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Pourquoi Rio ne s’enflamme pas plus pour son Mondial ?
Aujourd'hui, le Brésil joue une demi-finale de Coupe du monde à domicile. Si, après des débuts poussifs, le pays s'est enfin enflammé pour sa Seleção, l'euphorie à Rio reste en deçà des attentes. Voici 5 raisons pour expliquer le décalage entre le mythe autour de Rio la fêtarde et la réalité de la Copa 2014.
Mesure-t-on le degré d’enthousiasme au nombre d’ampoules vertes et jaunes tendues au-dessus des ruelles de São Cristovão et Botafogo ? Au décompte des tags « FIFA go home » sur les murs par rapport aux drapeaux verde-amarelo aux fenêtres ? Ou à celui bien maigre des drapeaux au système d’accroche ingénieux spécial fenêtres de voiture ? Si oui, Copacabana et les jours de match du Brésil mis à part, la ville du Christ Rédempteur ne semble pas plus que ça s’enthousiasmer pour cette Coupe du Monde de la FIFA 2014®. À l’aéroport, dans le hall d’accueil des nouveaux arrivants, il faut avoir l’œil pour savoir que dans cette ville va se dérouler la finale du plus grand événement sportif planétaire. Une pauvre mascotte taille humaine de Fuleco se bat en duel avec une affiche chartée Fifa « Welcome to Rio » .
Était-on en droit d’attendre plus d’une Coupe du monde à Rio, ville où la danseuse de samba dénudée joue le même rôle de symbole que la Tour Eiffel pour Paris ? Pour avoir une comparaison opérante, il faudrait repartir de 1950, la seule autre Coupe du monde ayant eu lieu au Brésil. Autant dire la préhistoire du foot et de sa couverture médiatique. Alors il faut se contenter de comparaisons partielles, avec 2010 ou 2002 pour le dernier titre (qui est aussi la dernière fois que le Brésil est passé en demies) ou encore les autres grand-messes touristiques de Rio que sont le réveillon et le carnaval. Dans ce cas, le constat est frappant, pour le néophyte qui compare Rio à ses attentes, comme pour le Carioca qui trouve sa ville relativement « normale » . Pourquoi ?
1. Les dépenses somptuaires ont alimenté un désenchantement global
Depuis juin 2013 et la grande vague de manifestations qui a secoué le pays, c’est peu dire que l’enthousiasme a décru. Hormis les professionnels du tourisme, les Cariocas sont mitigés, qu’ils soient cadres sup ou habitent une favela. Certains anticopa ont retourné leur veste et chantent dans un demi-sourire leur patriotisme jaune et vert, malgré l’amertume. Les autres n’en démordent pas, comme Carlos, de la favela mangueira : « Neymar est mon idole, mais je veux que le Brésil perde, parce que j’ai honte des sacrifices qu’on a fait faire au peuple pour organiser cette coupe. » À cela il faut rajouter l’agacement lié à la récupération politique incessante, avec l’élection présidentielle de novembre en ligne de mire. Sebastião, prof de sport de Nilópolis (banlieue de Rio), confirme : « Le jour des matchs, la folie reste la même, heureusement. Mais les jours qui précèdent, les gens pensent aux vrais problèmes, ignorés par les politiques – hormis dans les 4 mois précédant l’élection. En 2002, après la phase de poules laborieuse, les gens ne parlaient plus que de foot, on sentait vraiment la fièvre. Le contexte économique et politique était différent. »
2. Le Brésil ne propose pas un football séduisant
Si le Brésil avait développé le style de jeu de son avatar publicitaire, le joga bonito, l’ambiance aurait-elle été différente, le soutien populaire plus profond ? Difficile à dire. L’arbre Neymar ne cache pas la forêt des Fred, Jô, Oscar (disparu après le premier match), Ramirez et Bernard. Les défenseurs marquent et Scolari passe les tours à l’expérience. La blessure de Neymar pourrait changer la donne, créer ce petit supplément d’âme, le sentiment d’injustice qui rend le moment enfin historique. Elle pourrait surtout empêcher le Brésil de battre l’Allemagne, et plomber définitivement l’ambiance.
3. Rio présente le syndrome de la « capitale »
En décembre dernier, après la victoire de Flamengo en Coupe du Brésil, on avait demandé aux fans : « Soutiendrez-vous le Brésil en juillet prochain ? » La plupart avaient répondu : « Je suis fan de Flamengo. » Un silence ambigu, mais un ordre de priorité banal en Amérique du Sud, surtout dans les grandes villes de foot. À Rio, la fièvre des derbys entre Vasco et Flamengo, Fluminense ou Botafogo ne sera jamais égalée par un match de l’équipe nationale. Hormis les jours de match du Brésil, on croise dans les rues beaucoup plus de maillots de Flamengo que de tuniques jaunes, même pendant la Coupe du monde.
4. La FIFA est prise à son propre piège
Entre le maladroit petit guide de la FIFA à l’usage du touriste au Brésil et un déploiement policier jamais vu de mémoire carioca, la FIFA a obtenu ce qu’elle cherchait : les touristes admirent surtout les plages de la zone sud. Les rares incursions en zone nord s’arrêtent au Maracanã, guère plus loin dans l’immense Baixada fluminense, le bassin qui fait le gros de la population carioca. Le jour, le centre de gravité de la Copa reste la « Fan Fest » de Copacabana, avec ses écrans géants protégés et ses prix délirants. La nuit, Lapa parle anglais, espagnol, français. Pas Nova Iguaçu, à 30 minutes de là. Certes, l’alzirão montre un visage un peu plus spontané que la fan fest, mais la fête a un côté aseptisé qui manque d’exotisme. Un réflexe d’Européen en mal de sensation tropicale ? Pas selon Sebastião : « Si tu viens à Nilópolis, à Bangu (communes de la baixada, ndlr), tu verras que les gens t’accueillent avec toute la force de leur amour. Ils sont fiers de leur Brésil. À Leblon, les Brésiliens sont blasés, ils vivent dans une carte postale, mais ils sont superficiels, ils passent toute l’année avec des touristes, la Copa ne change pas leur quotidien. » Un phénomène qui explique que l’hospitalité ait été davantage louée à Belo Horizonte, Recife ou Porto Alegre, moins rompues aux affluences touristiques massives.
5. Rio ne peut pas faire le carnaval douze mois sur douze
Le maire de Rio a eu beau décréter des jours fériés tous les deux jours (à chaque match du Brésil et à chaque match au Maracanã) pour vider la ville et fluidifier le trafic, la Copa n’est pas le carnaval : les gens travaillent. Même si pour un Hollandais, Rio en juillet ressemble à Marbella en août, pour les Brésiliens, juillet, c’est l’hiver. Et les jours fériés pour les fonctionnaires et les employés ne le sont pas forcément pour les artisans, les commerçants et tous ceux qui travaillent au black.
Conclusion : critiquer la FIFA ne changera rien au schmilblick. Mieux vaut revenir à Rio pour le carnaval. Le défilé des écoles de samba reste d’ailleurs le seul moyen de rencontrer l’intégralité du hall of fame de la Seleção sur son vrai terrain : le dancefloor.
Par David Robert, correspondant à Rio de Janeiro