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Preud’homme : « J’ai téléphoné à Mourinho : « Amène-toi ! » »
Meilleur gardien du monde en 1994, Michel Preud’homme, sur le banc du FC Bruges depuis 2013, peut se targuer d’être devenu un entraîneur à succès. Ainsi que le premier à avoir donné sa chance à José Mourinho. À l'heure de mettre les pieds à Porto, le coach revient sur tout. À commencer par cette enfance passée à conduire des tracteurs.
Quand vous étiez enfant, il paraît que vous traîniez beaucoup dans la ferme du voisin…À 200 mètres de ma maison, il y avait une ferme qui n’était séparée de chez moi que par une prairie. J’étais un peu fasciné : on voit des tracteurs passer, des machines agricoles et les animaux bien sûr, surtout les vaches.
Quand on est petit, on vous met sur le tracteur, dans le champ, il roule à 3 à l’heure pendant que les autres chargent les ballots à la fourche, et voilà, ça a commencé comme ça : j’étais content, je conduisais le tracteur, on me disait : « Tout droit, tu suis la ligne. » J’ai fait ça chaque année, puis j’ai commencé à faire d’autres choses dans la ferme et finalement, je savais tout faire : semer, faucher, réparer les machines, traire, ça me passionnait… et ça m’a aussi permis de m’acheter mon premier vélo-moteur. Puis il y a eu cette anecdote : le jour où le gardien titulaire du Standard s’est blessé avant un tournoi appelé la Coupe d’été, j’étais en train de travailler dans une prairie. C’est le fermier qui est venu me dire qu’on avait téléphoné et que je devais être le lendemain à l’entraînement avec l’équipe première.
En 1994, vous êtes le gardien du Mondial. Qu’est-ce qui vous reste le plus en tête de cet été aux USA ?J’étais dans un état que certains appellent la transe. Moi j’appelle ça la forme : quand on est en super forme, on lit presque ce qui va se passer avant que ça n’arrive. C’est un phénomène de forme et de concentration extrême et tout paraît logique. Tu vois un mouvement, une frappe d’un joueur et tu peux anticiper, c’est le feeling, ce que tu recherches tout le temps parce que quand tu l’as connu, tu veux tout faire pour le retrouver.
À côté de ça, le titre de meilleur gardien doit finalement vous apporter moins de sensation…C’est pas la même chose. Quand on reçoit un trophée individuel, ça fait plaisir, c’est un accomplissement : Soulier d’or, meilleur gardien du monde, meilleur gardien de Coupe du monde… Déjà, être plébiscité en Belgique, c’est bien, mais alors quand tu vois tous les gardiens dans le monde entier, ben tu te dis : « C’est énorme » , mais tu n’en profites pas, ce n’est pas la même joie que quand tu gagnes une Coupe, un championnat et que tu exploses. Là, tu es seul.
Après le Mondial 94, vous partez au Benfica Lisbonne. Pourquoi ce choix, alors que vous deviez être libre ?Moi, mon premier rêve, c’était l’Italie, parce que c’était l’Angleterre de maintenant. J’étais en plus fort apprécié là-bas : Torino, Brescia et Milan me suivaient. C’était pour moi le plus beau championnat du monde et il était parfait pour un gardien parce qu’il y avait de l’organisation. Il y a eu d’autres clubs qui sont venus aux nouvelles : Porto, Nottingham Forest et Bordeaux qui était encore avec Claude Bez. Mais c’était toujours le même problème du nombre d’étrangers. Puis Benfica est venu, avec Artur Jorge comme nouvel entraîneur qui a dit : « Les autres entraîneurs achètent des avants, moi je veux d’abord un bon gardien. » Benfica, c’était aussi un club mythique, un stade de 120 000 personnes. Puis j’avais trente-cinq ans, je savais que je n’aurais plus 10 000 possibilités de transfert, même si j’en ai finalement eu…
Le Real ?Oui. En 1996, Capello arrive au Real et demande à un manager de me contacter : il voulait Preud’homme. À trente-sept ans, c’est fabuleux ! Il me restait un an à Benfica à ce moment-là, mais le contrat était déjà réglé avec trois saisons au Real, mais Benfica a dit : « Dans la situation actuelle, si on n’amène pas un monument pour le remplacer, les socios vont nous tuer. » Donc ils ont essayé de contacter Chilavert : s’il était venu au Portugal, Benfica m’aurait laissé partir au Real… Il n’est pas venu, c’est Illgner qui est allé au Real. Ils sont devenus champions et ont gagné la Ligue des champions l’année d’après. Alors imagine si j’avais joué de trente-cinq à trente-sept au Benfica et de trente-sept à quarante au Real tout en gagnant le titre et la Ligue des champions, ça aurait été le sommet !
