- France
- Scouting
Predicta Football : repérer les talents grâce à la psychologie
Créé il y a un peu moins de deux ans, Predicta Football permet de repérer les plus gros talents sur le plan comportemental. Destiné particulièrement aux centres de formation souhaitant savoir si un jeune est en capacité de percer dans le monde professionnel, l'outil analyse et décortique tout. Autonomie, anxiété, engagement ou encore réaction face aux problèmes : rien n'est laissé au hasard. Entretien avec son créateur, Morgan David.
Quel est votre parcours ?Je suis docteur en sciences comportementales. J’ai été chercheur pendant des années, jusqu’en 2014. J’ai ensuite créé ma propre entreprise, qui s’appelle Analytica et qui est un cabinet de conseil spécialisé dans les sciences comportementales. De fil en aiguille, j’en suis venu à créer Predicta Football, dont le projet est né il y a environ deux ans.
D’où est partie l’idée de créer cet outil baptisé Predicta Football ?Je me suis tout simplement intéressé à la psychologie du sport. En tant que scientifique, j’ai accès à tout un tas de données sur la psychologie ou la préparation mentale. Je savais donc qu’il existait des études qui montraient que certaines évaluations de paramètres psychologiques chez les jeunes footballeurs pouvaient prédire leur succès et leurs futures performances au niveau pro. Ce sont des études qui sont sorties il n’y a pas si longtemps, il y a quatre ou cinq ans environ. J’avais vu ça passer et j’avais gardé ces études de côté, en me disant qu’il y avait quelque chose à faire avec ça. Le moment de les ressortir est finalement arrivé, puisque j’ai été contacté par une psychologue clinicienne qui m’en a justement parlé, mais qui, n’étant pas scientifique, n’avait pas la capacité de les comprendre et de les exploiter. J’ai ainsi été chercher les données les plus valides et représentatives, et les ai rassemblées pour en faire un outil.
Que faites-vous concrètement avec cet outil ?Je fais passer beaucoup de tests, qui en eux-mêmes existent depuis dix, quinze ou vingt ans en psychologie. Je peux même vous dire qu’ils ont été publiés par des chercheurs allemands qui bossent avec la Fédération allemande de football. J’ai repris ces tests, mais en revanche, j’ai créé moi-même des petits algorithmes pour arriver à évaluer les joueurs entre eux.
Vous ne vous intéressez donc pas à la technique, la tactique ou quoi que ce soit, mais uniquement à l’aspect mental des joueurs ?C’est exactement ça. Je ne dis pas que la technique, la morphologie, le physique ou la tactique ne sont pas importants. Je dis même que c’est primordial. Mon outil Predicta arrive simplement en complément de tout ça.
Concrètement, comment se passent les tests cognitifs ?Il y a sept tests au total, sachant que j’en rajoute au fur et à mesure des découvertes scientifiques. Je peux déjà vous dire qu’un huitième va voir le jour prochainement. Pour la plupart, il s’agit de questionnaires, qui peuvent aller de cinq à quarante questions. Cela ressemble à des questionnaires de personnalité. Pour le reste, il s’agit de tests qui ressemblent à des petits jeux mentaux, comme on peut en avoir sur une application de téléphone. Il y a par exemple un test où la page est remplie de carrés avec cinq points à l’intérieur de chacun. Le but est que les joueurs lient les points entre eux, en suivant un circuit différent dans chaque carré. Certains arrivent à en compléter quatorze ou quinze en une minute, d’autres seulement trois ou quatre. Ce test-là mesure le paramètre que j’appelle PFC, à savoir Planification, Flexibilité, Créativité. Chose importante : j’ai aussi des tests pour vérifier que les joueurs ne trichent pas et sont honnêtes lorsqu’ils répondent aux questions. Ça évite qu’un petit malin imagine qu’il doit donner une réponse plutôt qu’une autre sous prétexte que cela serait mieux perçu.
