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Pourquoi l’Inter de Mazzarri ne décolle pas ?
La saison dernière, Walter Mazzarri avait dû faire face à un changement de présidence, un effectif en pleine mutation générationnelle et un effectif limité. Mais après un mercato intéressant cet été, l'Inter semblait pouvoir lutter pour une place en Ligue des champions, et surtout donner au Mister les armes pour mettre en place ses idées. Une neuvième place et quinze points en dix journées plus tard, Mazzarri semble déjà sans solution.
Espoirs et déception
L’an passé, Mazzarri avait atteint l’objectif européen, mais avait été remis en cause pour le (manque de) jeu pratiqué. Si l’Inter n’avait pas les moyens pour lutter face à la Juve, la Roma ou même un Napoli renforcé, le Mister toscan avait été durement critiqué pour son conservatisme, ses matchs nuls et une formation qui tirait trop sur la tresse de Rodrigo Palacio (17 buts et 7 assists à un poste qui n’était pas le sien). Cet été, le directeur sportif Piero Ausilio s’est surpassé pour aller chercher de la qualité à coût réduit : le pitbull Medel, le pari M’Vila, le vétéran Vidić, le prometteur Dodô et le buteur Osvaldo. Que des titulaires potentiels. Entre-temps, l’Inter a retrouvé les buts de Mauro Icardi, qui s’est marié et a fait fuir sa pubalgie, la santé d’Hernanes et la motivation de Guarín. En clair, tous les indicateurs étaient au vert pour un décollage très attendu.
Mais Mazzarri n’y arrive pas. Après deux lourdes défaites contre la Fiorentina (3-0) et le Cagliari de Zeman (1-4), l’Inter s’est inclinée face à la lanterne rouge parmesane, qui plus est sur un doublé imprévisible du juventino De Ceglie (2-0). Et si elle est allée s’imposer à Cesena et contre l’excellente Sampdoria de Mihajlović, les deux résultats restent des 1-0 sur penalty. Verre à moitié plein : avec 15 points sur 30 possibles, l’Inter est à 4 points de la troisième place et aucune des équipes du peloton ne semble beaucoup plus armée. À moitié vide : d’une part, la Beneamata se trouve derrière un Milan en phase embryonnaire, mais aussi derrière Gasperini, Benítez et Stramaccioni (tous se sont assis sur le banc de l’Inter récemment). Et surtout, tactiquement, les idées de jeu de Mazzarri et l’interprétation qu’en font ses joueurs semblent plus éloignées que jamais.
Le football, par Walter Mazzarri
Arrigo Sacchi, en avril 2013 : « Le Napoli est une équipe à l’italienne, très italienne, qui se base sur la force, la grinta, la détermination. C’est un football où l’individu et la force physique ont la prépondérance sur le reste. » De la Reggina au Napoli, les équipes de Mazzarri ont toujours eu une identité forte, et c’est certainement ce qui avait séduit Moratti à l’été 2013 : la garantie de donner à son Inter une personnalité sur le terrain. Celle-ci peut se décrire en quatre concepts : défense très basse, milieux costauds, pointes très éloignées de ces milieux et ailiers participatifs. Une vision opposée à l’idée d’équipe compacte d’Ancelotti : les équipes de Mazzarri sont « longues » , comme aiment dire les italiens, et abusent du jeu long. D’où deux caractéristiques positives : une solidité importante et un schéma qui favorise un jeu très rapide vers l’avant. Lavezzi, Hamšík et Cavani étaient servis, tout comme Inler et Behrami.
Les défauts ? Une incompatibilité avec un jeu construit, ce qui provoque d’importantes difficultés contre les équipes les plus modestes qui répondent souvent efficacement avec une défense à cinq. Et une interprétation qui exige des profils particuliers. Par exemple, le 3-5-2 abandonne schématiquement toute combinaison sur les côtés entre le latéral et l’ailier (puisque le milieu latéral est le seul occupant du couloir), à moins d’avoir des rares spécialistes capables de s’insérer verticalement, comme Campagnaro ou Chiellini. L’an passé, l’Inter était donc très mazzarrienne. D’abord à un très bon niveau, quand Campagnaro et Icardi étaient disponibles et que les ailiers Jonathan et Nagatomo profitaient des effets positifs d’une présaison intense. Et puis à un niveau médiocre, sans avant-centre (malgré les exploits de Palacio : 2,5 duels aériens gagnés par match malgré sa petite taille) et avec Taïder-Kuzmanović plutôt qu’Inler-Behrami.
