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Dilane Bakwa, coups de folie
Personnalité attachante, Dilane Bakwa met aujourd’hui sa folie au service de son football et de Strasbourg. Après avoir tant appris, notamment d’un épisode dramatique qui aurait pu lui coûter la vie. Mais qui a tout changé.
À quoi ça tient, une carrière ? Peut-être à une séance de sauna. Saison 2022-2023. En Ligue 2, mais pas encore au fond du gouffre comme actuellement, les Girondins de Bordeaux tentent de garder le cap. En début d’exercice, avec plus un rond ou presque en banque, les Girondins donnent pleine confiance à leurs jeunes. Parmi eux, Dilane Bakwa, à peine 20 ans. Après 93 minutes cumulées en 13 entrées en Ligue 1 entre 2020 et 2022, le voilà enfin avec du temps de jeu sur la durée. Et des performances (5 buts et 8 passes décisives), mais aussi les premiers moments de doutes. Vital Nsimba, son coéquipier, se transforme en psy : « Quand il était dans le dur, je le prenais à part, dans le sauna, et on discutait, révèle le latéral qui évolue aujourd’hui en Israël, au Maccabi Haïfa. On parlait de ce qu’il pouvait faire, de son potentiel. On a fait trois ou quatre saunas et, à chaque fois, il a été décisif le match d’après. Ça lui a pas mal servi… mais ce n’est pas ça qui fait qu’il en est là maintenant ! »
🥇 #JoueurdelaSaison I 𝐃𝐢𝐥𝐚𝐧𝐞, 𝐧𝐮𝐦𝐞́𝐫𝐨 𝟏 !
🏆 Dilane Bakwa est votre joueur de la saison 23/24 avec @CA_AlsaceVosges !
🎁 9 passes ⚽️ 5 buts pic.twitter.com/jUmbQVfTBR
— Racing Club de Strasbourg Alsace (@RCSA) June 13, 2024
PSP, Robinho et triplé au Vélodrome
Affronter le PSG comme samedi soir au Parc des Princes est forcément spécial pour le virevoltant ailier strasbourgeois, qualifié de « fou » par de nombreux témoins. Car c’est bien en Île-de-France qu’il faut revenir pour cerner son histoire. Direction Boissy-Saint-Léger (94), et le quartier de la Haie-Griselle. Le city stade et le petit Dilane qui se façonne sur le bitume. Mais pas sur l’herbe. « Nous, on faisait du foot en club, lui non, raconte Sylla, pote de toujours. On le voyait seul avec son ballon. Des fois, je lui disais de monter jouer à la PSP. Il me répondait : “Non, descends jouer au foot !” Il était vraiment fou de foot. Mais on ne comprenait pas pourquoi il n’en faisait pas. Surtout qu’on voyait qu’il était fort. » Sa mère, avec qui il grandit aux côtés de sa sœur, voit la passion de son fils. La licence est signée à Boissy à 9 piges. « On a fait en sorte qu’il s’inscrive… et c’était fou !, poursuit Sylla. Il a été surclassé directement dès sa première année. » Adepte du Real Madrid, le jeune Dilane regarde avec envie les Robinho, Neymar et Cristiano Ronaldo. Julien Hungrich l’a entraîné en U11 à Boissy-Saint-Léger : « Dès petit, il avait ce truc en plus, jure-t-il. Je pense que c’est inné. »
Attaché à son quartier et à son club, il n’ose pas remettre les pieds au centre de loisirs qu’il fréquente quand il décide, en U13, de partir pour le Lusitanos Saint-Maur. « Il pensait que j’allais l’attraper », rigole Hungrich. Il va jusqu’en finale nationale de la Danone Nations Cup, au Vélodrome de Marseille. Avec un triplé mythique en demi-finales face à Lens. « C’était choquant, promet Madou Touré, ami de toujours et présent à ses côtés ce jour-là. Il y avait plein de clubs pros. On perd en finale contre Bordeaux. C’est à partir de ce moment que le club l’a réellement vu. »
Les Girondins le font venir au Haillan en 2015. Il a 13 ans. Et il est en mission. « Son objectif, c’était : “Je veux être footballeur”, assure Sylla. Même à ses débuts à Bordeaux, il disait : “Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais signer pro.” Il était vraiment déterminé. Il savait ce qu’il faisait. » Deux entrées en Youth League à 15 ans, un premier amical avec les pros à 16 ans, une découverte de la Ligue 1 à 18 ans et un mois (septembre 2020). La trajectoire est rectiligne, rien ne pourra l’arrêter. Ou presque.
