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Procès des vrais-faux agents à Marseille : Le déballage avant le ménage ?
Du lundi 28 au mercredi 30 octobre, huit personnes comparaissaient dans une vaste affaire d’exercice illégal de la profession d’agent. Au centre des accusations, John Valovic-Galtier, le fils de Christophe Galtier. Récit d’un grand déballage qui donne un petit aperçu des coulisses du marché des transferts français.
« Les transferts, ce sont comme les lois et les saucisses : mieux vaut ne pas voir leur préparation », aurait (presque) dit Otto von Bismarck en son temps. Du lundi 28 au mercredi 30 octobre, dans la première salle du tribunal de Marseille, un échantillon représentatif de l’écosystème du marché des transferts du football français passait justement à la casserole pour décortiquer le fonctionnement de l’arrière-cuisine du football hexagonal et, éventuellement, y faire le ménage.
Assis en rang, les huit prévenus sont poursuivis pour escroquerie, exercice ou complicité dans l’exercice illégal de la fonction d’agent, faux et usage de faux. Parmi eux figure Damien Comolli, ancien compagnon de route d’Arsène Wenger à l’AS Monaco, au Nagoya Grampus ou à Arsenal, aujourd’hui président du TFC. On trouve aussi Emmanuel Desplats, directeur général du Dijon FCO. Ou encore David Wantier, agent licencié par la FFF, à cheval entre son rôle de conseiller du recrutement en tant que consultant à l’AJ Auxerre et gérant de l’agence Constellium, jouant sur les limites d’un système qui interdit à un employé de club d’officier comme agent de joueur. Un autre agent licencié par la 3F est, comme son collègue, lui aussi soupçonné d’avoir servi de prête-nom pour l’obtention de commissions sur des signatures de contrats ou des transferts, en la personne d’Alexandre Bonnefond. L’ancien patron de Score Agencies comparaît aux côtés du fondateur de l’agence David Venditelli et de Jérémie Sutter, officiellement conseiller sportif de l’entreprise.
Faux agents dans le football : 18 mois avec sursis requis contre John Valovic-Galtier ➡️ https://t.co/AcxnZVHP0U pic.twitter.com/jvK8g7Z7um
— Le Parisien | sport (@leparisiensport) October 30, 2024
Enfin, et surtout, l’homme au cœur de cette affaire rocambolesque, qui fait le lien entre les différents protagonistes : John Valovic-Galtier, le fils adoptif de Christophe Galtier, ancien salarié et collaborateur de Score Agencies, également poursuivi pour blanchiment aggravé en compagnie de Venditelli. Il est aussi le fondateur de l’entreprise de scouting Football Avenir et de l’agence Player Agency, où il emploie Tristan Sauzon, agent licencié, ancien assistant d’éducation en collège et lycée auquel il a ouvert son carnet d’adresses après avoir été écarté de Score Agencies.
Quand Bernès règle ses comptes
L’histoire commence le 26 octobre 2021, quand un certain Jean-Pierre Bernès fait part au parquet de Marseille de ses soupçons envers John Valovic-Galtier, l’accusant d’un potentiel exercice illégal de la fonction d’agent. En cause, son rôle dans la signature d’Andy Delort à l’OGC Nice, alors entraîné par Galtier père. Bernès s’estime victime d’une concurrence déloyale, et chiffre son manque à gagner à sept millions d’euros. Quelques semaines plus tard, le 10 décembre 2021, le voilà auditionné par le parquet marseillais : une manière selon certains de « régler ses comptes » avec une nouvelle génération d’agents, coupable de lui avoir volé certains clients, tel que… Christophe Galtier lui-même, désormais représenté par Alexandre Bonnefond via Score Agencies. Un client qui rapporte gros à l’écurie de Valovic, en témoigne la somme dépassant le million d’euros touchée par l’agence lors de sa signature à Lille puis les 417 000 euros de commission à nouveau engrangés quatre ans plus tard, lors de la signature de ce dernier à Nice cette fois.
