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Procès Galtier : ce qu’il faut retenir
Un an de prison avec sursis et 45 000 euros : dans l’attente du délibéré en décembre, voilà ce que le parquet de la République de Nice a requis contre Christophe Galtier. Au-delà du football, la procédure a illustré la difficulté des affaires de discrimination souvent enfermées dans le piège du « parole contre parole ».
Christophe Galtier, aujourd’hui coach au Qatar pour un salaire très confortable dont il a refusé de révéler le montant devant le tribunal, devait se défendre ce vendredi des chefs d’accusation de harcèlement moral et de discrimination. Ce scandale, qui a secoué le football français la saison dernière, a éclaté à la suite de la diffusion d’un mail de Julien Fournier (ancien directeur sportif de Nice) adressé à INEOS (propriétaire du club) qui pointait le racisme et l’islamophobie supposés du coach. Depuis, une enquête a été ouverte et les auditions de témoins se sont multipliées. C’est donc peu dire que tout le monde attendait le procès public afin d’entendre la défense du premier concerné, dans l’espoir utopique que le passage à la barre apporte enfin la vérité.
Mais sans surprise, Christophe Galtier a nié l’essentiel et nuancé à la marge. Face aux trois juges, il n’a caché ni son agacement ni son émotion. Il était seul présent, les autres personnes interrogées par les policiers ne s’étant pas déplacées. Ces absences ont valu une longue synthèse par le président du tribunal, Alain Chemama, des 75 procès-verbaux. En retour, la ligne de la défense n’a pas bougé. D’une part, l’ex-technicien des Aiglons se dit victime d’un règlement de compte interne au sein de son ancien club émanant de la part du clan Fournier et n’hésite pas à parler de « lavage de cerveau ». De l’autre, il assure n’avoir jamais discriminé aucun footballeur en raison de sa religion – avec le ramadan au cœur des débats – ou de ses origines en ayant comme seule perspective la performance de son effectif.
Slimani « instable, nocif pour un groupe »
Illustration parmi d’autres dans la bouche de l’accusé, au sujet de la non-titularisation d’Hicham Boudaoui : « Si, après avoir arrêté de s’hydrater à 23 heures la veille, il allait sur le terrain à 15 heures en pleine chaleur et faisait un arrêt cardiaque, qui serait porté responsable ? » À propos du refus de recruter l’Algérien Islam Slimani, le second avocat de Galtier Maître Olivier Martin réfute de même l’argument de la nationalité ou de la pratique religieuse : « 13 saisons, 13 contrats. Il a résilié son contrat à Lyon, à Monaco et au Portugal. Slimani est instable, il est nocif pour un groupe. Il (Galtier) ne veut pas de Slimani. Il va signer au Sporting Portugal. Il se bat avec son entraîneur. Christophe Galtier n’a pas recruté Slimani parce qu’il jeûnait ? Mais non ! »
Christophe Galtier, de son côté, n’hésite pas à contre-attaquer. Il retourne d’ailleurs les accusations contre un de ses accusateurs, Frédéric Gioria, ancien adjoint qui lui reproche d’avoir dit : « Le pire, ce sont les Algériens » ou de l’avoir incité à « voter Rassemblement national ». Pour l’ancien héros du Losc, au contraire, « M. Gioria est sûrement la personne la plus raciste que j’ai rencontrée dans le football ». Et de poursuivre : « Août 2021, au restaurant, trois personnes m’interpellent avec des remarques racistes sur la constitution de l’équipe. Je n’avais jamais eu ce genre de remarques, auparavant. Le lendemain, en arrivant au club, je rapporte à Frédéric Gioria ces remarques. Il me dit : “C’est ça, Nice”, et me sourit. »
Des justifications et des excuses
Cependant, l’accusé tombe parfois l’armure et concède des malentendus. Sur l’utilisation de l’expression « King Kong » pour désigner les défenseurs de l’AS Saint-Étienne Mickaël Nadé et Harold Moukoudi, par exemple : « Il n’y a pas de connotation autre que de force et de puissance. Avec du recul, cela a heurté. Si cela l’a heurté, je dois m’excuser. Oui, j’ai utilisé cette expression. Mais pas dans une optique raciste, je n’anticipe pas. »
Idem lorsqu’il recadre Jean-Clair Todibo et Hassane Kamara, pour leur comportement sur le terrain envers l’arbitre : « Oui, je dis après le match “On ne peut pas avoir un comportement de racailles”. Le lendemain, je les convoque et leur redis : “Je ne veux pas qu’on se comporte comme dans le 9-3” car je sais où ils ont vécu. Si cela avait été des Marseillais, j’aurais parlé des quartiers nord. » Un aveu, en quelque sorte, sur son regard malgré tout marqué par des préjugés qui réduisent les joueurs à leur milieu d’extraction.
Aucune preuve, répond la défense
Au terme d’une longue journée, le procureur Damien Martinelli insiste dans son réquisitoire sur le fait que Christophe Galtier a « clairement cherché à diminuer le nombre de noirs et de musulmans dans l’équipe » en « instrumentalisant le ramadan ». « Pour un club professionnel, le ramadan, c’est une donnée. Pour Christophe Galtier, c’est un problème », ajoute-t-il. En face, l’avocat de la défense Sébastien Schapira fustige un dossier qui serait « un pot-pourri. Ce serait presque drôle s’il n’y avait pas l’honneur d’un homme sali, humilié. On attend toujours les preuves, cela ne tient pas une minute. Le harcèlement, il faut une répétition. Elle est où ? On n’a pas trouvé la répétition. Elle est contre qui, contre quoi ? »
Plus globalement, ce procès interroge profondément notre société. Dans les affaires de discrimination, dès qu’elles se retrouvent devant la justice, il s’agit d’abord pour les victimes de prouver leur bonne foi. Le témoignage de Galtier a également souligné une réalité sociale, ou plutôt une zone grise, voire une certaine perception discriminante vécue comme « normale » dans un mélange fourre-tout de l’origine des personnes et de leur milieu social d’extraction. Avec, dans ce cas, la situation singulière de la ville de Nice et de sa coloration politique en toile de fond. Une condamnation pourrait, en tout cas, empêcher l’homme de revenir exercer son métier en France. Pour rappel, il risque un an de prison avec sursis et 45 000 euros d’amende…
Par Nicolas Kssis-Martov