- France
- Jeunes
Projets Mbappé : à qui la faute ?
Depuis quelques jours, plusieurs agressions contre des entraîneurs ou des éducateurs dans des clubs ont eu lieu. Au cœur du mal, ces « Projets Mbappé » qui rendraient fous les parents… Un peu trop facile comme explication ?
Un jeune éducateur de U9 se fait agresser et frapper au visage par le père d’un de ses joueurs à Linas-Montlhéry, dans l’Essonne. Banalité d’une violence qui gangrène les rapports sociaux, et même le football, et donc pas seulement dans les tribunes de Ligue 1. Toutefois, un nouveau concept est venu nommer la cause de cette triste réalité : le « Projet Mbappé ». Depuis, les papiers et reportages se multiplient, et chaque dérapage d’un parent fournit les preuves de ce virus. La caricature du parent sur le bord du terrain qui pense que son gosse joue une finale de Ligue des champions à chaque tour de Coupe de district n’a rien d’original. Mais dans ce cas, l’enjeu semble supérieur et concerne les plus jeunes. Inspirés par la réussite précoce de Kylian Mbappé ou désormais de Zaïre-Emery, bien orchestrée par leurs géniteurs, certains parents investiraient tous leurs espoirs dans le talent de leur progéniture. Leurs espoirs pour eux-mêmes et bien sûr pour leurs kids, transformés en placement sur crampons. Du coup, la dimension éducative du FC du coin ne pèse plus grand-chose, et les choix d’un coach, souvent bénévole ou très peu rémunéré s’il dispose d’un BE, paraissent un obstacle, voire un complot.
2 parents ont aujourd’hui réclamé mon départ car la politique sportive en U8 ne leur convient pas. Je suis le problème du club.
— Grégory (@CoachGregory_t) December 16, 2023
Personne ne niera que ce schéma parental existe. Il n’a malheureusement rien de nouveau. Il s’est particulièrement accentué aujourd’hui dans les quartiers populaires où certains papas doivent se dire que leur gamin a plus de chance de décrocher un contrat pro qu’un CDI en entreprise classique. Il n’est finalement même plus question de loterie, mais bel et bien de pousser ses chances dans une branche où pourtant la sélection s’avère impitoyable. C’est peut-être sur cette réalité qu’il faudrait approfondir la réflexion afin de mieux cerner ce fameux « Projet Mbappé », au lieu simplement d’en faire retomber la faute exclusive sur des parents, dépeints comme « mauvais » envers leur progéniture ou juste avides d’argent.
Graines de stars
Le « Projet Mbappé », et les inexcusables comportements individuels qu’il peut engendrer et dont souffrent souvent en premier lieu les mômes dépossédés de leur amour du ballon, s’avère aussi largement le fruit du football professionnel, qui s’indignerait un peu facilement ensuite des conséquences en bas de l’échelle. L’envolée des salaires a forcément transformé la perception de ce métier, et l’argent est désormais présent dans le moindre niveau d’un district, même de façon infinitésimale. Les agents et les scouts traînent sur les bords des terrains de toutes les catégories de jeunes, et leur discours incite rarement leur interlocuteur à la raison ou à la patience. L’absence de régulation au sein de la fédération face à ces pratiques a laissé la gangrène s’installer. Se boucher le nez est trop facile.
Le foot n’est pas isolé dans la société. La dégradation du climat social et des conditions de vie, ne serait-ce que dans l’Éducation nationale, qui était censée être le vecteur d’accomplissement dans la vie, ont forcément amplifié les rêves placés dans le sport, un espace où le handicap de l’origine, du lieu d’extraction ou du capital culturel se fait beaucoup moins sentir. Au bout de la chaîne de cet environnement dégradé : un père cogne un éducateur, qui lui ressemble souvent terriblement, car son gosse est sur le banc, autrement dit éloigné d’une chance de s’en sortir. Après, à quoi bon balancer de beaux discours sur les valeurs éducatives, l’exemplarité des Bleus ou encore la cohésion nationale par le foot, quand l’ensemble du système réclame continuellement sa dose de « Projet Mbappé ».
Par Nicolas Kssis-Martov