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Pourquoi les sélections africaines ont toujours des soucis de primes ?
À l'image du Cameroun, du Ghana et du Nigeria, les conflits autour du versement des primes de qualification et de leur montant semblent polluer le quotidien des sélections africaines en phases finales de Coupe du monde. Plus qu'une question d'argent, les discussions et les menaces de grève brandies par les joueurs résonnent comme un symptôme de l'éternelle improvisation qui régit les fédérations du continent.
Les Nigérians, qui affrontent la France cet après-midi à Brasília, ne se sont pas entraînés jeudi dernier. Ils discutaient primes de qualification pour les huitièmes de finale et « de plein d’autres choses » a assuré hier en conférence de presse Stephen Keshi, leur sélectionneur, pour tenter de désamorcer le début de polémique et démontrer que son équipe était toute entière tournée vers son match. Avant les Super Eagles, ce sont les Ghanéens qui avaient dû hausser le ton face aux dirigeants de leur Fédération. Et quelques jours avant le début de la compétition, les Camerounais s’étaient lancés, comme ils en ont l’habitude, dans un long bras de fer avec les représentants du ministère des Sports et de l’État au sujet du versement de leur prime de qualification pour la phase finale. Ils avaient menacé de ne pas s’envoler pour le Brésil et refusé de recevoir le drapeau national du chef de l’État, cérémonie hautement symbolique dans de nombreux pays du continent. Leur attitude avait scandalisé les médias du pays qui, en retour, ont employé à peu près les mêmes adjectifs que ceux entendus en France au lendemain des événements de Knysna.
Dernière minute et engueulades
Les discussions autour des primes semblent devenues un rituel de la préparation des sélections africaines qualifiées, au moment où les autres courent en altitude ou signent des autographes pour les grands comptes de SFR. Avec l’impression que, malgré la présence de l’Algérie et du Nigeria en huitièmes de finale, les sélections africaines perdent beaucoup d’énergie et de crédibilité dans ces sempiternels débats à même d’expliquer en partie leurs résultats médiocres obtenus en phase finale. Et qu’ils pourraient facilement s’épargner ce genre de psychodrames. En 1974, pour la première participation d’une équipe de l’Afrique sub-saharienne en phase finale, les joueurs zaïrois étaient entrés en conflit avec leurs dirigeants, après les avoir vus encaisser des chèques dans une banque. De l’argent qui leur revenait. Plus récemment, les Camerounais se sont écharpés avec leurs dirigeants au sujet d’une prime de qualification obtenue en… novembre 2013. « C’est l’éternelle règle de la dernière minute » , estime Claude Le Roy, ancien sélectionneur du Ghana, de la RDC, du Sénégal et du Ghana : « On a l’impression qu’il faut toujours que cela se règle dans l’urgence, en s’engueulant, de manière vive. Et c’est totalement inutile parce qu’in fine, les primes sont toujours versées sauf quand un ministre oublie de te donner l’argent que tu as gagné et tu le récupères dix ans après. »
Dix ans pour recevoir sa prime n’est pas un record. Cité dans Le Monde, l’historien du football Paul Dietschy donnait l’exemple d’un joueur camerounais, qui en 2013 était allé frapper – sûrement pas pour la première fois – à la porte de la Cecafoot pour réclamer le versement du reliquat de sa prime attribuée pour sa participation à la Coupe du monde italienne de 1990. En mars 2007, Emmanuel Adebayor et deux autres internationaux togolais avaient été suspendus de la sélection pour avoir osé exiger la même chose, neuf mois après l’unique participation du Togo à une phase finale. Les dirigeants les avaient punis « pour comportement d’indiscipline caractérisé » trois mois avant de les réintégrer « dans l’intérêt supérieur de la nation » avec le même sens de la dramaturgie et des palabres que les discussions autour des montants. À l’arrivée, « c’est plus qu’une pollution, c’est des emmerdements qui te font oublier l’essentiel, le terrain. Les joueurs s’entraînent les uns les autres, des clans peuvent se former » , poursuit Claude Le Roy, qui tentait de « régler ces questions en amont » .
Une boîte à chaussures pleine de billets
Une seule fois, il a été confronté à ces emmerdements alors qu’il dirigeait la sélection de la République démocratique du Congo à la CAN organisée en Égypte en 2006 : « Comme les fédérations n’ont pas d’argent, tu discutes avec le gouvernement, voire le plus haut sommet de l’État. En Égypte, il a fallu que Laurent Kabila m’appelle au milieu d’un échauffement, que je lui passe le capitaine et qu’il rassure l’équipe. » Les joueurs de la sélection de RDC avaient dû attendre 48 heures et l’arrivée d’un envoyé spécial « primes » , parti de Kinshasa avec une mallette de liquide pour récupérer leurs dollars. L’argent versé par la FIFA aux fédérations qualifiées pour la phase finale se transforme toujours en cash. En 2006, certains joueurs togolais se promenaient toute la journée avec une boîte à chaussures pleine de billets sous le bras, par peur de se la faire voler. « Cet argent des primes est hautement symbolique en Afrique. Parce que c’est l’équipe nationale et parce que les joueurs le redistribuent à la famille et aux proches. Quand on voit le niveau des salaires, les montants sont presque anecdotiques aujourd’hui » , précise Claude Le Roy. Pendant la Coupe du monde 1998, alors qu’il était sélectionneur du Cameroun, les joueurs avaient laissé leurs primes en liquide dans le coffre-fort de l’hôtel dans lequel ils séjournaient près de Béziers. Trois mois après, le directeur de l’hôtel avait appelé Claude Le Roy pour lui demander ce qu’il devait faire de tout ce cash oublié par les joueurs : « Ils avaient pris ce qu’ils devaient donner à la famille au Cameroun et laissé ce qui était destiné aux proches vivant en Europe. »
Par Joachim Barbier