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Prime Video : prime à la déclasse
Certains diront qu’un Strasbourg-HAC vaut bien deux euros de plus. Il n’empêche que l’augmentation du Pass Ligue 1 sur Prime Video semble indécente, surtout quand le produit a perdu de sa valeur, ne serait-ce qu’avec le passage à 18 clubs. Mais quelqu’un doit mettre la main au pot, et comme souvent, c’est au consommateur de s'en charger.
Que vaut la Ligue 1 ? Cette question lancinante vient donc de trouver une réponse partielle et temporaire : 2 euros de plus pour les abonnés d’Amazon Prime. Cette grosse pièce supplémentaire surprend alors qu’en passant 18, le nombre de matchs à voir va inévitablement diminuer. Notre championnat va encore davantage devenir un luxe – relatif – dans le budget de nos concitoyens et concitoyennes, notamment les plus modestes. Cette spirale ne finira-t-elle pas, surtout, par produire de dangereux effets pervers ?
À partir du 4 août, il faudra donc débourser 14,99 euros pour accéder au Pass Ligue 1, en plus des 6,99 euros de Prime Video indispensables pour accéder au service d’Amazon, soit un peu moins de 22 euros en tout (la formule annuelle à 99 euros ne bouge pas). Le premier constat est mathématique. Chaque rencontre coûtera plus cher, puisque la Ligue 1 a perdu deux équipes. La principale explication est basiquement financière. Arrivé en sauveur après le fiasco de Mediapro, Amazon avait négocié un contrat très avantageux avec la LFP (259 millions pour 80% des rencontres dont l’affiche du dimanche soir), au grand dam de Canal Plus. Toutefois, malgré une si bonne affaire, en faisant ses comptes, le groupe américain a vite déchanté. Bien que difficile à déterminer, le nombre d’abonnés est estimé autour de 1,5 million pour un déficit qui approcherait 120 ou 130 millions par an. Il devenait urgent de redresser la barre, ou du moins les bilans de fin d’année. Ce constat donne aussi une vision froide de l’attractivité et du seuil de rentabilité de notre Ligue 1 pour les potentiels diffuseurs.
Peu de clinquant à la vie comme à la scène
Dans ce contexte donc, les rêves que porte le prochain appel d’offres de la LFP, lancé le 12 septembre 2023 – le fameux milliard d’euros –, paraissent d’ores et déjà prendre du plomb dans l’aile. D’autant plus que la saison 2023-2024 perdra de sa valeur intrinsèque et de son attractivité. Les départs de Messi, peut-être celui de Neymar, sans compter l’incertitude autour de Mbappé : les têtes de gondole de la vitrine PSG s’amenuisent, entraînant dans sa chute le pouvoir de séduction du championnat, y compris auprès des jeunes générations. Vincent Labrune brûlera sûrement des cierges avant le barrage de l’OM en C1.
Cependant, au-delà de ces considérations très capitalistes, se pose aussi la question de l’audience du football dans notre pays. Qui pourra encore se permettre de lâcher autant, alors que l’inflation par exemple se maintient, elle, à un haut niveau, et que les ménages réduisent y compris leurs dépenses alimentaires ? Que restera-t-il de la dimension « populaire » de notre championnat ? Le choix à court terme d’augmenter sans cesse la note pour un consommateur « vache à lait », supposé accro, ne va-t-elle pas se révéler suicidaire finalement ? Surtout face à la concurrence d’autres produits davantage appétissants (la Premier League, cette NBA du ballon rond, ou la Ligue des champions, et ses rares clubs français en lice). Le cinéma a déjà fait l’expérience des conséquences d’une montée du prix ticket d’entrée, pour s’étonner ensuite d’une baisse de la fréquentation. La passion pour la Ligue 1 va-t-elle désormais se limiter à des cotes de paris en ligne scrutées par des personnes qui la suivront exclusivement sur les réseaux sociaux ou sites de streaming. Ou bien, à l’autre extrême, dans le choix élégant de ceux et celles qui iront encore au stade, à l’image de ces amoureux élégiaques de la musique qui préfèrent les vinyles à Deezer ?
Par Nicolas Kssis-Martov