Étrangement, dans les semaines qui suivent la transaction à la rentrée 2021, Score Agencies reverse 214 000 euros à une société détenue par Valovic-Galtier, pour « une activité de scouting et de suivi des clients », justifie ce dernier. Un paiement sur factures peu détaillé, comme en atteste la présidente du tribunal lors de l’audience, et officiellement effectué pour des journées de travail facturées à 1000 euros, quand bien même les rapports de scouting transmis ne sont pas légion. Par messages, Valovic et Venditelli témoignent même d’un partage à parts égales de la commission. Problème, ni l’un ni l’autre n’a de licence d’agent de joueur, et ne peut donc être rétribué pour ces activités.
Entre Valovic et Bernès, le contentieux semble ancien. Alors que ce dernier gère les intérêts de son père adoptif, son activité suscite l’intérêt du fils. L’omnipotent agent refuse d’intégrer JVG à sa structure. Lors du décès de son père biologique en 2015 et après dix ans en tant que commercial dans la boîte de celui-ci, il décide de se lancer dans le petit milieu des agents sportifs. Il échoue à obtenir sa licence officielle en 2017 et en 2019, ce qui ne l’empêche pas d’entreprendre des activités de scouting ou d’accompagnement de joueurs à partir de 2016, d’abord en tant que salarié, puis comme prestataire de Score Agencies via son entreprise Football Avenir.
Le gang des Lyonnais
Score Agencies, c’est la société créée en 2000 par David Venditelli, basée à Lyon, à l’origine investie dans la gestion d’image, notamment numérique, des joueurs. Éphémère joueur pro, formé à l’OL, il rêve d’une agence précurseur dans l’encadrement des joueurs professionnels dans un milieu « archaïque » où « l’image des agents avec les lunettes fumées et les grosses mallettes » est encore une réalité. En 2005, il rate le concours pour obtenir la fameuse licence d’agent FFF, et recrute donc Alexandre Bonnefond, titulaire du précieux sésame. Ils sont rejoints trois ans plus tard par Benjamin Sutter, ancien collègue du centre de formation de Venditelli. Un passé qui leur permet d’enrôler des joueurs du cru comme Alexandre Lacazette, Castello Lukeba ou encore Romain Del Castillo. Interrogé au cours de l’enquête, Lacazette considère Venditelli comme son agent officieux, tandis que Bonnefond est l’officiel qui « intervient à la fin des contrats ». Venditelli aurait donc exercé en tant qu’agent ? Un simple abus de langage, ou plutôt « un terme de commodité », balaye l’intéressé.
Un terme de commodité que l’on retrouve dans la bouche de Del Castillo, dont le transfert à Rennes à l’été 2018 rapporte 150 000 euros à Score Agencies, puis 205 000 kopecks à nouveau lors de sa signature à Brest, le 31 août 2021. Cet été-là, David Venditelli est alors président du club de Bourg-Péronnas, ce qui lui interdit d’exercer sa profession d’agent. Mais dans le cas Del Castillo, c’est Jérémie Sutter qui remplit cette fonction depuis « ses premiers matchs » en pro. C’est d’ailleurs bien lui qui a traité avec Grégory Lorenzi, directeur sportif du SB29, pour le faire venir dans le Finistère. S’il connaît Alexandre Bonnefond « de nom », le seul agent licencié de la structure qui gère ses intérêts, il ne l’a en revanche « jamais vu ». L’enquête révèle qu’aucun contact entre les deux hommes ne peut être établi en marge du transfert.
Sutter, masque chirurgical noir et lunettes fumées sur le nez dès qu’il tourne le dos au tribunal, élude la déposition gênante : le numéro 10 de l’actuel 5e de Ligue des champions a simplement fait « de nombreuses erreurs » lors de son audition. Pourtant, quand à l’été 2023, Leeds fait part de son intérêt pour le joueur, c’est encore Sutter qui commande les négociations, de la même manière que c’est lui qui rédige le mail faisant part de ses ambitions salariales au moment d’aborder sa prolongation de contrat en septembre 2023. Sutter transmet la missive à Bonnefond avec l’ordre de faire suivre. Bonnefond obtempère à la virgule près, donnant l’impression de n’être qu’un intermédiaire, voire une simple « boîte aux lettres ». « Nous étions d’accord sur tout », tente l’agent pour sa défense.