Jacques Ekomie arrive aux Girondins en 2020, et découvre les prédispositions de « Dikso ». « Il avait le talent qui nous laissait croire qu’il allait arriver où il est aujourd’hui, reconnaît l’actuel défenseur d’Angers SCO. On voit direct, il a le vice du joueur pro, il décide quand il en a envie. » Mais le temps de jeu ne décolle pas. À peine 50 minutes entre septembre 2020 et début février 2021. « Il sait bosser quand il faut, continue Ekomie. Mais comme on ne lui donne pas sa chance, ça influe sur son comportement. Il est un peu nonchalant, la tête ailleurs. Alors qu’à l’entraînement, il démontre qu’il pouvait être titulaire. » Mais il lui manque quelque chose.
« Oui, il a failli mourir »
Tout bascule, dramatiquement, fin février 2021. Retrouvé inanimé dans sa chambre, Bakwa est transporté à l’hôpital en urgence. Il y reste deux semaines. « Oui, il a failli mourir », nous dit-on. Une (très) grosse bêtise de jeunesse. Une opération. Deux semaines d’hospitalisation. Le jeune Bakwa, 18 ans alors, doit ingérer de la vitamine B12, essentielle dans le fonctionnement de l’organisme. « Il a eu peur, souligne Sylla, l’ami d’enfance. Le médecin lui disait qu’il avait 90% de chance de ne pas devenir footballeur professionnel. Même lui estimait que le foot, c’était mort. » La carrière pro en stand-by, l’heure est à la reconstruction, physique et sportive. « C’était prendre conscience de ce qu’il pouvait avoir et de ce qu’il pouvait rater, note Julien Hungrich. Qu’il arrête ses bêtises pour repartir dans le foot. » Il lui faut véritablement un an pour être prêt à conquérir le haut niveau. Cette période coïncide, aussi, avec un changement d’entourage, que de nombreux témoins désignent comme ayant été essentiel. « Il avait très peu de chance de retrouver un niveau correct, poursuit Sylla. Il avait la phrase du médecin en tête. Il se disait : “Les 10% de chance restant, je vais tout faire pour y arriver.” Ça a été le tournant de sa vie. »
Sa folie naturelle, un peu casse-cou, doit laisser place à la maturité. Au départ, il oublie le ballon et court 14 kilomètres par jour, part à Marbella en vacances, est suivi en permanence par l’entourage. « Ça a été un vrai travail », nous glisse-t-on. Tenir bon n’est pas simple tous les jours. Mais Dilane Bakwa apprend de cette épreuve. Et vite. « Être à l’écoute l’a sauvé », promet encore ce témoin. « Il a pris conscience que c’était assez grave. Il est devenu un peu plus calme », argumente Jacques Ekomie.