L’incompatibilité du 3-5-2 mazzarrien et du football à la milanaise
Mais le Mister a évolué. Cette saison, Mazzarri semble déterminé à proposer un football plus raffiné à la cité milanaise : les concepts de « possession » et de « pressing » sont évoqués à Appiano Gentile. Sauf que le 3-5-2 (ou 3-5-1-1) n’a pas bougé… D’où une certaine incompatibilité, et six problèmes tactiques. D’une, le 3-5-2 mazzarrien n’a pas été pensé pour faire circuler le ballon dans le camp adverse. L’Inter a la troisième possession de Serie A (56%) : par rapport à l’an passé, Kovačić est passé de 34 à 63 passes par match, Juan Jesus de 45 à 65, et Gary Medel est même le joueur de Serie A ayant réussi le plus de passes. Et pourtant, les façons de s’approcher restent celles du 3-5-2 : 4 passes en profondeur (verticalizzazioni) et 25 centres par match. La possession du ballon, sans la conception de l’action. De deux, la possession serait intéressante si elle était alimentée par de multiples insertions verticales, celles dont la Juve de Conte avait le secret. C’étaient les appels des duos Vidal-Pogba et Lichstcheiner-Asamoah qui donnaient du sens au contrôle du ballon. En phase d’occupation de la moitié adverse, l’Inter semble parfois jouer avec cinq milieux sur la même ligne. Placée devant Medel, la paire Kovačić-Hernanes n’est pas adaptée : trop de réflexion pour trop peu d’insertions. Seul le profil de Guarín (2 buts et 2 assists en 5 matchs et 236mn) a offert des satisfactions dans ce rôle, tandis que sur les côtés, Dodô et Nagatomo/Obi se placent en soutien de la possession et non pas en créateurs de mouvement : pas de profondeur, ni de centres intéressants. L’Inter est ainsi l’équipe de Serie A qui joue le plus dans l’axe (36% des attaques), un comble pour le 3-5-2. De trois, conséquence immédiate : l’absence de lien entre les attaquants et les milieux. Ce n’est pas un hasard si l’Inter la plus dangereuse de la saison a été celle d’Osvaldo (4 buts, 2 assists en 6 matchs), capable de redescendre entre les lignes pour libérer de l’espace à Icardi et proposer ses pieds à la construction.
De quatre, les défenseurs centraux n’ont pas une technique suffisante pour soutenir la construction. En cas de marquage agressif sur Pirlo, Conte pouvait compter sur Bonucci, le « vice-Pirlo » , par ailleurs formé à l’Inter. Côté Inter, Juan Jesus est celui qui participe le plus au jeu, avec les risques que cela implique. Pourquoi ne pas faire reculer Gary Medel, excellent en milieu protecteur, mais tout aussi idéal en leader de la défense à trois chilienne ? De cinq, Mazzarri n’a pas encore réussi à hiérarchiser/organiser sa possession. Face à un pressing important (souffert face à Palerme, et donc contre tous les adversaires qui ont suivi), le trio défensif et Medel sont incapables de faire gagner quelques mètres à la manœuvre, et Kovačić est obligé de redescendre pour prendre la mène. Or, ce projet de jeu est justement pensé pour que Kovačić puisse se trouver plus proche de la zone de vérité. De six, enfin, l’Inter souffre à la perte du ballon. En voulant jouer dans le camp adverse, la formation s’allonge et laisse un gouffre entre sa dernière ligne et la balle perdue. D’où un grand nombre d’occasions subies et une arrière-garde vulnérable face aux attaquants rapides. Mazzarri a donc deux options : revenir sur ses idées en tirant un trait sur une partie du potentiel de cet effectif, ou adapter son système à ses nouvelles idées et à ses hommes, ce qui pourrait impliquer une défense à quatre. Lors des années les plus pittoresques de l’ère Moratti, l’Inter s’était habituée à se contenter de l’espoir du prochain match. C’était le fantasme d’une équipe de stars qui se mettrait miraculeusement à jouer ensemble. Il avait alors fallu attendre l’arrivée de la rigueur et la grinta d’Héctor Cúper pour assister à la naissance d’un groupe. Seulement, Cúper avait réussi son pari dès sa première saison. Et côté Mazzarri, si Thohir semblait déterminé à ne pas changer d’entraîneur en cours de saison, la grinta se transforme peu à peu en nervosité.
Par Markus Kaufmann
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