Le simple conseiller sportif joue également un rôle prépondérant dans le retour d’Alexandre Lacazette à Lyon, après quatre ans de service du côté d’Arsenal. Venditelli parti à Bourg-en-Bresse, Sutter prend le relais dans l’accompagnement du Général. C’est lui qui rencontre Arsène Wenger avant de faire l’intermédiaire avec Jean-Michel Aulas pour parler salaire. Un rôle que l’intéressé dément. Lacazette n’aurait besoin de personne pour dialoguer avec l’ancien président lyonnais. « J’explique mes souhaits à Monsieur Sutter, et il les formule au club », soutient quant à lui l’attaquant.
« C’est qui, lui ? »
La pratique semble généralisée chez Score Agencies, en témoigne le transfert de Quentin Boisgard de Toulouse à Lorient, à l’été 2020. Le joueur, originaire de Pau, a été amené dans le giron de Score par John Valovic-Galtier, recruté pour développer l’activité de l’agence, cantonnée en région lyonnaise, dans le Sud-Ouest notamment. Le transfert rapporte 57 000 euros de commission. Qui négocie la convention tripartite nécessaire à la négociation du transfert entre Toulouse, Lorient et l’agence ? Pour le joueur, c’est clair : « Sur le papier, c’est Alexandre Bonnefond, en réalité, c’est John Valovic Galtier », explique-t-il tranquillement. Si Bonnefond dit avoir participé à la mise en relation et rédigé le contrat, il n’est pas présent lors de la signature de la convention, effectuée dans son dos.
Même son de cloche pour Clément Michelin, actuellement au Racing Santander, dont le départ de Toulouse au RC Lens rapporte 77 000 euros à Score. Interrogé sur le gestionnaire de sa carrière, il répond que « ça a toujours été John Valovic-Galtier, et Bonnefond est là pour la signature des contrats ». « C’est qui, lui ? », se demande même le jeune espoir lyonnais Irvyn Lomami, que Bonnefond représente officiellement, alors qu’il n’est même pas présent lors de la signature de son premier contrat et que Lomami n’est pas en capacité de le reconnaître tandis qu’ils se trouvent à quelques mètres l’un de l’autre. Pourtant, ce n’est pour aucune de ces transactions que John Valovic-Galtier et ses associés se retrouvent aujourd’hui poursuivis.
Bien que seul titulaire de la licence permettant à l’agence d’occuper le marché, Alexandre Bonnefond, bonne poire, est de loin le moins bien loti de la boîte : sur la période 2018-2022, il perçoit environ 130 000 euros, près de dix fois moins que John Valovic-Galtier. Jérémie Sutter émarge dans le même temps à environ 80 000 euros annuels. Venditelli dégage lui plus de 2 millions d’euros de dividendes sur la même période. Malgré tout, aux yeux de l’actionnaire majoritaire, Valovic se montre trop gourmand, lui qui toucherait « 50 à 60% des commissions de Score Agencies » et que Venditelli estimait « plus solide commercialement ». Pour David Venditelli, JVG « les a enflés ». Qu’importe, Valovic poursuit sa route au sein de sa propre structure, où il recrute Tristan Sauzon, major de promo l’année où il se rencontre lors de leur formation pour obtenir la licence d’agent, en 2017.
En 2022, les deux compères créent Player Agency, dont Sauzon devient président. Rapidement, la boutique tourne bien. Valovic collabore avec Constellium, la société de Dominique Wantier, le conseiller au recrutement prestataire de l’AJ Auxerre. Constellium rémunère Player Agency à hauteur de 10 200 euros pour un rapport de scouting pour l’AJA, puis 72 000 euros pour avoir servi de relais d’information pour le transfert d’Andy Delort de Nice à Nantes, pour avoir fait passer le mot que le club de la préfecture des Pays de la Loire était intéressé par le buteur des Aiglons.