« Je pensais qu’il allait prendre la grosse tête »
Pas lâché par les Girondins, qui le conservent dans le groupe pro, Bakwa joue 43 minutes en Ligue 1 lors de la très difficile saison 2021-2022, où le club bordelais est relégué. David Guion est nommé en février 2022. Il ne fait pas entrer Bakwa avant le mois de mai. « Quand j’arrive, c’est le jeune qui n’a pas encore la conscience du métier, explique le technicien. Il est sous influence, complètement. Il ne choisit pas les bons joueurs avec qui il doit apprendre. De par la situation sportive, la place aux jeunes est moins ouverte. Il manque un peu d’exigence, mais aux entraînements, on le voit libéré. » Cataclysmique pour son club formateur, le plongeon en Ligue 2 est en fait l’autre tournant de son début de carrière. « Je lui donne des responsabilités, progressivement, abonde Guion, qui insiste tactiquement avec lui. Il est beaucoup plus concerné. C’est quelqu’un qui a besoin de se reposer sur la camaraderie, qui veut avoir un petit clan avec lui. Avec Junior Mwanga et Malcom Bokele, je m’appuyais sur leur enthousiasme, leur joie de jouer. Ça a été une grosse bouffée d’oxygène dans notre situation. »
Débarqué en Gironde en août 2022, Clément Michelin n’a pas oublié sa première séance d’entraînement. « Je ne le connais pas. La première chose qu’il me dit, c’est : “Fais gaffe, j’ai les deux pieds, ça va vite.” En rigolant. Dilane, c’est un personnage. C’est un crack. » Et ça part fort, avec deux buts et deux passes décisives sur le premier mois de compétition. Avec, autour de lui, tout un effectif qui lui sied parfaitement. De Vital Nsimba et ses saunas, à Josh Maja pour la connexion terrain. Guion : « Ils étaient très intéressants ensemble. Être entouré par un garçon comme Josh lui a fait du bien. » Nsimba reprend : « Il avait besoin qu’on lui dise que ce qu’il faisait, c’était bien. Il était très doué en jeune, il est vite monté et il a stagné. Inconsciemment, il s’est posé des questions sur lui-même. Il a vraiment pris conscience de son talent en Ligue 2, et ce temps de jeu l’a complètement libéré. »
Ses états de services ne passent pas inaperçus. En quête perpétuelle de finances, les Girondins annoncent qu’il vaut déjà 10 millions d’euros au bout de six mois de compétition. « Ça a commencé à le travailler, se souvient David Guion. Il a fallu toujours discuter et être attentif. Avec lui, c’était un vrai travail de post-formation. » 36 matchs, une saison pleine, et une montée ratée de peu. Il laisse les Girondins en Ligue 2 pour faire enfin fructifier ce talent. Malgré des envies d’Allemagne et d’autres courtisans comme Rennes ou Lens, direction Strasbourg (transfert de 10 millions d’euros). Trois buts et six passes décisives pour sa première saison dans l’élite, nommé joueur de la saison par ses supporters. Et, surtout, un joueur posé et sérieux dans sa vie personnelle et professionnelle. Sylla, son copain d’enfance, le reconnaît sans problème : « Honnêtement, je pensais qu’il allait prendre la grosse tête ou s’enflammer par rapport à cette vie-là. Mais, en fait, pas du tout. »
L’humoriste peut voir très loin
Junior Mwanga, membre de la bande des trois avec Malcom Bokele, confirme : « Je le sens bien. Il prend tout ça de la bonne manière. Il continue de grandir, de gagner en maturité. Il est solaire, agréable… et fou. » Tout le vestiaire strasbourgeois vous le confirmera : si vous entendez un gars rigoler, hurler ou courir après quelqu’un dans les couloirs, c’est forcément Dilane Bakwa. « C’est un humoriste, rigole Jacques Ekomie. Il est surtout fou. Mais un fou malin. Il n’a pas de limite dans les blagues. » Clément Michelin se met à sourire : « Il était tout le temps en train de faire le pitre. Dans une équipe, il amène cette joie de vivre. Même dans les moments compliqués, il va avoir ce truc de se déconnecter pour amener un peu de légèreté. C’est une très belle personne. » Folie contagieuse jusqu’au terrain. David Guion : « Il est très heureux quand il y a des buts, mais aussi quand il y a une vraie action collective. Il a envie de partager les choses. Je ne le sens pas du tout égoïste, pas centré sur lui-même. Il est très expressif. » Son compère Junior Mwanga parle d’une « folie » qui se retrouve dans « sa façon de jouer », et d’un homme « capable de gestes que beaucoup de gens n’auraient imaginé ».
Admirateur et défenseur de Kylian Mbappé au cœur de débats foot enflammés avec ses anciens potes bordelais, Dilane Bakwa a été récemment récompensé de ses efforts par une convocation en équipe de France Espoirs. En attendant la suite. « C’est peut-être le jeune le plus talentueux avec qui j’ai joué, termine Vital Nsimba. Mais ce qu’on voit là, ce n’est même pas encore le vrai Dilane. Il peut encore être largement meilleur. Il finira, je pense, dans un gros club européen s’il continue à être sérieux. C’est une certitude. » Et tout ça, sans séance de sauna.
Par Timothé Crépin
Tous propos recueillis par TC