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Procès Erbate : l’heure de vérité

Par Christophe Gleizes
Procès Erbate : l’heure de vérité

Le procès de l'ex-défenseur Elamin Erbate, qui a accusé en septembre dernier les dirigeants du Raja Casablanca de corruption, s'ouvre aujourd'hui au Maroc. Après avoir été repoussé par deux fois, il s'agit là d'une occasion unique de voir la vérité enfin révélée sur un championnat miné par les doutes et les suspicions.

Après deux mois d’attente, de Coupe du monde des clubs et de silence pesant, le procès de la corruption s’ouvre enfin à Casablanca. Par deux fois convoqué, l’ancien défenseur du Raja Casablanca Elamin Erbate ne s’est pas présenté aux audiences précédentes, respectivement programmées les 29 octobre et 25 novembre derniers. Un comportement qui ne plaide pas en faveur de l’accusé, toujours muré dans le silence, même si son absence décevante peut en partie s’expliquer par la volonté combinée du Raja Casablanca et de la Fédération marocaine de ne pas créer de remous avant la Coupe du monde des clubs, organisée du 11 au 21 décembre dernier au pays, où le Raja s’est hissé jusqu’en finale face au Bayern Munich (défaite 2-0).

« Ce double sacre était truqué »

Rien ne prédestinait pourtant le Raja Casablanca a un parcours si brillant dans la compétition. Ballotté par cette sombre affaire de corruption, le club marocain n’était en outre pas au sommet sportivement à quelques jours du Mondial. Son entraîneur Mohammed Fekhir, au centre des suspicions, a été licencié juste avant le début de la compétition, officiellement pour sa série de mauvais résultats à la tête de l’équipe. Remercié après la défaite contre El-Jadida, le technicien s’est senti « trahi » par son club de toujours, alors cinquième du championnat, qu’il avait conduit au doublé coupe-championnat la saison précédente. Un triomphe brusquement souillé en septembre dernier par son ancien capitaine Elamin Erbate, écarté du club pendant l’été, qui a expliqué que son entraîneur disposait d’une « caisse noire » , destinée à truquer plusieurs rencontres de championnat. S’il n’a pour l’instant pas avancé de preuves, le joueur s’est accusé lui-même de tricherie, ce qui semble un préalable intéressant. Il avait alors déclaré dans les colonnes d’Almassae Arriadi: « Ce double sacre était truqué. J’ai moi-même donné de l’argent à certains joueurs de clubs adverses pour nous permettre de gagner. J’ai accepté de jouer des rôles vils et bas par amour pour le Raja. »

Même si elles n’expliquent pas tout, il ne fait aucun doute que ces accusations ont fragilisé le trône de Mohammed Fekhir, remplacé par Faouzi Benzarti. « Les dirigeants du Raja ont pris la décision de se séparer de Mohammed Fekhir à cause des supporters, qui ont massivement demandé son licenciement. Ils ont aussi été influencés par le fait que de nombreux joueurs ne le soutenaient plus, voire ne voulaient plus jouer pour lui » , explique Mouhib Abdelilah, qui travaille pour le journal arabophone Almassae Arriadi. Depuis convoqué par la justice, le quotidien est lui aussi concerné par le procès qui s’ouvre demain. Pas de quoi effrayer le journaliste, contacté alors qu’il couvrait la Coupe du monde à Agadir : « Non, nous ne regrettons pas du tout. Les accusations d’Erbate touchent le football marocain et concernent une équipe qui a un grand palmarès. On a juste publié l’interview et c’est notre rôle en tant que journalistes de montrer la réalité. » Après nous avoir affirmé que son journal ne risquait « rien » , il a tenu à nous assurer « avoir confiance en la justice marocaine » .

Cette dernière aura pourtant fort à faire pour tirer les choses au clair face à l’omerta générale observée depuis plusieurs semaines. Très vite, en effet, le Raja Casablanca a nié ces accusations au travers de ses différents représentants. Le plus intéressant reste encore le cas du très controversé Rachid Boussairi, actuel conseiller du président Boudrika. Interrogé sur les ondes de Radio Mars, il a réfuté les accusations d’Elamin Erbate avec vigueur, en tentant de saper la crédibilité de ses propos : « Ces déclarations ne m’étonnent pas, je m’attendais à cette réaction du joueur… J’avais eu une discussion avec l’agent d’Erbate, Karim Blak pour lui expliquer que le Raja n’avait plus besoin des services du joueur. Ce jour-là, Erbate n’avait pas apprécié qu’on l’écarte du club et il nous avait menacés de faire des sorties médiatiques comme celle qu’il vient de faire. »

« Toute la nuit, il y a eu des insultes, des engueulades, des bagarres »

S’il n’est pas à exclure que les déclarations de l’ancien joueur de l’OM soient motivées par un instinct de revanche maladroit – qu’il paierait le cas échéant au prix fort – il n’en reste pas moins que Rachid Boussairi a beau jeu de feindre l’indifférence. Il y a un an, presque jour pour jour, le quotidienAl Khabar publiait dans ses colonnes les déclarations de Rachid Slimani, l’arrière droit du RCA, qui accusait le secrétaire général du MAS de Fès d’avoir profité de l’influence obscure du conseiller : « Vous aussi avez bénéficié des actions de Boussairi qui a acheté pour vous des matchs la saison passée. » Et le quotidien marocain de confirmer à demi-mots : « Il se murmure depuis longtemps dans le milieu que Rachid Boussairi s’est spécialisé dans le trucage de rencontres » , sans toutefois en dire plus. Contacté par nos soins, ce dernier n’a pas voulu répondre à nos questions et a expliqué d’une voix énervée : « Ah non ! On ne parle plus de l’affaire Erbate ! On est en pleine course pour la Coupe du monde. Le coach, vous pouvez l’appeler si vous voulez, mais de toute façon il ne reste plus au Raja. On verra après le mondial. » Depuis, nos sollicitations sont restées lettre morte. Tout comme celles que nous avons adressées à la FIFA, qui a comme souvent fait preuve d’un sens de l’esquive absolument admirable.

