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Procès FIFA : vient l’heure des comptes
Alors que le procès du FIFAgate à New York est entré dans sa deuxième semaine, les révélations quant aux pratiques de corruption qui minent la Fédération internationale se multiplient. Dirigeants de la FIFA, pays hôtes de coupes du monde passées et à venir, cadres de l’industrie médiatique : la justice américaine a dans sa ligne de mire une jolie brochette de suspects. Un tableau chargé, où se mêlent pots-de-vin, menaces, suicide et assassinat.
150 millions de dollars. Tel est le montant estimé des pots-de-vin versés depuis 1991 aux dirigeants et ex-cadres de la FIFA, en échange de droits médiatiques et marketing pour des compétitions organisées aux États-Unis et en Amérique du Sud. De petits arrangements entre amis, dont a profité pas mal de monde. Au total, la justice américaine a mis en cause 42 personnes, dont la plupart ont d’ores et déjà plaidé coupables. Reste un trio d’irréductibles, qui nie avoir fauté et n’est pas décidé à rendre les armes : José Maria Marin, 85 ans et ex-président de la Fédération brésilienne de football, Manuel Burga, qui a dirigé la Fédération péruvienne de 2002 à 2014 et Juan Angel Napout, ex-président de la Fédération paraguayenne et de la CONMEBOL. Trois vieux loups sous la menace d’un homme, qui a entendu et vu beaucoup de choses, l’Argentin Alejandro Burzaco.
Burzaco, le témoin star
Burzaco, 52 ans, n’est pas une figure connue du grand public. Pourtant, c’est bien lui qui a polarisé l’attention lors de la première semaine du procès new-yorkais de la FIFA. Sans doute parce qu’il parle comme un homme qui n’a plus rien à perdre. Ancien dirigeant de Torneos y Competencias (TyC), une puissante société argentine impliquée dans de multiples contrats de droits télé en Amérique du Sud, Burzaco s’est fait épingler par la justice en 2015. Son entreprise, visée pour avoir recouru à des pratiques de corruption pour obtenir les droits de diffusion de plusieurs compétitions de la FIFA, avait même accepté de verser 105 millions d’euros à la justice américaine pour que toutes les charges à l’encontre de TyC soient abandonnées. Burzaco, lui, avait d’abord tenté de fuir la justice en s’exilant en Italie. Avant de se rendre aux forces de l’ordre, d’admettre sa culpabilité, et de collaborer pleinement dans le procès en cours, afin d’alléger sa future condamnation.
Pour bien figurer auprès du juge et des jurés, l’Argentin a donc mis le paquet. Notamment en déclarant qu’il avait versé à Marin, Burga et Napout, les trois ex-présidents des fédérations brésilienne, péruvienne et paraguayenne, respectivement 4,5, 2,7 et 3,6 millions de dollars, notamment pour obtenir les droits de diffusion de Copa Libertadores et Sudamericana. Un sacré pactole, qui n’implique bien sûr pas seulement des individus isolés, mais aussi des structures entières. Burzaco a expliqué qu’il avait mis en place le système de pots-de-vin qu’il versait aux officiels de la FIFA avec la complicité et l’aide de plusieurs chaînes de télévision désireuses de remporter la bataille des droits télé, au premier rang desquelles l’américaine Fox Sports, le réseau de télévision brésilien Globo, ou encore le géant mexicain Grupo Televisa. Des ogres médiatiques qui nient pour l’instant avoir eu recours à la moindre pratique illégale.
Éternel Qatargate
Burzaco a aussi de jolis dossiers en stock relatifs à l’attribution controversée de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Très proche du président de la Fédération argentine Julio Grondona, mort en 2014, il s’était rendu en décembre 2010 à Zurich, où se tenait le vote devant décider quelle nation organisera le Mondial 2022. Il accompagnait alors Grondona, mais aussi le président de la Fédération brésilienne, Ricardo Teixeira, et Nicolas Leoz, le dirigeant de la CONMEBOL, la confédération sud-américaine. Lors d’une interruption de séance après le deuxième tour, alors qu’il manque des voix au Qatar, Burzaco raconte que Teixeira et Grondona ont pris Leoz à part pour « le secouer » : « Qu’est-ce que tu fous ? C’est toi qui ne votes pas pour le Qatar ? » Aux troisième et quatrième tours, le Paraguayen soutiendra l’émirat. Surtout, quelques mois plus tard, Burzaco se souvient avoir assisté à un échange musclé entre Grondona et des responsables qataris, alors que le président de la Fédé argentine se voit reprocher dans la presse d’avoir accepté des pots-de-vin de la part de Doha : « En gros, Grondona leur a dit : « Donnez-moi 80 millions de dollars ou écrivez une lettre disant que vous ne m’avez jamais payé. » »
Le couteau sous la gorge
Des accusations graves, qui font forcément monter le procès en température. D’autant plus que les premières conséquences de ce grand déballage ont pris une tournure funeste. Mis en cause par Burzaco, Jorge Delhon, un ancien dirigeant de la Fédération argentine, s’est suicidé mi-novembre en se jetant sous les rails d’un train à Buenos Aires. De son côté, Adolfo Lagos, le vice-président de la télévision mexicaine Televisa, s’est fait assassiner par balles par un commando à Mexico quelques jours plus tard. Si les motifs du meurtre restent imprécis, les médias mexicains n’ont pas manqué de relever que Televisa est l’un des réseaux médiatiques soupçonnés d’avoir eu recours à divers pratiques de corruption dans le but de remporter la course aux droits TV.
Burzaco lui-même va devoir s’accrocher pour ne pas céder face à la pression ambiante. Vendredi dernier, l’Argentin avait fondu en larmes, alors qu’il avait vu l’un des prévenus, l’ancien président de la Fédération péruvienne Manuel Burga, se passer à plusieurs reprises le doigt sous la gorge en le regardant, comme s’il menaçait de le zigouiller. Une scène digne des Incorruptibles, qui a secoué le principal témoin, mais ne l’a sans doute pas vraiment surpris. Après tout, Alejandro Burzaco avait lui-même résumé aussi naïvement que justement le fond du scandale dans lequel baigne la FIFA, en ouverture du procès : « Il y a beaucoup d’argent dans le football. Et beaucoup de mauvais hommes pour en profiter. »
Par Adrien Candau