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Protti : « Si tu m’enlèves la mer, je manque d’air »
Il y a vingt ans, le capitaine de Bari Igor Protti réalise une chose inédite dans l’histoire de la Serie A : remporter le titre de meilleur buteur (à égalité avec Beppe Signori) et être parallèlement relégué en Serie B. Entretien.
Dans les quatre autres grands championnats, ton cas de figure n’est arrivé que trois autres fois : Roger Mercier en France en 1933, Mike Chanon en Angleterre en 1974 et Quini l’année suivante en Espagne.C’est un sentiment très contrasté mais qui a évolué avec le temps. Je m’explique, sur le moment, avoir obtenu le titre de capocannoniere ne m’a absolument pas soulagé de la déception liée à la relégation. Seulement voilà, vingt ans plus tard, je suis conscient d’avoir réalisé quelque chose d’inédit et très difficile à reproduire.
L’égoïsme du buteur n’a donc pas pris le dessus ?Je ne dis pas ça pour faire genre, mais j’ai toujours mis les intérêts du groupe avant les miens. Si un footballeur raisonne différemment, je lui conseille vivement de pratiquer un sport individuel où il gagnera et perdra tout seul. Dans le foot, tu ne peux pas te réjouir d’un résultat personnel dans ces conditions, comme lors d’une défaite 4-3 où tu marques trois buts, même si je préfère évidemment ce résultat qu’un revers 1-0.
Votre président vous a tout de même accordé une prime spéciale, non ?Non, et ce n’était pas prévu, mais vu que l’été précédent, j’avais prolongé mon contrat à des chiffres plus bas par rapport au dernier, à la mi-saison, j’ai juste reçu une augmentation qui m’a permis d’avoir de nouveau le même salaire.
24 buts pour une relégation, la saison précédente vous en marquez 7 et Bari s’est maintenu.Déjà, j’avais moins joué, mais les chiffres racontent toujours quelque chose. C’était une année où on marquait moins, mais où on subissait également moins, tandis que celle où on descend, on possédait un milieu très doué pour épauler la phase offensive, mais moins à l’aise lorsqu’il s’agissait de défendre, c’est une explication.
Vous avez fait de votre mieux ou y a-t-il eu des gros loupés de votre part ?Alors, j’ai transformé tous mes penaltys, mais plus qu’un but loupé, je me rappelle d’une action chez la Juve. J’ai tiré au lieu de la passer à un coéquipier qui était dans une excellente position mais que je n’avais pas vu. On menait 1-0, c’était la balle du break, et au final, ils égalisent sur péno.
Vous plantez dans 17 des 33 rencontres que vous disputez avec un triplé et six doublés, disons que ça aurait été mieux de distribuer les 24 sur plus de matchs…Les buts, il faut les mettre quand on peut les mettre ! Quand un attaquant joue, il ne pense pas à s’économiser, c’est l’exact contraire. Un avant-centre passe vraiment un cap quand il considère que le score est de 0-0 après le coup d’envoi à la suite d’un but qu’il vient de marquer. Même s’il vient de planter son dixième but dans le match, il doit réinitialiser.
Votre coéquipier Kennet Andersson inscrit lui 12 buts. A vous deux, c’est 36 des 49 réalisations de Bari cette année-là.On était un duo très complémentaire. C’est le genre de coéquipier qui me convenait parfaitement : lui le grand et moi le petit qui lui tournais autour. Il ne se contentait pas de remporter ses duels aériens. Non, il regardait bien les mouvements que je faisais. J’en ai marqué pas mal de buts grâce à ses déviations.
Bari méritait de descendre ?Absolument pas, on développait un beau football. D’ailleurs le dernier match contre la Juventus, tout le stade nous a applaudis, alors qu’on était déjà relégués, et ce n’est pas une chose qui arrive souvent en Italie. Cette saison-là, on fait paradoxalement des bons matchs contre les gros, victoire 4-1 contre l’Inter, 1-0 chez le Milan futur champion, deux nuls contre la Juve, un 3-3 contre la Lazio alors qu’on menait 3-1…
Le dernier match contre la Juve n’avait aucun enjeu. Vous inscrivez un doublé, le but était de vous faire marquer le plus possible ?Oui, et tout le stade n’attendait que ça. En fait, ma victoire du classement des buteurs est devenue une victoire pour toute la ville de Bari, car les seuls clubs sudistes à avoir réussi cet exploit sont Riva avec Cagliari et le trio Maradona, Cavani, Higuaín avec le Napoli. C’est aussi pour ça que j’en garde un si bon souvenir vingt ans plus tard, car ça a vraiment compté pour le club et la ville, malgré la relégation.
Avec Virdis, Savoldi, Hubner, vous partagez la particularité d’être les seuls capocanonnieri à n’avoir jamais été convoqués en sélection. Il n’y avait eu que des rumeurs, mais je n’ai jamais eu de contact avec le staff de la Nazionale, seulement avec celui de la sélection olympique. Cesare Maldini me voulait comme Over23, ça se jouait entre Marco Branca et moi, et c’est ce dernier qui a été choisi. Dommage, car les JO d’Atlanta, ça aurait été une superbe expérience. Toutefois, ce n’est pas un regret, le vrai regret est d’être arrivé en Serie A en 1994, un an après le décès de mon père qui m’avait toujours suivi, j’espère qu’il a pu savourer tout ça de là-haut.
