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Profitons encore de Francesco Totti

Par Éric Maggiori
Profitons encore de Francesco Totti

Javier Zanetti a tiré sa révérence la saison dernière, comme Carles Puyol et Ryan Giggs. Dans quelques mois, Steven Gerrard rejoindra la MLS. Il ne restera plus que lui. L'éternel Francesco Totti, encore auteur d'un doublé lors du derby romain ce week-end. Alors, profitons-en.

Un coup de casque de Claudio Caniggia et de sa longue crinière blonde. Un coup franc de Siniša Mihajlović qui termine au fond des filets. Florin Răducioiu, Gheorghe Hagi et Mircea Lucescu, la connexion roumaine. Non, nous ne sommes pas dans un rêve sans queue ni tête. Nous sommes le 28 mars 1993, il y a 22 ans, au stadio Rigamonti de Brescia. 12 500 supporters sont là, pour assister à une défaite 2-0 de leur équipe face à la Roma, qui plie l’affaire dès la première mi-temps. Sur son banc de touche, Vujadin Boškov est serein. Il reste une poignée de minutes à jouer, son équipe a deux buts d’avance… Alors, le coach champion d’Italie 1991 avec la Sampdoria, sur les conseils justement de Mihajlović, décide de se tourner vers son banc de touche. Il pointe du doigt un joueur. « Allez gamin, va t’échauffer. » Roberto Muzzi, 22 ans, se lève et part à l’échauffement. Boškov se retourne à nouveau et interpelle son attaquant. « Non non, pas toi. L’autre, là. Totti. Oui, Totti. » Le gamin en question n’en croit pas ses oreilles. Il s’appelle Francesco. Il a 16 ans et joue avec la Primavera de la Roma. Du coup, le voilà qui s’échauffe et qui, à la 88e minute, entre en jeu à la place de Ruggiero Rizzitelli. Deux minutes de jeu qui, à l’époque, ne signifient pas grand-chose. Mais les 12 500 spectateurs du Rigamonti assistent là, sans le savoir, à un moment d’histoire. L’histoire d’un garçon d’Appio-Latino destiné à devenir légende.

La Roma le chipe… à la Lazio

Depuis, Francesco a grandi. Il est devenu Il Capitano. Il Bimbo de Oro. Er Pupone. Appelez-le comme vous voulez. Les deux minutes de Brescia sont bien loin. 22 années se sont écoulées depuis. Totti n’a jamais connu d’autres couleurs, jamais un autre maillot. 725 matchs, 296 buts, dont 239 en Serie A. Un seul joueur a fait mieux dans toute l’histoire, Silvio Piola et ses 274 pions dans les années 30-40. Et d’autres records : le nombre de derbys disputés (40), celui du nombre de buts inscrits lors des derbys (11). Il est aussi le joueur qui a marqué le plus de buts à Gigi Buffon : 10. Dont celui-ci, mythique.

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Et l’histoire, avec un grand H, tient parfois à peu de choses. Car Francesco Totti, idole absolue et légende de la Roma, aurait pu revêtir un autre maillot. Ceux de Chelsea et du Real Madrid ? Oui, mais pas seulement. Tout gamin, Francesco joue dans des clubs de quartier. D’abord la Fortitudo, la Smit Trastevere, et enfin la plus connue, Lodigiani, qu’il rejoint alors qu’il est âgé de 10 ans. Ses coachs décèlent son potentiel et c’est la Lazio qui flaire le bon coup. Le club laziale, qui vient de remonter en Serie A, veut reconstruire son équipe, de préférence avec des joueurs romains. La Lodigiani et la Lazio se mettent d’accord pour un transfert de Totti. Mais le responsable des jeunes de la Roma, Gildo Giannini, tente un blitz pour le chiper au cousin laziale. Il se rend directement chez les parents de Francesco et les convainc de faire signer leur fiston à la Roma. S’ensuivra un véritable incident diplomatique entre les trois clubs, la Roma acceptant finalement de refiler deux joueurs + 300 millions de lires (150 000 euros) pour récupérer la pépite. « Si ma mère avait choisi la Lazio, je l’aurais probablement tuée » , avait-il affirmé en souriant lors d’une interview à Kicker.