Mais vous terminez en tant que joueur au Benfica où on dit que vous avez lancé Mourinho…
C’est pas « lancer » … En 2000, le président de Benfica me dit : « Michel, il me faut un entraîneur, c’est ton boulot. » J’ai donc dessiné plusieurs profils et j’ai dit au président : « J’en ai un, mais il n’est même pas encore entraîneur. » – « Un entraîneur qui n’est pas entraîneur ? Dis-moi qui c’est ! » – « Mourinho. » Je l’avais rencontré quand je suis allé visiter Barcelone. On devait normalement discuter une heure, finalement on a parlé cinq heures de foot, de tactique, de passion, de ceci et de cela… Il m’avait dit qu’il voulait se lancer comme entraîneur, et je sais pas, j’ai eu un feeling, je sens ça. « Allez d’accord, on va pour celui-là » , a dit le président. Il était 22h, je téléphone à Mourinho, il était à Porto : « Amène-toi ! » Vers 2h, on fait le contrat dans le bureau du président, et à 8h du matin, on fait la conférence de presse. On a tout réglé en une nuit ! Malheureusement, quatre mois plus tard, le président a perdu les élections, Mourinho a demandé des confirmations pour son contrat, on ne lui a pas donné, il est parti et je l’ai suivi un mois plus tard. Une nouvelle ère commençait pour Benfica.
Vous avez encore des contacts avec lui ?Il m’appelle de temps en temps, mais il a une vie tellement terrible… Je sais ce que c’est à mon niveau, alors lui, j’imagine ce que ça doit être : on n’a plus de moment pour soi. Il ne répond jamais lui-même au téléphone, mais à l’occasion, je reçois un appel – je connais le numéro évidemment – et c’est son ami qui me dit : « Michel, je te passe José. » Avant un match de Ligue des champions ou quoi, pour souhaiter bonne chance. Le lien restera toujours.
Mais c’est plus qu’un lien. On vous compare parfois, notamment concernant la protection de vos joueurs par rapport à la presse…Ce n’est pas un truc qu’on a appris l’un de l’autre. On s’est peut-être bien entendu parce qu’on est sur la même longueur d’onde, aussi. Mais j’estime qu’il faut défendre les joueurs, essayer de leur enlever une certaine pression et l’entraîneur est là pour ça. Bon maintenant, pour la comparaison, c’est un autre niveau quand même…
Mais, comme lui, vous gagnez partout où vous passez.Quand j’arrive dans un club, je vois ce qui a été fait, ce qui a manqué, ce qui n’est plus arrivé et ce qu’on peut faire, nous. Au Standard, c’est mon club, je savais qu’après plus de vingt ans, il fallait essayer d’être champion. On a donc restructuré tout le club, il manquait le dernier pas sur le terrain. À Gand, on a gagné la Coupe alors que le club attendait ça depuis vingt-six ans. Twente, ils venaient d’être champions, mais cela faisait trente ans qu’ils n’avaient plus atteint les quarts de finale de la Coupe d’Europe, on l’a fait. Al Shabab, en Arabie saoudite, n’avait jamais été champion en compétition régulière, c’était la première fois avec nous. Et Bruges, ça faisait huit ans que le club n’avait plus jamais rien gagné… Il faut toujours essayer de reculer les limites et essayer de faire mieux que ce qui a été fait.
