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Procès Blatter-Platini : le vrai visage du foot ?
Le procès qui se déroule du 8 au 22 juin devant le Tribunal pénal fédéral suisse, avec comme principaux protagonistes Michel Platini et Sepp Blatter, possède de nombreuses facettes : procédurière, judiciaire, politique aussi... Surtout, sans même chercher à prouver ou non la culpabilité des inculpés « pour soupçons d’escroquerie, de gestion déloyale, d’abus de confiance et de faux dans les titres », les faits révélés suffisent à jeter une nouvelle lumière sur la réalité du football aujourd’hui, et surtout de sa maison-mère, la FIFA.
Les championnats se sont arrêtés sur le Vieux Continent. Et la Ligue des nations risque peu de susciter des passions capables d’occulter l’autre actualité du football : le procès de Sepp Blatter, ancien président déchu de la FIFA, et Michel Platini, ex-boss de l’UEFA tombé en disgrâce. Pourtant, à l’instar du choc entre avocats qui vient de se terminer entre Amber Heard et Johnny Depp quelque part du côté de Fairfax, Virginie, la notion de victoire ne se mesurera pas seulement en matière de condamnation ou d’amende. L’enjeu principal se situe presque ailleurs. Le véritable jugement portera finalement sur le football et de ce qu’il est devenu, et à quel point le voile s’est déchiré sur les belles déclarations humanistes ou l’entre-soi paisible au bord des lacs suisses. Ce cas assez banal d’un point de vue juridique constitue pourtant un beau mélange des genres. Les amoureux du théâtre y décèleront du Shakespeare tant la relation filiale trahie entre ces deux « seigneurs » ne détonerait pas dans l’œuvre du génial dramaturge. Les âmes de comptable s’amuseront devant les sommes évoquées et en contemplant le fonctionnement d’une FIFA toujours couverte par un étrange statut d’organisation à but non lucratif, qui l’immunise du fisc. Enfin, les lecteurs de Machiavel ou de Sun Tzu chercheront dans le détail les révélations sur l’art de la guerre au sein des grandes instances du sport international où tous les coups sont permis, de quoi ravir également les fans de Succession.
Platini, l’ange vert déchu
Premier nom auquel nous pensons, avec notre petit chauvinisme tricolore : Michel Platini. Ce grand héros du peuple et du foot français se retrouve dans des habits qu’il ne voulait certainement jamais endosser devant l’opinion et encore moins l’histoire. Il n’aime pas parler d’argent, paraît-il. Concernant les fameux 2 millions de francs suisses touchés neuf ans plus tard, après une promesse « orale », il se contente de prêcher sa sincérité. Une ligne de défense qui ne tient pas compte du montant et surtout du procédé. Il a « oublié » de réclamer et pour le reste, il a fait comme « tout le monde » ? Seulement cette fable ne tient guère la route, et surtout égratigne jusqu’au sang sa légende. En amont, l’immense joueur des Verts, de la Juve, le numéro 10 mythique des Bleus, qui ensuite partit en croisade pour défendre le plaisir du jeu avant l’appât du gain, au point de reprendre de volée l’idée de faire classer le foot par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité. Devant le guet du tribunal, un cadre sup’ d’une multinationale qui réclame d’être cru sur parole. Qu’il y ait eu infraction ou non devient secondaire. Un tout autre visage se révèle. Pas celui d’un innocent corrompu par le système, mais de la banalité d’un cursus et de la conversion aux us et coutumes d’un monde où l’on sait cajoler, financièrement, ses amis. Les soupçons autour de son soutien à la candidature du Qatar, et d’un certain dîner en présence de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, finissent de ternir une auréole qui brille de moins en moins.
Blatter, le roi déchu
Sepp Blatter maintenant. Il a incarné tellement de mutations du football et de la FIFA. Son appétit économique, sa soif de puissance, son besoin de reconnaissance parmi les grands de ce monde, jusqu’à rêver d’un prix Nobel de la paix. Un roi sans royaume, qui ne voulait plus quitter son trône, au point de conduire son successeur désigné, Michel Platini, à se dresser contre lui. Il servira de fusible quand l’accumulation des scandales (Panama Papers, Football Leaks, etc.), des révélations ou des enquêtes (sur l’attribution des coupes du monde par exemple) exigeront une pseudo opération « mains propres » . Il entraînera donc dans sa chute son Brutus. Il se retrouve à ses côtés pour une faute commune qu’aucun ne voyait ainsi à l’époque. En venant raconter ce gentil arrangement, voilà le foot des costards qui rappelle celui des shorts, les petits arrangements du mercato ou autres primes à la signature. Sauf que dans les bureaux feutrés de Zurich ou Nyon, on doit plutôt lorgner vers Wall Street ou les GAFA. Il ne faut pas oublier le diable sorti de sa boîte en la personne de Gianni Infantino. Il a commencé son mandat en promettant de remettre le foot au cœur de la mission de la FIFA. Il s’est retrouvé à servir la soupe à Poutine et en bouclier humain médiatique du Qatar. Sepp Blatter a bien dû sourire souvent devant sa télé.
Et le foot dans tout cela ? Qu’a-t-il à gagner dans ces quelques jours et joutes entre juristes ? Un triste spectacle offert par ces grands hommes en charge du destin de ce sport, le plus important au monde, et qui finissent par se comporter bassement comme les vulgaires cadres seniors d’une multinationale, où le ruissellement n’est pas cette fois un vain mot. Une tendance lourde aussi qu’aucun cadre ni loi ne vient réguler, et ce ne sera sûrement pas ce procès qui en stoppera la course folle. Le tarif de consulting de Michel Platini rappelle après tout le coût de certains rapports de cabinet d’expertise tel McKinsey pour notre gouvernement, dénoncé par le Sénat, et dont la qualité et la réalité du travail paraissent douteux. Une fois encore, heureusement pour nous, le foot est plus grand que la FIFA ou la Superligue.
Par Nicolas Kssis-Martov