« Ce que j’ai construit à Rome, combien de joueurs en sont capables ? »

En 22 ans, Totti a tout connu à Rome. Les plus grandes joies, avec le Scudetto en 2001. Les plus grandes déceptions, avec cette finale de Coupe d’Italie perdue justement contre la Lazio. Mais Totti a toujours gardé la même volonté : celle de rester là, chez lui, avec les siens. Certains disent que, plus que ne pas quitter la Roma, Francesco n’a jamais voulu quitter Rome. Une ville qu’il aime tellement qu’il a écrit un guide, E mo’ te spiego Roma, « et maintenant, je t’explique Rome » . Oui, Totti aurait pu être un gamin de Rome comme les autres, qui traîne dans les rues avec un ballon sous le bras, assis pendant toute une après-midi avec ses potes sur un scooter, à se raconter des conneries. Sauf qu’il a été doté de pieds en or et d’une volonté de fer. Et très vite, il s’est envolé.

Totti, c’est un joueur qui, à lui seul, raconte tellement d’histoires. « Oui, j’aurais pas gagner plus de choses ailleurs… » a-t-il souvent concédé. Avant de préciser : « Mais des trophées, tout le monde peut en gagner. Alors que ce que j’ai construit à Rome, combien de joueurs en sont capables ? » Pas beaucoup. Plus beaucoup. Il y avait Paolo Maldini et Franco Baressi au Milan AC, Javier Zanetti à l’Inter, Alessandro Del Piero à la Juventus, Ryan Giggs et Paul Scholes à Manchester United. Ils ont raccroché ou, dans le cas de Del Piero, ont été invités à aller voir ailleurs. Qui reste-t-il ? Steven Gerrard à Liverpool. Ce sera fini dans quelques mois. Et quelques autres… Casillas, Xavi, Iniesta. Mais surtout Francesco Totti. Entre lui et la Roma, c’est le respect le plus total. Totti a dit qu’il voulait jouer jusqu’à 40 ans ? Pas de soucis, il a carte blanche. Ici, il est le roi. Et en même temps, ce dimanche 11 janvier, à 38 ans, 3 mois et 15 jours, il a inscrit un doublé décisif lors du derby romain, dont un deuxième but extraordinaire, avec l’agilité d’un gamin de 16 ans. Un but et une gestuelle que beaucoup ont comparé à la célèbre volée acrobatique de Carlo Parola, l’homme des pochettes de vignettes Panini.

Jusqu’à 40 ans ?

Alors, oui. Totti, si on peut l’aimer, on peut aussi le détester. Car des défauts, il en a. Il râle, il tombe, il chambre, il se plaint, il prend des cartons rouges (même s’il s’est calmé, le dernier remonte au 15 mai 2013). Mais quels que soient les sentiments éprouvés, il faut profiter de lui. Parce que même si son hygiène de vie irréprochable lui permet encore de tirer la corde, sa carrière est à son crépuscule. Francesco aura 40 ans en septembre 2016. On peut donc imaginer qu’il mettra un terme à sa carrière en juin 2016. Voire, pourquoi pas, en juin 2017, à presque 41 ans. Et ce serait dingue, lorsque l’on sait que des attaquants comme Baggio, Signori ou Boniperti, modèles de longévité, ont disputé leur dernier match de Serie A à respectivement 37, 36 et 33 ans. À plus de 38 ans, Totti, lui, continue de courir, de s’entraîneur dur, de marquer et d’écrire l’histoire. Alors, c’est vrai, l’histoire du football retient souvent les gagnants. En soi, Totti n’est pas un gagnant. Avec la Roma, il n’a gagné que 5 trophées en 22 ans. Sur la même période, cette Lazio qu’il déteste tant en a remporté 11.

Mais Totti est autre chose. Il représente le football en son essence. Le football de la cour d’école et la rue. Le football romantique, dont les poèmes s’écrivent avec les pieds, et dont les Alexandrins sont des ouvertures et des déviations à une touche de balle. À Rome, Totti est même plus que le football, il est l’Amour. Quand le pape François a été nommé, les tifosi de la Roma ont assuré qu’il fallait lui trouver un autre nom parce qu’il n’y avait pas de place pour deux papes Francesco à Rome. Alors, oui, profitons-en. Profitons de ce joueur qui a, un jour, croisé les routes de Ronaldo, Batistuta, Nedvěd, Schevchenko, Weah, Nesta, Bierhoff, Maldini, Inzaghi, Vieri, Crespo, Zidane, Veron, et on en passe des dizaines et des dizaines. Mais à la différence de tous ceux-là, Francesco est encore là, en short et en crampons. On peut encore en parler au présent. Alors parlons-en, et délectons-nous encore de ses exploits. Et de ses selfies. Ave, Francesco.

Dans cet article :
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Par Éric Maggiori

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