Le sélectionneur de l’époque était Arrigo Sacchi que vous connaissiez pourtant bien.Je l’ai eu à Rimini quand j’avais 17 ans, il avait déjà ses idées basées sur le football total néerlandais, la tactique du hors-jeu, etc. Il était précis et pensait au futur. Sacchi savait ce qu’il voulait et avait une grosse envie de réussir, mais je ne m’imaginais pas qu’il pouvait gagner autant. D’un autre côté, je crois qu’il ne pensait pas non plus que j’allais marquer autant de buts !
Un autre coach avec des idées révolutionnaires que vous avez connu est Zdeněk Zeman à la Lazio. Vous êtes peut-être le seul attaquant à ne pas avoir marqué avec lui !Ce n’était pas ce que j’espérais, mais on a eu chacun nos responsabilités. J’avais mes limites à l’intérieur de sa tactique et lui les siennes avec sa rigidité. C’est un duo qui n’a pas du tout fonctionné, puisque je n’ai marqué qu’un seul but.
Pour boucler le tour des coachs, lors de votre premier passage à Livorno, vous évoluez avec un certain Allegri.Oui, on a le même âge, c’était une personne complètement différente d’aujourd’hui. Il vivait le foot de manière très superficielle, qu’il gagne ou qu’il perde, ça ne changeait rien pour lui. Max voulait seulement s’amuser. C’est pour ça qu’il faut souligner sa maturation en tant qu’homme, car maintenant, c’est devenu quelqu’un d’exigeant.
Livorno est un club dont vous êtes le meilleur buteur all-time, vous étiez en tribunes lors de la relégation la semaine dernière. Une véritable souffrance, car on avait mis énormément de temps à regagner notre place dans le football qui compte. Quand je reviens en 1999, cela faisait 30 ans que le club n’avait pas connu la Serie B et 50 ans qu’il n’avait plus fréquenté la Serie A. Descendre en Lega Pro et imaginer qu’il faudrait autant d’années pour remonter, ça me rend malade.
Vous y remportez les titres de capocannoniere de Serie C1 et Serie B, c’est aussi un record (co-détenu avec Hubner). Quel sens lui donner ? Depuis tout jeune, je n’ai jamais compris ceux qui disaient : « Lui, c’est un attaquant de Serie C, lui un buteur de Serie A, etc. » Plus tu montes et plus tes adversaires sont forts, très bien. Mais cela vaut aussi pour le niveau de tes coéquipiers qui te mettent dans de meilleures conditions pour marquer. Les dimensions des buts sont les mêmes, celles du terrain diffèrent un peu. J’ai toujours pensé que si un attaquant a le sens du but et possède les bonnes capacités techniques et de coordination, il peut marquer partout !
À l’étranger comme en Italie, on associe le club de Livorno au communisme. Qu’en est-il aujourd’hui ?C’était beaucoup plus vrai il y a 15-20 ans. C’est un peu plus soft désormais, même si les idées des ultras sont identiques. On ne peut pas interdire aux kops d’être politisés, car dans ce cas, il faut que ce soit aussi le cas pour les politiciens qui se servent du football comme vitrine. L’important est que chacun puisse exprimer ses idées librement en acceptant celles des autres.
Et vous, comment vous étiez-vous positionné ?Sur le terrain, je pensais à jouer et basta. Maintenant, Livourne est une ville qui m’a impliqué socialement et indépendamment de sa réputation politique. Je ne me suis pas contenté d’être un footballeur, j’ai essayé de mettre à disposition l’homme auprès de problématiques sociales que je considérais très justes de dénoncer.
Votre coéquipier Cristiano Lucarelli avait les idées bien claires. Comment les exprimait-il ?Il n’a jamais pris à partie un coéquipier pour des raisons politiques, hein ! On connaissait très bien les idéaux de Cristiano, quand tu es à Livourne, tu sais que tu représentes une ville et un kop qui pensent d’une certaine façon. Mais dans le stade, il y a des personnes qui ont des idées diamétralement opposées et il faut savoir que tu les représentes aussi.
Lucarelli est d’ailleurs celui qui vous a convaincu de prolonger votre carrière.J’avais dit stop en 2003, l’entraîneur Mazzarri et lui sont arrivés en même temps et ont tout fait pour me faire continuer, ils ont réussi, et du coup, cela a permis de réaliser un de mes rêves : ramener Livorno parmi l’élite. Et puis avec Cristiano, j’étais certain que je me serais bien entendu sur le terrain, comme avec Kenneth !
Quand on regarde votre carrière, on lit Rimini, Livourne, Messine, Naples, Bari… que des villes en bord de mer. Ce n’est pas un hasard, non ?Du tout, si tu m’enlèves la mer, je manque d’air, c’est un élément fondamental. Parfois, je prends ma voiture juste pour me poser devant et la regarder. Je suis né sur le littoral, le destin a voulu que j’ai rarement dû choisir entre une ville de mer et de terre, mais si j’avais dû choisir, ça aurait été un facteur décisif.
Et où se trouve la plus belle mer d’Italie ?Où je n’ai pas joué : en Sardaigne ! En fait, c’est à Cagliari que j’aurais dû aller !
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi