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Poyet, des sifflets de Grenoble aux lumières de Premier League
Recalé à Nice, hué à Grenoble, puis vainqueur de la Coupe des coupes avec Saragosse et Chelsea, Gustavo Poyet n'a pas vraiment marqué le paysage du football français, mais a explosé outre-Manche. Aujourd'hui, il gigote dans son costume trois-pièces comme coach de Sunderland. Retour sur la carrière de joueur de l'Uruguayen.
1988. Dix ans après l’arrivée de Rubén Umpiérrez, surnommé le « Platoche uruguayen » , à Nancy, Gustavo Poyet imite son compatriote. Le voilà à Grenoble, à 10 865 km de Montevideo, où il évoluait à River Plate – à ne pas confondre avec le club argentin, hein. Dépaysé, certes, le joueur rejoint la pelotée de Sud-Américains qui ont fait les belles heures du championnat de France dans les années 80 : l’Argentin Delio Onnis à Moncao, Omar da Fonseca à Tours, Carlos Bianchi à Reims et au PSG. Et même Valderrama, qui s’apprête alors à débouler à Montpellier. Carlos Curbelo, défenseur central franco-uruguayen de Nice à l’époque, propose à sa direction de faire signer un jeune talent du pays : « En Uruguay, t’as deux types de joueurs : ceux qui attendent la balle et font lever les foules comme Recoba, et ceux qui se déchirent, courent et récupèrent comme Diego Pérez. Gustavo n’appartenait à aucune des deux catégories. D’ailleurs, on ne savait pas grand-chose de lui au pays avant son arrivée en France. »
L’enfer Grenoble
À 20 ans, le petit Poyet n’a pas une dizaine de matchs pro dans les jambes qu’il fait son baluchon avec sa petite amie, direction le Sud de la France. À lui la belle vie, la Côte d’Azur, les plages, la promenade des Anglais. Et puis, le premier couac : à Nice, l’effectif est déjà complet. Sur les conseils de Curbelo, toujours, le jeune Poyet file… en deuxième division, à Grenoble. Tout de suite, c’est moins sexy, c’est sûr. Christian d’Alger, son entraîneur et voisin, se souvient d’un « jeune garçon un peu paumé qui ne parlait pas un mot de français. Lui et sa petite amie venaient à la maison. Ma femme leur préparait des petits plats et on discutait comme on pouvait. C’était un jeune homme très calme, réservé, poli, mais on sentait déjà chez lui un caractère bien trempé. » Malheureusement pour Grenoble, malgré un potentiel évident, le garçon ne se sent pas au mieux. La Ligue 2 est physique, et le jeu fermé alors que Gustavo est taillé comme un casse-dalle SNCF. La première saison est moyenne, la seconde catastrophique. Bilan : huit buts en deux ans. « J’ai joué comme un pied en France. Je n’ai pas de prétexte pour ça, j’étais tout simplement mauvais. Les huit premiers mois ont été les plus durs de ma vie. J’avais l’habitude de me dire que si l’aéroport avait été près de chez moi, j’aurais alors pris le premier avion pour me tirer » , avoue-t-il plus tard à The Independent.
La renaissance : Saragosse puis Chelsea
Émoustillée par la réussite des autres Sud-Américains du championnat, la direction grenobloise attend plus de son poulain. Le stade Charles-Berty le prend en grippe et le siffle à chacune de ses rares apparitions. Un petit retour au pays s’impose. Le temps de se ressourcer, le Gus est prêt pour tout casser dès son retour. Et c’est en Liga que s’opère la renaissance. À l’époque, le Real Saragosse repart de zéro avec un jeune coach, Víctor Fernández. Les Blanquillos deviennent l’équipe à battre. Poyet, redéfini numéro 8, se fait très rapidement un petit nid dans le schéma de jeu mis en place par Fernández. En 1993, l’armada des Maños perd contre le Real Madrid en finale de Coupe du Roi, avant de remporter le trophée l’année suivante face au Celta Vigo, puis de ramasser une Coupe des coupes en 1995 en terrassant Arsenal sur le fil. Poyet se sent enfin à l’aise dans son football, loin des montagnes enneigées et des pelouses pourries de D2 française. Sa carrière peut enfin ressembler à quelque chose.
En 1997, Chelsea lance une vaste campagne de recrutement sous les ordres de Gullit, alors entraîneur-joueur. Encouragé par Nayim, son coéquipier passé par Tottenham quelques années plutôt, le milieu uruguayen file découvrir les joutes anglaises : « Il m’a mis en garde sur l’Angleterre et ce qu’il fallait faire et pas faire. Par exemple, ne pas prendre le volant le jour de Noël. Dans d’autres pays, ce n’est qu’un simple dîner. Mais la fête de Noël en Angleterre n’est pas juste un repas, c’est de la folie. » Ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre, et il se rend en caisse à son premier réveillon avec les Blues : « Je pensais que deux bières et hop, ça irait, mais les gars m’ont dit :« Non Gus, tu vas en boire vingt. »Du coup, j’ai laissé ma voiture et j’y suis allé à pied » , se remémore-t-il. Aux côtés de Gianfranco Zola, Roberto Di Matteo et Frank Lebœuf, l’ancien Grenoblois découvre le kick and rush, les stades venteux, les grosses ambiances et le style box-to-box. Avec Zola, Poyet forme un duo ravageur. Dans les travées de Stamford Bridge, on se souvient toujours de ce fameux 7 août 1999, contre Sunderland, et ce but sorti tout droit d’un manga.
Sa période londonienne débouche sur une seconde Coupe des coupes en 1998, puis sur une Supercoupe d’Europe remportée au Stade Louis-II contre le Real, sur un but… de Gustavo Poyet. Avec le pion de Zola contre Stuttgart en finale de Coupe des coupes, celui de l’Uruguayen reste pendant longtemps le plus important de l’histoire des Blues. Seul le but égalisateur de Drogba en finale de Ligue des champions, en 2012, efface des tablettes l’incroyable performance de celui qui restera toujours le plus grand flop de Grenoble. Qui, 25 ans plus tard, croupit en CFA.
Par Quentin Müller