- Euro 2020
- Finale
- Italie-Angleterre (1-1, 3-2 TAB)
Pourquoi les perdants d’une finale enlèvent-ils immédiatement leur médaille ?
Ce dimanche, les Anglais se sont inclinés en finale de l’Euro face à l’Italie au bout de la nuit et d’une cruelle séance de tirs au but. Une grande déception pour les Three Lions qui s’est matérialisée par un comportement que l’on voit de plus en plus dans le football : celui de retirer instantanément sa médaille après sa remise.
C’est une scène à laquelle on est désormais habitués : celle des vainqueurs faisant une haie d’honneur aux vaincus qui s’avancent vers l’estrade pour recevoir leur breloque argentée. Les Anglais n’y ont pas coupé et se sont avancés vers le président de l’UEFA, Aleksander Čeferin, avec le visage défait. Mason Mount n’attend même pas que Čeferin lui glisse la médaille autour du cou pour l’enlever. Kalvin Phillips, qui le suit de près, l’enlève presque instantanément, mais l’embrasse tout de même. Des comportements récurrents lors des cérémonies, qui divisent toujours autant les observateurs.
Cette médaille qui pèse une tonne…
Lors d’une remise de médaille, que devraient faire les joueurs ? Accepter la médaille, la conserver autour du cou et attendre sagement avec leurs copains. Ça, c’est dans un monde idéal. Sauf que dans la réalité, ce n’est pas tout à fait ça. Ces derniers temps, le fait d’enlever sa médaille est devenu une tendance qui s’est confirmée lors des finales de Ligue Europa, de Ligue des champions et, donc, de l’Euro ce dimanche. Mais alors, pourquoi les athlètes semblent-ils vouloir se défaire le plus rapidement possible de cette médaille ? Clément Le Coz, psychologue du sport et préparateur mental, nous donne un premier élément de réponse : « Il n’y a pas de validation scientifique à ce sujet, c’est mon interprétation. Mais je pense que le caractère guerrier du sportif s’exprime, celui qui n’accepte pas l’échec et maximise ses chances de gagner. Le danger, c’est que tant qu’on n’accepte pas l’échec, on le ressasse et on reste coincé dans la défaite, on reste dans le déni en somme. C’est symbolisé par le fait d’enlever sa médaille. »
Un « caractère de guerrier maudissant la défaite » motiverait donc ce geste, et celui-ci serait multiplié lorsque ledit guerrier passe tout près de la victoire, comme cela a pu être le cas avec les Anglais. Anthony Geslin, lui aussi, a effleuré ce Graal à plusieurs reprises. Troisième des championnats du monde de cyclisme à Madrid en 2005, et vice-champion de France à Saint-Brieuc en 2009, il comprend cette nécessité de se défaire de cette breloque en argent qui, à ce moment précis, représente le poids de la défaite. « Parfois, tu n’as qu’une envie, c’est de la retirer. Quand je fais deuxième du championnat de France en 2009, j’ai cru toute la journée que j’allais gagner, se souvient-il. J’ai enlevé la médaille directement après le podium. Je n’avais pas digéré. Mais j’ai respecté le vainqueur en la gardant sur le podium. »
… que « tu dois prendre même si ça t’emmerde »
Le respect est effectivement une variable qui revient très souvent à ce sujet. C’est d’ailleurs ce « manque de respect » qui est pointé du doigt par Anthony Geslin. Ce dernier fait une différence entre retirer sa médaille dans la confidentialité la plus totale, comme lui l’a fait en 2009 et la retirer alors qu’on vient de la recevoir, devant les caméras : « Par respect pour le protocole et l’institution, tu dois la prendre même si ça t’emmerde. En faisant ça, les sportifs jettent du discrédit sur le moment. Si j’étais l’instance, je les sanctionnerais. » Néanmoins, si bon nombre d’Anglais, parmi lesquels Jack Grealish, Harry Maguire ou Harry Kane, ont retiré le morceau d’argent instantanément, d’autres, comme Gareth Southgate, ont préféré la garder au cou.
Southgate n’est d’ailleurs pas le seul entraîneur à l’avoir fait, puisqu’en mai dernier, après sa défaite en finale de Ligue des champions, Pep Guardiola l’avait également gardée et même embrassée. Un geste salué par le pape François en personne. « C’est là où on voit l’expression des différences individuelles, Pep a conscience de la valeur d’une finale, analyse Clément Le Coz. Il sait qu’il n’aura peut-être plus l’occasion d’en jouer une autre, il a plus de recul que certains joueurs. » Tout ça ne serait donc qu’une question de maturité et de recul ? Pour les Anglais, cela se tiendrait : la plupart d’entre eux ont moins de 25 ans et sont encore au début de leur carrière. La moitié du groupe anglais disputait là sa première finale européenne (Euro, Ligue des champions et Ligue Europa). Sauf que, même s’ils aspirent à mieux, rien ne dit que cette médaille d’argent ne fera pas partie, lorsqu’ils auront raccroché les crampons, des plus belles pièces de leur collection. Alors, ils la chériront, tout comme Anthony Geslin : « La médaille de Saint-Brieuc est dans une pièce avec tous les autres trophées. Le temps a fait son œuvre. »
Par Hugo Bouville
Tous propos recueillis par HB