- Coupe du monde 2014
- Groupe D
- Uruguay/Italie (1-0)
Pourquoi l’Homme mord-il ?
Si l'Homme apparaît comme un animal civilisé, il n'en reste pas moins sauvage. Et certains peuvent l'être plus que d'autres. Hier, lors de la rencontre face à la Squadra Azzurra, Luis Suárez a une fois de plus prouvé qu'il appartenait à la catégorie des hommes qui, le temps d'un instant, sortent du cadre social qui leur est imposé pour obéir à leurs pulsions primitives. Mais pourquoi préférer la morsure à un coup ou une vulgaire insulte ? Focus sur les raisons d'un geste aussi instinctif qu'inhabituel.
24 juin 2014. 80e minute du match Italie-Uruguay. Giorgio Chiellini s’écroule dans sa surface de réparation, de la même manière que Luis Suárez, sa mâchoire dans les mains. Le joueur de Turin, inquiet et furieux, se plaint et montre à l’arbitre de la rencontre, Marco Rodríguez, les stigmates de ce qui semble être une morsure. Oui, Luis Suárez a frappé une nouvelle fois. La troisième précisément, après avoir planté ses crocs dans l’oreille d’Omar Bakkal et dans la chair d’Ivanović. Plus qu’un manque d’appétit, cette attitude semble d’abord témoigner d’un retour aux sources et aux fonctions primaires de l’enfance, comme l’explique Christophe Bagot, psychiatre dans le XVIe arrondissement de Paris : « C’est un geste très agressif, d’habitude ce sont les enfants qui mordent. Quand on regarde le profil du joueur, on a l’impression que c’est un joueur qui a été difficile à cadrer, ce n’est pas la première fois qu’il a recours à ce geste. Cette énergie, c’est ce qui fait sa force sur un terrain. Mais inversement, il y a aussi des gestes de fourberie, d’agressivité. Le bon côté d’un enfant, c’est qu’il n’a pas de limites et qu’il peut être dans la toute-puissance, et c’est pour cela qu’il a ensuite besoin d’être cadré. Ce joueur, il peut avoir des traits un peu psychopathes, sociopathes, c’est quelqu’un qui ne respecte pas ces règles. C’est ce qui peut faire sa force, mais c’est aussi ce qui peut le perdre. » Surtout si la FIFA décide de sévir…
« Le foot permet aux gens de se foutre sur la gueule »
Pour le pistolero, le terrain serait donc comme une cour de récré, un endroit où il faut parfois recourir à la violence ou à l’intimidation pour asseoir son autorité. Laurent Le Vaguerese, psychiatre dans le XVe arrondissement de Paris : « D’une certaine façon aussi, dans cette cour de récréation dans laquelle ont lieu les matchs de football, on ne parle pas beaucoup. On est dans une activité qui fait la part belle au physique. Sur un terrain de football, on est dans le défi purement physique, on revient à des fonctions instinctives. Le sport, ce n’est jamais qu’un code social qui permet à des gens de se foutre sur la gueule. Il y a un moment où l’on sort du code social et on bascule dans l’agressivité pure et dure. » Une aire de jeu donc, ou un enclos zoologique dans lequel deux animaux se battraient pour montrer leur supériorité et mettre en avant leur virilité. Et comme le fait remarquer Hervé Santerre, directeur zoologique du zoo d’Amnéville, le comportement de Luis Suárez pourrait finalement s’apparenter à un animal pas si éloigné de l’homme que cela : « On peut considérer le geste de Suárez comme un comportement primitif. Ce type d’agressivité-là, on va le retrouver souvent chez les grands singes lors de combats qui peuvent avoir lieu entre des orangs-outans ou des gorilles. Ce sont des morsures qui peuvent aller très loin, je repense à Mike Tyson qui bouffe l’oreille d’Holyfield. Il peut y avoir des morceaux de doigts, de phalanges, des morceaux de pieds. C’est souvent comme cela que ça se passe, du fait de l’absence d’armes pour se foutre sur la gueule. Cela ressemblerait donc plus à un combat entre grands anthropoïdes. »
« Peut-être un geste d’affection »
Ou alors, peut-être qu’il faut tout simplement remonter aux racines de Suárez pour comprendre cet excès d’engagement, propre aux Sud-Américains. Un postulat qui peut sembler légitime quand on sait, d’après les propos de Thibault Martin, dentiste dans le XIe arrondissement de Paris : « Peut-être qu’il y a là aussi un aspect plus ou moins culturel. On peut imaginer que dans un excès de violence, de hargne, c’est quelque chose qui peut arriver. » Quoi qu’il en soit, croquer dans de la chair humaine n’est en aucun cas conseillé pour la bonne santé de l’émail dentaire : « Cela ne permet pas d’avoir de plus belles dents. Mais la mâchoire, c’est une arme comme une autre, elle détient une force monumentale. Un chien qui vous croque la carotide en vous mordant, c’est mortel. C’est pareil pour les mâchoires humaines, vous pouvez faire de gros dégâts, plus qu’avec un coup de poing. Après je ne sais pas, c’est peut-être un geste d’affection aussi. » Il serait urgent d’en informer le reste du monde : à ce jour, s’il est en passe de devenir le footballeur le plus mal-aimé de la planète, Luis Suárez est surtout le plus redouté de ses adversaires…
Par Maxime Nadjarian et Victor van den Woldenberg