- Ces gestes qui trahissent
Pourquoi les mains sur les hanches ?
C'est un geste, une attitude, que l'on retrouve sur tous les terrains de football. A chaque but encaissé, à chaque défaite, les têtes se baissent, les mains se posent sur les hanches et les regards s'assombrissent. Pourquoi ? Comment ? Tentative de dissection d'une pose pas comme les autres avec deux spécialistes. Bienvenue chez les Psy.
Camp Nou. Barça-Bayern, demi-finale retour de la Ligue des champions. 76e minute, les Catalans encaissent un humiliant troisième but. Terrible coup dur. Alors que Thomas Müller fait le mariole avec ses potes bavarois, Alex Song, Marc Bartra et Thiago Alcántara fixent le vide et posent les mains sur leur taille. Simultanément. L’image est frappante mais pas vraiment étonnante. Car cette posture est probablement le geste technique le plus répété sur les terrains de football. Que l’on soit pro ou amateur. Que l’on ait 12, 20 ou 30 piges. Un temps mort, une défaite, un but encaissé… Tout est prétexte pour prendre la pose, même durant quelques secondes. Certains, comme Juan Román Riquelme, en ont même fait une marque de fabrique. La mécanique, bien huilée, s’accompagne souvent d’un regard de brebis égarée. Logique. « Le corps traduit certaines émotions et certains ressentis. Il est en perpétuelle communication avec l’esprit, explique Grégoire Besnard, psychologue du sport à Bordeaux. Il peut être difficile, à un moment, de verbaliser certaines choses. C’est donc le corps qui va exprimer ce traumatisme. » Le footballeur pense donc tout bas ce que son corps exprime tout haut. Le fameux « body language » . Pas facile à gérer et encore moins à contrôler. Jean-Cyrille Lecoq, autre psy du sport basé à Paris, confirme : « C’est peut-être moins frappant dans d’autres disciplines mais, en foot, un but change tout. Et c’est là que le langage du corps prend toute son importance. Ça témoigne d’un manque de confiance et d’un aveu d’impuissance » . C’est tout ? Pas sûr.
Gangnam Style et contamination mentale
La pose « main sur les hanches » façon Gangnam Style (du Psy coréen, cette fois-ci) ne reflète pas qu’un mal-être personnel. Elle traduit aussi et surtout les doutes du footballeur envers ses coéquipiers. Notamment après avoir encaissé un pion. « Le fait de prendre un but est toujours l’aveu d’un dysfonctionnement de l’équipe, assure Besnard. Il est donc logique que les membres du collectif se posent la question de la cause de ce dysfonctionnement » . Les spécialistes parlent de « concept d’efficacité collective » . « Un but peut mettre à mal la confiance que le joueur a dans son équipe. Et ce manque de confiance s’exprime au travers de son corps. » En réalité, le joueur gagne grâce au collectif et perd à cause de ses coéquipiers. Et il va le faire comprendre au travers de sa posture préférée. Boudeur, le footballeur ? Un peu, oui. Souvent inconsciemment d’ailleurs. « La défaite implique toujours de rechercher une cause, une explication. Il y a toujours un bouc émissaire au sein de l’équipe » , lâche Lecoq.
Un ressenti personnel qui n’explique pas vraiment pourquoi les joueurs réalisent pratiquement tous le même geste au même moment. « Moi j’appelle ça la contamination mentale, explique le psychologue parisien. C’est surtout frappant dans une équipe où le collectif domine, comme le Barça, par exemple. Il y a un phénomène de mimétisme dans la victoire mais aussi dans la défaite » . Et Besnard de préciser : « Les émotions d’un joueur peuvent tout à fait se retrouver chez un de ses coéquipiers. C’est une sorte de contagion émotionnelle » . Problème : l’attitude défaitiste des joueurs donne un avantage moral à l’adversaire qui, en face, observe les regards apeurés de ses victimes. Ou pas. « Le fait de laisser paraître les émotions donne forcément quelques indications à l’adversaire, mais les grands sportifs sont capables de se reconcentrer et de se remobiliser rapidement. C’est leur force. L’influence est donc minime » , développe Besnard.
Comme des moutons
C’est là que le rapport du footballeur à la défaite prend toute son importance. « Certains vont la prendre comme un défi à relever et parvenir à faire le point sur ce qui n’a pas été. Chez d’autres, en revanche, elle est plus difficile à surmonter. » Encore plus, peut-être, dans un stade rempli et avec des dizaines de caméras braquées sur soi. Grégoire Besnard, toujours : « Les manières de réagir dépendent beaucoup du contexte où elles s’expriment. Certains comportements vont être attendus dans certains environnements alors que dans d’autres, ils seront proscrits. C’est ce que l’on appelle l’influence normative » . Un concept selon lequel les membres d’un groupe agissent tous de la même manière. Histoire d’éviter les conflits. Histoire, aussi, de ne pas être rejetés. Et c’est précisément ce schéma qu’appliquent les footballeurs sur les pelouses. Si l’un porte les mains sur ses hanches, l’autre suivra. La théorie des moutons, donc.
Reste la question de la posture en elle-même. Pourquoi le footballeur met-il les mains au niveau de la taille ? Difficile à dire. Lui, ne semble pas y penser. Mais peut-être bien, au fond, qu’il ne peut les mettre ailleurs. Parce que c’est toujours plus classe que d’avoir les bras ballants et plus respectueux que de les croiser. Peut-être, aussi, parce que les shorts de foot n’ont pas de poches. Une chose est certaine : avant que les équipementiers ne se penchent sur le sujet, Thiago, Song, Bartra et les autres devraient continuer à prendre la pose. Match après match. But après but. Et nous rappeler, dans un coin de notre tête, une vieille chanson d’Adamo. Oui, Adamo. Foutu mimétisme.
Par Grégory Blasco