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Le football français, une belle cinquième roue du carrosse
La France conserve, pour le moment, sa cinquième place au classement UEFA. Une position qui garantit à la Ligue 1 de garder son rang, ou du moins l’image qu’elle s’en fait, et d’aligner bientôt sept clubs français dans les compétitions européennes. Il reste juste à tenir la distance.
Marseille passe contre Villarreal grâce à un arrêt superbe de Pau Lopez et un numéro de Pierre-Emerick Aubameyang pour débarquer en quarts de finale de Ligue Europa. Lille continue son aventure en Ligue Europa Conférence, en toute logique et simplicité face à aux Autrichiens du Sturm Graz. Un beau printemps s’annonce-t-il pour le foot français ? Avec trois représentants en quarts de finale des Coupes d’Europe (le PSG avait validé son ticket en Ligue des champions par la grâce d’un Kylian Mbappé mué en sub de luxe), la cuvée 2023-2024 s’annonce largement moins mauvaise que redoutée. Elle est même exceptionnelle, puisque ce n’était pas arrivé depuis 20 ans de retrouver autant de représentants de l’Hexagone à ce stade des différents tournois continentaux. C’est une aubaine, aussi : cela permet de conjurer la menace batave (tous les clubs néerlandais ont trépassé) et d’assurer la cinquième place à l’indice UEFA au cours d’une saison où elle était très menacée, ce qui faisait trembler bon nombre de dirigeants des clubs français.
Les premiers derrière le Big Four
Le fameux indice UEFA, calculé par l’addition du nombre de points accumulés selon les résultats en compétitions européennes, est déterminant, bien au-delà des subtilités dans son calcul qui vous font comprendre pourquoi il faut absolument maintenir les maths au baccalauréat. Principal effet pervers, certainement voulu, les gros championnats, avec quatre représentants d’office en Ligue des champions, ont quasiment la certitude de garder leurs privilèges. Cette pyramide économique et sportive est savamment entretenue, et le ruissellement économique coule vers le haut.
À l’inverse, la moindre contre-performance chez les « petits » plombe l’avenir. Ainsi, le soulagement tricolore doit beaucoup à l’élimination du PSV Eindhoven par le Borussia Dortmund. En 2023-2024, les Néerlandais n’ont engrangé que 10,000 points (le Portugal pointe 10,666 actuellement), alors que les Français en ont déjà ramassé 14,750 avant les quarts de finale. Cette cinquième place dépend donc aussi des échecs des poursuivants. La France reste d’abord le premier des pays de seconde zone, plus que le cinquième d’un imaginaire Big Five (65,331 points contre 61,300 points pour les Pays-Bas). Elle stagne loin du quatuor de tête composé de l’Angleterre (103,178), l’Espagne (87,864), l’Italie (86,998) et l’Allemagne (83,624). Une sorte de plafond de verre statistique.
Sauf que, confrontée à la tentation de la Superligue, qui rendait un peu trop transparente l’hypocrisie du système, l’UEFA a une fois de plus réformé ses compétitions, et surtout la C1. De quoi mettre du baume au cœur chez les costards cravates de la LFP. Cette saison comme lors de la prochaine – puisque cela dépend du coefficient UEFA –, trois pensionnaires de Ligue 1 accéderont directement à la Ligue des champions et un quatrième passera par les tours préliminaires (une étape généralement fatidique), quand deux auront le droit de rejoindre la phase de classement de la Ligue Europa et un autre de se contenter de la Ligue Europa Conférence.
Savourer, sans se voir trop beaux
Ce contingent renforcé rassure évidemment l’Hexagone et flatte son orgueil de coq. La LFP y voit aussi un bon argument dans ses négociations pour les droits TV domestiques. En outre, 7 des 18 pensionnaires du championnat vont récolter une hausse de leurs revenus. Vincent Labrune a régulièrement aussi affirmé que la scène européenne permettrait de rendre nos clubs plus séduisants, notamment pour les investisseurs, parlant souvent de « cercle vertueux », en particulier économique. Toujours le même rêve de rejoindre un Big Four européen dont nous serions la cinquième roue du carrosse.
Plus prosaïquement, une présence en C1 ou même C3 ou C4 offre une chance de pouvoir garder un peu plus longtemps les jeunes pousses prometteuses et d’attirer éventuellement quelques joueurs confirmés pour valoriser une L1 désertée. Bref, le tableau d’ensemble s’avère plutôt positif quand voici trois mois, entre l’élimination de l’OM contre le Panathinaïkos et la déculottée du PSG à Newcastle, le moral était légitimement en berne. Naturellement, il ne s’agit pas de basculer d’un extrême à l’autre. De fait, l’inquiétude, prévisible, reste que le foot français continue à se voir plus beau et gros qu’il n’est et qu’il oublie qu’il n’est toujours pas invité à la table des hautes instances du Vieux Continent. La position s’avère fragile. Si des utopistes s’amusent à rêver, calculette en main, d’un hypothétique cinquième participant en Ligue des champions – l’UEFA l’accorde aux deux meilleurs pays sur une saison en cours –, la France reste actuellement quatrième.
Le véritable problème se situe sur la durée. Établi sur cinq ans, l’indice UEFA va vite venir rappeler un passé nettement moins reluisant à notre vanité nationale. La belle édition 2019-2020, quand l’OL s’était hissé en demi-finales et que le PSG avait été battu en finale de la compétition reine, ne sera prochainement plus comptabilisée (11,666 points en moins) et il faudra encore cravacher pour distancer les Pays-Bas et le Portugal. Paris, l’OM et Lille peuvent regarder devant, avec appétit, ambition et méfiance, mais le football français ne doit pas se tromper, il lui faut encore regarder derrière pour ne pas se laisser dépasser par les pays de « son » championnat.
Par Nicolas Kssis-Martov