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Premier League : Amazon lancé dans la jungle des droits foot
Acheter un bouquin via Amazon en regardant le prochain Liverpool-Everton sur le même site, ce sera possible cette année en Angleterre : pour les trois prochaines saisons, le géant américain de l’e-commerce sera l’un des diffuseurs anglais de la Premier League. Retour sur une acquisition qui peut interroger.
« Un excellent nouveau partenaire » , énonce le communiqué de la Premier League en ce mois de juin 2018. Richard Scudamore, alors patron de la Premier League, ne peut en effet que se réjouir : l’entreprise de e-commerce Amazon a acquis un des sept lots de l’appel d’offre concernant les droits TV domestiques de la Premier League, pour les saisons 2019-2022. Après des mois de tumulte au cours desquels deux lots ne trouvaient pas preneur, la boîte de Jeff Bezos a finalement répondu aux attentes des acteurs du foot anglais en investissant environ 90 millions de livres dans une partie des droits.
Si l’historique Sky et l’opérateur téléphonique BT se partagent la plus grosse part du gâteau, Amazon diffusera pendant trois saisons deux journées complètes de Premier League via sa plateforme de streaming Prime Video UK. Les spectateurs anglais devront s’acquitter de £7.99 par mois pour bénéficier de l’offre Amazon Prime et d’un accès à la plateforme vidéo lors de ces deux journées foot du mois de décembre. Il s’agit là d’un petit bouleversement dans l’histoire de la diffusion de la Premier League. Pour la première fois, deux journées de l’élite du foot anglais – dont le populaire Boxing Day – seront intégralement retransmises en direct, et ce, exclusivement en ligne. Mais l’arrivée d’Amazon annonce-t-elle de plus grands bouleversements dans le secteur ? Pas si sûr.
« Pas un secret industriel d’aller chercher Amazon »
L’intérêt affiché par certains GAFA pour les droits sportifs faisait saliver la Ligue et les clubs anglais depuis déjà quelques années. En 2017, le vice-président de Manchester United Ed Woodward prédisait au cours d’une conversation avec des investisseurs du club l’arrivée d’Amazon ou Facebook, « déjà intéressés lors des enchères précédentes » de 2016-2019. Et disait accueillir « favorablement leur intérêt » – et leurs dollars. Richard Scudamore, désormais ex-président de la Ligue après vingt ans aux commandes, avait lui pour ultime grande mission de rendre le dernier appel d’offre pour les droits TV des saisons 2019-2022 aussi fructueux que les précédents. Une tâche qui s’annonçait difficile : fin 2017, quelques mois avant le début des enchères, les deux diffuseurs exclusifs d’alors Sky et BT avaient communiqué sur un accord de partage de leurs offres sportives, qui annonçait de facto la fin des surenchères excessives.
Pour relancer la concurrence, rien de mieux donc que l’arrivée d’un nouvel acteur aux poches pleines. « Je ne vais pas faire rêver : la vente de droits sportifs repose sur la concurrence » , explique Redha Chibani, de l’agence de droits sportifs CAA Eleven. « Ce n’est donc pas un secret industriel pour la ligue anglaise d’aller chercher Amazon ou Facebook pour faire monter les enchères. Surtout à Londres, où est situé leur siège européen. »
Un lot « bon marché » pour Amazon ?
Parmi les sept lots proposés, Scudamore crée un lot qui se voulait conçu pour les géants du Web. Mais lors du premier tour des enchères en février 2018, aucun ne mord à l’hameçon. L’offre était en effet « peu attractive » selon Julian Aquilina, analyste chez Enders Analysis : « Avec ce lot, vous avez 20 matchs, dont la plupart vont se jouer en même temps. Ce qui veut dire que vous allez devoir occuper toutes vos chaînes et que vous ne pourrez pas monétiser chaque match. Vous n’en avez pas vraiment pour votre argent, et c’est pour ça que la vente a mis autant de temps. »
Cinq mois plus tard, Amazon se prend finalement au jeu et achète le lot pour un coût estimé à 90 millions de livres. Un prix « bon marché » aux yeux de Tim Part, de l’agence de conseil MTM Sport. Pour Aquilina, la Premier League a réussi à « persuader Amazon de se lancer grâce à ce prix cassé » . Mais si l’enveloppe globale des droits domestiques pour la Premier League a baissé de quelques centaines de millions de livres, la Ligue peut quand même fêter l’arrivée d’un nouvel acteur dans le secteur. « Quitte à vendre à la casse, autant vendre à un nouvel entrant » , conclut Redha Chibani.
Facebook en Inde, Amazon au Royaume-Uni
Mais que signifie cet investissement pour Amazon ? Va-t-on assister à de futurs achats massifs de GAFA dans le foot européen ? Une chose est sûre : dans la nouvelle guerre au contenu entre les chaînes de télé et les plateformes en ligne, le sport en direct, et le foot en particulier, est devenu central, à même d’apporter un nombre non négligeable de nouveaux abonnés. Depuis quelques mois, tout le monde observe ainsi avec attention Facebook et Amazon, les deux GAFA les plus actifs dans l’achat des droits sportifs. Pour l’instant, Facebook s’est distingué par l’acquisition de droits de compétitions de foot européen dans des zones stratégiques pour son expansion, que ce soit en Inde avec la Liga ou en Amérique du Sud avec la Ligue des champions.
Pour Amazon, les achats restent plus limités et surtout liés à de « bonnes opportunités » selon Alex Green, DG d’Amazon Prime Video en Europe, qui s’exprimait lors du Leaders Sport Business Summit à Londres en octobre dernier. C’est le cas pour la Premier League comme pour les droits britanniques de l’US Open, chipés à Sky en 2018 pour 10 millions de livres. Avec 8 millions d’abonnés à l’offre Prime d’Amazon au Royaume-Uni, l’entreprise cherche à pérenniser et développer son implantation outre-Manche. Mais surtout, Amazon comme Facebook se retrouvent dans une phase classique de « Test & Learn » : à savoir tester le marché et analyser les potentialités et limites d’investissements futurs dans le secteur. « Si Amazon et Facebook pensent que ces investissements ne vont pas porter leurs fruits, ils ne vont pas investir massivement dans les droits sportifs » , décrit Tom Evens, spécialiste des questions de droits sportifs à l’université de Gand. « Cela dépend aussi du prix de ces droits : ils ne vont pas non plus dépenser 20 milliards pour des droits sportifs, ils ne sont pas fous ! »
Un doc sur le Leeds de Bielsa
Difficile donc de prédire les investissements futurs d’Amazon dans le sport. Même si certains investissements ont été faits dans le tennis, comme récemment pour les éditions 2021-2023 de Roland Garros en France, la firme n’a investi dans aucun autre droit TV footballistique depuis plus d’un an. Mais elle diversifie tout de même son contenu foot. Après le reportage sur la saison du titre 2018 de Manchester City, Amazon a annoncé un documentaire sur l’épopée 2018-2019 du club de Leeds (2e division anglaise) entraîné par Marcelo Bielsa. En même temps, pourquoi s’encombrer avec des droits de Championship quand on peut obtenir une interview en face à face avec Bielsa sans ?
From spygate, to play-off heartbreak. One of the most extraordinary seasons in @LUFC’s history, narrated by @russellcrowe ? Available soon on #PrimeVideo… pic.twitter.com/GSfTMJwLLt
— Amazon Prime Video Sport (@primevideosport) July 24, 2019
Par Nathan Gallo