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Pourquoi Mkhitaryan n’ira pas en Azerbaïdjan
Henrik Mkhitaryan n'est pas le bienvenu en Azerbaïdjan. Le milieu offensif du Borussia Dortmund ne participera pas à la troisième journée du groupe C contre le Qabala FK. En cause, un no man's land appelé Haut-Karabagh, confiné entre l'Arménie, sa terre d'origine, et l'Azerbaïdjan, que les deux pays se disputent depuis 1992 et la chute de l'URSS.
Le Haut-Karabagh, région à majorité arménienne, déclare son indépendance juste après le départ des Soviétiques. L’Azerbaïdjan envoie ses blindés. L’Arménie répond en soutenant militairement le mouvement indépendantiste. De cet imbroglio naît alors une guerre interminable. Henry Jacolin, ancien diplomate français chargé de résoudre le conflit de 2002 à 2004, se souvient d’une défaite cinglante de « bergers azerbaïdjanais contre de vaillants guerriers arméniens » . Partout au Haut-Karabagh, les Arméniens se retournent contre leurs voisins azerbaïdjanais. C’est le cas notamment des joueurs arméniens du club d’Agdam. Rien n’a bougé depuis plus de vingt ans malgré près de 6000 victimes et 800 000 Azerbaïdjanais déplacés. La plaie n’est toujours pas refermée. Les meurtres et les combats sont encore d’actualité à la frontière avec le Haut-Karabagh. « Cette guerre coûte très cher à Bakou. Il y a 150 kilomètres de front à surveiller ! C’est un traumatisme pour eux. Ils se sentent toujours envahis par l’Arménie » , rappelle René Cagnat, expert en Asie centrale à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). L’antagonisme est toujours d’actualité selon Henry Jacolin : « À l’époque où j’officiais, il y avait encore une branche du gouvernement qui voulait faire ouvertement la guerre à l’Arménie. » Un désir de revanche illustré par un budget militaire multiplié par quinze depuis 2004 (3,3 milliards de dollars selon la banque mondiale, ndlr).
Dérogations et coup de com’
Depuis, la loi interdit à tout citoyen arménien d’entrer sur le territoire. Selon l’ambassade d’Azerbaïdjan à Paris, « aucun visa ne peut leur être délivré. Depuis la guerre du Haut-Karabagh, nous n’acceptons plus d’Arméniens. » En juin dernier, lors de la première édition des Jeux européens à Bakou, l’Azerbaïdjan a pourtant reçu sur son sol dix-huit athlètes natifs d’Arménie. Une exception faite au regard de la loi pour adoucir une image constamment ternie par la torture et les emprisonnements répétés de ses journalistes et opposants. Yannick Kamanan n’a pas eu cette chance. L’ancien attaquant français du Qabala FK de 2012 à 2014 propose à une amie, journaliste arménienne, de passer le voir à Qabala quelques mois après son arrivée dans son nouveau club : « Selon elle, c’était impossible en raison de son passeport arménien. Ils ont le sang chaud là-bas sur le sujet. Ils ne rigolent pas. » Le son de cloche est pourtant différent pour Agil Khalilov, ancien journaliste et opposant azerbaïdjanais exilé en France depuis 2008 : « En Azerbaïdjan, il y a des Arméniens qui vivent plutôt sereinement. Puis mon pays a souvent reçu des ONG arméniennes et autres délégations. » Une donnée qui irait dans le sens de dérogations distribuées de manière plutôt aléatoire. Pourquoi Henrik Mkhitaryan ne bénéficierait pas, au même titre que les dix-huit athlètes arméniens, d’un exceptionnel laissez-passer ? Harout Mardirossian, en charge du Bureau français de la cause arménienne, croit savoir en quoi l’absence de son international serait bénéfique à l’Azerbaïdjan : « Leur président, Ilham Aliyev, utilise le sport pour se créer une virginité et une respectabilité par rapport à la situation interne de son pays. Leurs succès au foot sont des opérations de com’, et il ne faut pas les voir que sous l’angle du Haut-Karabagh. »
« Pas intérêt à risquer de froisser le peuple azerbaïdjanais »
Hans-Joachim Watzke, le directeur sportif de Dortmund, devra donc se passer de son numéro 10 arménien pour son déplacement dans la périlleuse antre du Gabala City Stadium. « Mkhitaryan, selon toute probabilité, n’ira pas au match contre Qabala. Nous avons analysé la situation. Il y a un conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et nous devons protéger nos joueurs. Il y a des difficultés liées à la sécurité des joueurs » , a-t-il révélé au journal allemand Bild. Une déclaration officielle neutre du club allemand qui a le mérite de ne pas pointer les réelles raisons techniques du refus de territoire de son joueur. Une prise de précaution extrême justifiée par la tension toujours existante entre les deux pays, et le puissant impact des deux lobbies à l’internationale. « Le Borussia n’avait, à mon avis, pas intérêt à risquer de froisser le peuple azerbaïdjanais. Parce que si tu dis que c’est à cause de l’Azerbaïdjan que Mkhitaryan ne peut pas aller à Qabala, tu risques le gros scandale. De un, tu vas vivre un enfer sur place pour ton déplacement parce qu’ils vont croire que les Allemands n’aiment pas l’Azerbaïdjan. Attends ! Mais tu as vu ce qu’ils ont fait au journaliste qui a critiqué un joueur pour avoir montré un peu trop son appartenance turque ? De deux, tu risques gros parce que ces gens-là ont le bras long. » Yannick Kamanan n’a visiblement pas oublié que la SOCAR, puissante compagnie pétrolière et gazière, sera, entre autres, l’un des principaux sponsors de l’Euro 2016. « Trois, tu risques l’incident diplomatique sur fond de tension entre l’Allemagne et la Russie. » Car, même si l’Azerbaïdjan a signé en 2014 de gros contrats gaziers avec la France, la Russie n’en reste pas moins un allié important, influant et déterminant pour une issue au conflit du Haut-Karabagh. Ou comment six consonnes sur un passeport peuvent provoquer un tremblement de terre.
Par Quentin Müller // Propos recueillis par QM et Vincent Berthe