Ses dirigeants ont néanmoins invalidé les récentes élections de la Fédération royale marocaine de football, en maintenant Ali Fassi Fihri à sa tête. Un véritable camouflet pour la FRMF, qui nous a longtemps expliqué son mutisme par la tenue de ces nouvelles élections. Cette dernière avait déjà reçu le 30 octobre dernier une lettre de la FIFA où étaient exprimées ses inquiétudes quant aux rapports ambigus que la Fédération royale entretient avec le ministère de la jeunesse et des sports, accusé d’ingérence dans ses affaires internes. Preuve de ce contexte tendu, la journaliste de Maroc Football Laila Bartali nous a appris que l’assemblée générale de la Fédération marocaine, le 10 novembre dernier, a tourné au fiasco : « Elle s’est terminée le lendemain matin et, pendant toute la nuit, il y a eu des insultes, des engueulades, des bagarres… À tel point que la FIFA a dû intervenir et le président sortant, qui devait être remplacé, a été obligé de reprendre ses fonctions. »

Ce n’est pas la première fois qu’une affaire de corruption secoue ainsi le championnat marocain. Si rien n’a jamais été prouvé, plusieurs joueurs et entraîneurs ont déjà exprimé leurs doutes quant à la crédibilité de la Botola ces dernières années. Il y a eu, en fin de saison dernière, les déclarations du joueur de l’AS FAR Mustapha Lamrani, qui s’est depuis rétracté sous la pression du club de l’armée : « On sait comment le titre de champion du Maroc se gagne, et ce n’est pas sur le terrain. Les 10 derniers titres, sauf celui acquis par le Moghreb Tétouan en 2011, ont été acquis par des clubs qui ont de l’argent. » Avant lui déjà, Youssef Rossi, l’ancien joueur du Raja aujourd’hui président de l’association des anciens internationaux, avait déclaré que la corruption au Maroc « est un virus qui touche aussi le football » . Un constat partagé par Diego Garzitto, l’ancien entraîneur du Wydad Casablanca, qui a lâché une bombe en janvier 2011, au lendemain de son limogeage, en avouant sur Radio Mars que son club « avait acheté les trois derniers matchs de la saison pour être champion » .

« S’il n’y a pas de preuves, on ne peut rien dire à ce sujet »

En quête de précisions, nous avons finalement pu joindre Diego Garzitto, exilé en Algérie et plutôt réticent à l’idée de s’exprimer. « Je n’ai pas suivi l’affaire Erbate, mais bon, la corruption, ça se passe dans tous les pays, ça se passe partout maintenant. Après, qui fait quoi au Maroc, je n’en sais rien. J’avais discuté à la radio, on m’a posé une question soudaine et j’avais répondu à bâtons rompus. » Quand on lui demande d’expliquer plus en détails les circonstances qui l’ont poussé à exprimer ses doutes en public, le technicien franco-italien reste flou pour des raisons qui lui appartiennent : « Ce sont des choses que j’ai apprises par inadvertance par quelqu’un de proche du club, qui était un véritable connaisseur du football marocain et que je connaissais seulement de réputation. J’étais assis à une table à côté et je l’ai entendu dire ça, mais après je ne sais pas si ce sont des affirmations ou des vérités, je ne suis pas allé lui demander. » Et l’ancien entraîneur du Wydad de conclure : « Je n’ai vraiment commencé à me poser des questions qu’à la fin de mon expérience marocaine. Honnêtement, j’étais auparavant tellement concentré sur mon travail que je ne me suis longtemps aperçu de rien. Mais je me souviens que parfois, lors des matchs, je me demandais si je voyais bien sur le terrain les mêmes joueurs que pendant les séances d’entraînement. Soit ces joueurs ne faisaient pas leur travail sérieusement, soit il y a quelque chose d’autre. »

Dans un contexte où tout est insinué à mots couverts, par peur des représailles, Elamin Erbate fait figure de précurseur et pourrait bien signer, à moins d’avoir menti, une véritable révolution dans l’histoire du championnat marocain. Son exemple pourrait délier les langues et inciter d’autres acteurs à le suivre. De nombreux interlocuteurs s’accordent en off sur le fait que l’affaire qui secoue actuellement le Raja Casablanca n’est que la partie émergée de l’iceberg, et que le problème est peut-être généralisé à plusieurs clubs du championnat, comme semble d’ailleurs l’indiquer l’instruction autour de la rencontre entre le KAC et le Raja Beni Mellal, soupçonnée de trucage. Et le journaliste Mouhib Abdelilah de conclure : « S’il n’y a pas de preuves, on ne peut rien dire à ce sujet. » Tout l’intérêt de l’audience de ce lundi, pour que la vérité éclate enfin.

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