Le traquenard de l’argent du Qatar
Outre le transfert d’Andy Delort, deux autres transferts sont identifiés comme ayant donné lieu à des commissions illégales par les enquêteurs : celui d’Alex Dobre, alors sous contrat chez Constellium, de Dijon à Famalicão pour 150 000 euros – ce qui vaut à Emmanuel Desplats, directeur général du DFCO, de figurer parmi les accusés – et celui de Lenny Joseph, transféré de Metz à Strasbourg. Mais le plus gros coup de Player Agency est incontestablement la signature d’un mandat de représentation exclusif de Christophe Galtier au mois de juillet 2023 avec Tristan Sauzon, peu avant que l’ancien entraîneur du PSG, alors visé par des accusations de racisme, ne s’envole pour Al-Duhail au Qatar, club détenu par des membres de la famille de Nasser al-Khelaïfi. Valovic négocie les termes financiers, dont une commission de 232 000 euros à verser de la part de Christophe Galtier et de son nouvel employeur, pour un total donc de 464 000 euros empochés par Player Agency. Le 8 avril 2024, Al Duhail réalise un versement de 135 000 euros à l’agence. Dans les semaines qui suivent, Valovic se verse à son tour 100 000 euros. On n’est jamais mieux servi que par son père, semble-t-il. De quoi fournir une preuve irréfutable d’une rétrocommission perçue illégalement, selon le parquet.
Une autre affaire gérée en famille, d’une valeur financière bien moindre, mais tout aussi importante dans la construction de l’accusation, revient également. À l’été 2023, Valovic négocie le contrat de son frère Jordan Galtier, qui passe d’adjoint à l’AC Ajaccio à bras droit de Carles Martínez Novell au TFC, négociant avec Damien Comolli une commission de 5% du salaire brut hors taxe sur le contrat de son reufton, soit 3900 euros en tout et pour tout. Comolli lui envoie par message l’offre finale, que John accepte immédiatement. Au moment de prévenir l’AC Ajaccio, c’est encore John qui lui transmet les numéros de Johan Cavalli, coordinateur sportif de l’ACA, et de Jean-Noël Fattaccioli, vice-président chargé des finances. C’est là que le bât blesse pour le président toulousain, qui a signé un accord tripartite avec Player Agency, et se retrouve à procéder à ce qui s’apparente à « mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement » avec un agent non licencié par la Fédé, comme le précise l’article 222-7 du code du sport.
Du début à la fin de ce procès, cet article s’est retrouvé au cœur des débats. D’entrée de jeu, les conseils de la défense ont déposé une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour débattre de la constitutionnalité de cette formulation, trouble à leurs yeux, de mise en rapport. Le recours est refusé, les termes considérés comme « suffisamment clairs et précis pour permettre au juge son interprétation voire sa sanction ». Une notion sur laquelle prévenus et procureur n’ont pourtant pas semblé s’entendre, en témoigne la prise de position de Damien Comolli, accusé le plus clair dans sa prise de parole : « Il n’y a aucune mise en rapport puisque j’ai moi-même approché Jordan sur la pelouse en marge d’Ajaccio-Toulouse en mai 2023, nie l’intéressé. Ensuite, quelle loi m’empêche d’envoyer nos propositions à son frère, sachant que c’était non négociable ? Il faut être ingénieur de la NASA pour mener une négociation. Dans mon rôle de président, c’est impossible de connaître tous les textes, tous les règlements, toutes les jurisprudences… »
Établir une frontière claire et entendue par tous entre les tâches administratives pouvant être déléguées aux collaborateurs des agents sportifs et les prérogatives leur étant réservées, tel est l’enjeu derrière le jugement que doit rendre la présidente Azanie Julien-Rama. En attendant, il faudra peut-être emprunter certaines compétences à la NASA pour poursuivre le nettoyage des écuries d’Augias du football français.
Post-Scriptum :
Le parquet a requis dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et 200 000 euros d’amende contre John Valovic-Galtier, un an de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende contre David Venditelli, dix mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende contre David Sutter, ainsi que huit mois de prison et 10 000 euros d’amende assortis d’un an d’interdiction d’exercice contre Alexandre Bonnefond. Pour Tristan Sauzon, ce sont six mois avec sursis, 5 000 euros d’amende et six mois d’interdiction d’exercer qui ont été requis, trois mois de prison avec sursis et une amende similaire concernant David Wantier. Le procureur a requis 20 000 euros d’amende contre Damien Comolli, et 10 000 euros d’amende contre Emmanuel Desplats.
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