Et quand c’est atteint, vous partez. Parce que vous pensez que ça ne sera pas possible de faire mieux ?Ça peut être parce qu’on est arrivé au sommet et que ce sera difficile de faire mieux, mais si on veut toujours aller de l’avant, en général je reste, même si on a gagné. En revanche, si je sens qu’il y a un problème, je pars parce que je ne veux jamais quitter un club en mauvais terme. À Twente, je n’avais pas de problème, mais je suis parti parce que j’avais une offre mirobolante d’Arabie saoudite…
Un aspect important de votre métier, c’est la communication. Les journalistes louent votre capacité d’analyse à froid, mais les jours de match, il y a une vraie nervosité qui vous anime…Je n’aime pas le superflu. Si on fait des choix, on sait pourquoi on les fait : on vit tous les jours avec les joueurs, on connaît leur état de forme, leur état mental, on a analysé quatre ou cinq matchs des adversaires. Je ne supporte pas qu’on puisse faire des jugements d’amateur par rapport à des professionnels…
Vous parlez des journalistes ?Journalistes ou analystes. Quelqu’un vient voir un match et dit : « Oh il aurait fallu mettre celui-là et celui-là. » Et nous, on n’y a pas pensé ? On l’a testé, ça ne marchait pas. Il faut voir en fonction d’un adversaire européen, également : est-ce qu’on peut le dominer ou non ? On analyse tout ça et on prend des décisions. Mais j’ai l’impression que dans notre métier, on est jugé la plupart du temps par des gens qui en connaissent moins que nous. Je me bats contre ça.
Quand moi, je vais analyser un match de Ligue des champions, je vois ce qu’un entraîneur essaie de faire, ce qui a marché ou pas, ça c’est une analyse. Mais je ne dis pas : « Moi, Michel Preud’homme, je trouve que Guardiola aurait dû mettre ce joueur, Mourinho utiliser cette tactique… » Je ne me le permets pas – alors que je pourrais peut-être –, donc des gens qui n’ont jamais été entraîneurs et qui viennent juger ça, alors là mes cheveux se dressent sur ma tête.
Vous n’êtes pas non plus le dernier à vous emporter lors de décisions discutables des arbitres…Je sais que c’est un métier très difficile, et je suis pour la vidéo et le professionnalisme. Je veux que les arbitres aient l’occasion avant chaque rencontre d’analyser deux matchs des équipes concernées, qu’ils soient capables de reconnaître les joueurs qui font des blocs dans les seize mètres, ceux qui simulent, ceux qui donnent des coups de coude… Je pourrais vous faire toute une liste des joueurs à tenir à l’œil. Si ce travail était fait en amont au niveau de l’arbitrage, on aurait déjà beaucoup moins d’erreurs. Moi, je travaille jour et nuit, s’il faut je ne dors pas, je me bats avec mes joueurs pour qu’ils soient professionnels et puis tout peut être miné par une décision de quelqu’un qui finalement n’est pas au courant parce qu’il n’a pas été préparé. Moi, je veux les aider.
Dans vos réactions, vous êtes un peu théâtral…(Il coupe) Je suis atteint, je fais des gestes, mais je n’insulte jamais. Je dis « Ouaiiiis comment est-ce possible ? » Alors il y a des arbitres qui me répondent « Ferme-la un peu, hein ! » donc je rigole. Si on me menace d’aller en tribune, « eh bien mets-moi là hein, qu’est-ce que j’en ai à foutre de ton truc, pour moi c’est la même chose, je sais faire mon boulot de là-bas au-dessus ! »
Vous avez été lié à la création de lunettes de soleil pour gardien.
Encore une fois, c’est mon professionnalisme. On part aux États-Unis pour la Coupe du monde 94 et on nous dit que les matchs vont être joués à midi par 40°. Comme j’ai des yeux très clairs, j’ai des problèmes quand il y a beaucoup de luminosité. J’ai donc moi-même recherché des gens qui pourraient me fabriquer des lunettes solaires pour jouer au foot, pour m’aider. J’ai trouvé une société qui a fait ça, je me suis entraîné avec, mais la FIFA n’a pas donné son accord pour que je les porte, ce qu’elle a fait des années plus tard pour Davids par exemple. Mais finalement, le soleil était très haut, donc je n’ai pas été gêné.
Propos recueillis par Émilien Hofman