les jeunes ou les anciens. » On en revient à la réputation de l’ancien joueur de l’AS Monaco. Celle d’un homme carré, qui prend souvent part aux entraînements de son groupe, mais qui laisse une barrière avec ses joueurs. Il s’explique : « Ça a son intérêt, de prendre part à ces mises en place. De l’intérieur, on ressent mieux le joueur : sent-il le jeu ou non ? Est-ce qu’il comprend ? Dans l’action, on perçoit mieux ces choses-là. » Alors, le professeur devient un membre entier du tout qu’est devenu le Nice version Puel. Il ne faut pas se dire de conneries : ce groupe nous met tous une gifle malgré ses fragilités dans un idéal où la technique et la tactique ont pris le dessus sur l’aspect physique omniprésent dans le championnat de France. La folie, en plus, comme Ben Arfa qui affirme « vouloir tenter sa spéciale Cruyff » au Parc, samedi. Un dernier hommage à la liberté.
Par Maxime Brigand
Propos de Claude Puel tirés du SO FOOT numéro 135, actuellement en kiosques.