Sur quelles compétences mentales précises travaillez-vous ?Encore une fois, je suis allé prendre les paramètres psychologiques dont les études ont montré qu’ils étaient importants pour la performance future. C’est ce qui était le plus pertinent. Il y a par exemple la réaction face aux problèmes. Il s’agit notamment de la capacité d’un joueur à résoudre ses soucis, personnels ou professionnels, à l’aide des autres. Les joueurs qui ont tendance à aller chercher de l’aide auprès d’autrui sont ceux qui ont le plus de chance d’avoir une carrière professionnelle. Il y a aussi d’autres paramètres, comme l’autonomie ou l’engagement individuel. Cela mesure la tendance des joueurs à adapter leur vie personnelle, de manière à favoriser une éclosion dans le monde pro. Est-ce que la veille d’un match, je préfère manger des pâtes et me coucher tôt ou plutôt voir mes potes et me coucher tard ? L’idée, c’est un peu d’analyser tout ça.
Sur votre site, vous dites qu’un joueur a deux, trois ou cinq fois plus de chances de percer dans un domaine précis avec telle ou telle compétence élevée. Exemple, vous précisez que trois fois plus de buts sont marqués par les joueurs qui ont une créativité élevée. Comment avez-vous fait ce calcul ?Tout ça vient des études que j’utilise. Les chercheurs vont aller évaluer les paramètres psychologiques des jeunes entre douze et dix-huit ans, et vont ensuite quantifier leurs performances six mois après, deux ans après, et jusqu’à dix ans après. On arrive ainsi à voir que des joueurs qui avaient des très bons scores de créativité à quinze ou seize ans marquent trois fois plus de buts dans les deux années qui suivent. Ce sont des chiffres très factuels.
Y a-t-il un risque de se tromper dans les tests ? Est-il possible de croire qu’un joueur a par exemple de bonnes réactions face aux problèmes, et de se rendre compte finalement un peu plus tard que ce n’est pas le cas ?Oui, car on ne fait pas de la magie. C’est de la science. Il y a plusieurs manières de se tromper. Déjà, il se peut qu’un joueur obtienne des gros scores Predicta Football, mais qu’à côté, il ne sache pas faire un contrôle ou un une-deux. Il faut évidemment évaluer le physique et la technique, puisque Predicta ne suffit pas. Pour en revenir à l’outil en particulier, les tests sont assez fiables : les joueurs qui sont les plus créatifs à douze ans le seront également à dix-huit ans. C’est ce qui est intéressant avec la psychologie, et qui n’est pas forcément vrai avec la technique ou la morphologie.
À qui cet outil est-il principalement destiné ?Pour l’instant, plutôt aux clubs professionnels et particulièrement aux centres de formation. L’idée, c’est de les aider à savoir sur quels jeunes joueurs investir. Ça peut également s’adresser aux agents, puisque je me rends compte que cela les aide beaucoup. Ils se disent que Predicta peut les aider à valoriser leurs joueurs. Dans le futur, ça pourrait même s’adresser aux joueurs eux-mêmes s’ils le désirent.
Des centres de formation vous ont-ils déjà fait confiance ?Pour l’instant, je n’ai pas de contrat signé avec le moindre club pro. Il faut dire que l’outil est jeune. On communique véritablement dessus depuis le début de l’année. En revanche, je travaille avec une agence de détection, France Football Détection, qui a envoyé des joueurs que j’ai testés dans des centres de formation, notamment à Vannes et Lorient. J’ai aussi pu collaborer avec des clubs semi-pros, de niveau National 2 et National 3.
Quel est votre objectif principal sur le long terme ?Le but serait de travailler sur la durée avec des joueurs, que je pourrais suivre pendant une ou plusieurs années. Predicta, c’est l’identification des talents, mais une fois qu’on les a en main, il faut travailler sur leur développement : bosser sur le collectif, les réactions, les réflexes, le mental… C’est tout cet ensemble de données qui est intéressant.
Vous aimeriez vous développer sur d’autres sports ?D’abord, on essaie de ne pas griller les étapes. On aimerait déjà se faire connaître dans le football. Mais effectivement, l’idée est là. J’ai par exemple noué un partenariat avec un club de cyclisme dijonnais. D’ailleurs, les études que j’utilise pour Predicta n’existent pas pour d’autres sport que le football. J’aimerais les créer moi-même, en essayant de trouver tous les paramètres psychologiques qui vont permettre de performer. C’est intéressant dans le cyclisme, mais également dans le rugby ou dans l’e-sport.
Dans l’e-sport ?Tout à fait. C’est une activité en plein développement où les capacités mentales sont super importantes : gérer son stress, avoir des réflexes, mais aussi une vitesse d’exécution et de décision. Les clubs se professionnalisent de plus en plus, il y a un vrai potentiel.
Propos recueillis par Félix Barbé