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Prime à l’honneur
L’état de grâce aura duré fort peu de temps. Après la polémique concernant le chronométrage de leur passage sur les Champs et la prise en otage jupitérienne, voilà que nos Bleus en viennent, déjà, à parler argent. Et, en plus, à cause de l’enfant prodige Kylian Mbappé. Ce dernier a en effet décidé de redistribuer la totalité de ses primes à une œuvre caritative.
Reverser l’intégralité de ses rémunérations liées au Mondial (vraisemblablement autour de 350 000 euros) à l’association « Premiers de cordées » . Voilà la décision de Kylian Mbappé. De l’inédit ? Non. La charité n’est pas franchement une nouveauté dans le foot. Régulièrement, les pros, de tout gabarit et de toute renommée, font don de leur personne et de leurs deniers pour diverses causes. Chez nos amis de la perfide Albion, « England football charity » a par exemple récupéré 5,6 millions d’euros de la part des Three Lions depuis que la coutume beckhamienne s’est imposée.
La décision du Parisien s’inscrit, elle, dans un contexte particulier. Elle participe de la redéfinition de la relation entre les Bleus et le pays, un peu de la même manière que l’emploi récent et systématique de mots symboliquement forts tels que « République » ou « unité nationale » . Car au-delà de la somme elle-même, de sa valeur monétaire pure – qui peut sembler anecdotique pour qui connaît le salaire mensuel du jeune pensionnaire du Parc des Princes –, il s’agit finalement de discuter (voire de gloser) sur les valeurs du foot, de la place de ce sport dans la société et de ce qu’il doit à son peuple.
Une vision juste ?
Avec la candeur qui fait son charme médiatique, et pour tout dire politique (un banlieusard exemplaire qui ne déborde que sur le terrain), Kylian Mbappé a exprimé simplement sa vision : « Les joueurs ne devraient pas recevoir d’argent pour défendre leur équipe nationale, c’est de l’argent qui serait plus utile à leur peuple. Je ferai don de tous mes revenus de Russie 2018 à une fondation, en reconnaissance de leur confiance et de leur soutien. »
Le propos prend ici une tournure étonnante, amplifiée de millions de Marseillaises retenties le 15 juillet. L’idée est claire : on est au service de la nation quand on frappe le cuir pour la sélection tricolore. Ce type de dévouement patriotique ne saurait justifier le moindre émolument en retour, hormis, comme en caserne au temps du service national, le gite et le couvert. L’intention est noble, le geste est beau, le discours imparable. D’ailleurs, Noël Le Graët s’est senti obligé de monter au front pour éteindre une éventuelle polémique et dédouaner par avance sa fédé : « Mbappé a choisi une position personnelle de laisser la quasi-totalité de ses gains à des associations. D’autres joueurs se sont regroupés, on les a un peu aidés. D’autres sont tout à fait libres de faire ce qu’ils veulent, il n’y a pas de directives particulières. »
Trentaine de millions… Sans le reste
La réflexion de « l’enfant de Bondy » se révèle pourtant un peu courte si on dépasse le cadre de l’opposition binaire « milliardaires à crampons » / « héros des temps modernes » . Certes, le football n’est plus un sport comme un autre. La capacité qu’il démontre à mobiliser encore une population s’avère unique. A contrario, il existe peu de chance qu’un quidam craque un fumi en 2024 si nous atteignons les objectifs de médailles fixés par le CNOSF. D’ailleurs, pour enchaîner sur les anneaux, les athlètes couronnés de Sotchi ont juste quémandé une défiscalisation pour payer leur stage en altitude.
Plus prosaïquement, rappelons que pour cette fois, l’argent touché par nos joueurs provenait de la dotation de la FIFA, distribuée aux équipes participantes selon leur résultat à partir de l’énorme pactole que représente un mondial (droits télé…). En gros, trente millions de dollars pour la FFF, dont 30% reversé aux principaux intéressés (une proportion assez similaire à l’Allemagne ou l’Espagne). Rien qui ne sorte des caisses publiques, à la différence des indemnités des députés ou des salariés du cabinet présidentiel. De facto, cette rémunération n’est ni choquante ni immorale. Les Bleus reçoivent une petite part de l’immense gâteau dont ils sont les principaux artisans et sur lequel se goinfre allègrement la multinationale du ballon rond.
Un exemple qui appelle à suivre
En revanche, nos républicains en short pourraient demander à la Fédé comment elle compte utiliser les 70 % restants. Bien sûr, il a été promis que le foot amateur (même le féminin) en récolterait les dividendes. Les Bleus, qui ont dû abréger leur communion avec leurs supporters pour rejoindre la garden party présidentielle, seraient de la sorte bien inspirés de surveiller du haut de leur nouvelle stature et sens du devoir le fléchage de ces quelques dizaines de millions d’euros.
Ce serait, pour le coup, rendre un véritable hommage aux centaines de bénévoles des associations locales qui profitaient de l’open bar et du selfie de leur vie dans les jardins élyséens. De simples anonymes auxquels ils ont tous rendu un hommage reconnaissant. Enfin, quitte à admettre devant les caméras ce qu’ils doivent aux Français, que les joueurs n’oublient pas non plus l’effort qu’ils accomplissent par leur impôts dans les infrastructures et les subventions aux associations qui expliquent et fondent la si grande force de notre système de formation. Ne pas oublier, en somme, que selon les bons mots d’Emmanuel Macron, leur nouvelle légitimité aurait plus de poids pour « rendre » aux supporters « la force » qu’ils ont reçue de leur part. Le mot de la fin ? Félicitations, M. Mbappé.
Par Nicolas Kssis-Martov