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Pourquoi les footeux doivent aller manifester
La grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites a réussi l’exploit de forger l’unité syndicale contre elle. Si ce combat peut sembler éloigné des préoccupations du footeux ou de la footeuse, il existe pourtant de bonnes raisons pour que les crampons viennent aussi fouler le pavé des cortèges.
La réforme des retraites, dont tout le monde retient surtout le report de l’âge légal à 64 ans, divise le pays et surtout réveille une France laborieuse qui se sent injustement pénalisée (notamment quand elle regarde son espérance de vie en bonne santé : 65,9 ans chez les femmes et 64,4 ans chez les hommes.). Les conquêtes sociales sont profondément enracinées dans notre histoire collective. Pour rappel, notre système actuel a été instauré lors de l’application du programme du Conseil national de la Résistance à la Libération en 1945 (le plafond symbolique de 60 ans pour l’âge de départ à taux plein remonte, pour sa part, à une ordonnance du 26 mars 1982 décidée par le gouvernement de Pierre Mauroy, sous la première présidence de François Mitterrand).
Le football n’est pas totalement absent de cette belle liturgie revendicative. S’il l’oublie souvent, surtout du côté de la FFF, l’essor et la démocratisation du ballon rond ont été largement facilités par l’extension des droits des travailleurs, par exemple la réduction de la durée hebdomadaire. Léon Jouhaux, alors secrétaire de la CGT, l’expliquait de la sorte en 1919 dans la revue Floréal : « À l’ouvrier exténué par sa tâche quotidienne qui rentrait las de son labeur dans un logis déplaisant, il était difficile de demander de parfaire son instruction […]. Quant à lui demander de faire du sport, c’eût été une amère dérision, n’est-il pas vrai ? » Le Front populaire, en 1936, contribuera à amplifier le phénomène et cette dépendance invisible, avec une semaine des deux dimanches qui permettait de taper deux fois plus le cuir les week-ends.
Une solidarité évidente
L’instauration de la retraite joua aussi son rôle. Ne serait-ce que parce qu’aujourd’hui, nombre d’associations ne peuvent fonctionner sans leurs retraité-es bénévoles. Et n’oublions pas que le report de l’âge de la retraite risque de freiner l’actuel essor du walking foot, version sport-santé (paraît-il priorité du ministère) de la grande famille du football. Il est donc presque de l’intérêt supérieur du foot, si l’on désire que son gamin ou sa gamine continue d’être accueilli-e dans de bonnes conditions dans le FC du coin (dont on sait que des milliers ont disparu depuis quelques années, entre le confinement et la crise économique). Il s’agit certes de préoccupations fortement éloignées de la routine du comex fédéral et de son actuel président Philippe Diallo, ancien dirigeant, pour mémoire, de l’Union patronale des clubs professionnels de football.
Défiler aux côtés de la CGT ou de la CFDT constituerait en fait une juste reconnaissance du ventre. Une solidarité évidente, notamment de la part d’un monde pro où toutes et tous sont loin d’être millionnaires au passage. Un soutien envers celles et ceux qui ont permis leur éclosion sur les terrains plus ou moins pelés de ce vaste mouvement sportif associatif dont notre République peut légitimement s’enorgueillir. Enfin, il existe une dernière bonne motivation, qui devrait sensibiliser par exemple les ultras et autres supporters. Au regard de l’évolution des horaires des matchs, aussi bien en Ligue 1 qu’en Ligue 2, sans parler du National, avec la pression de la revente des droits télé à l’internationale (un de fantasmes économiques de la LFP), il s’imposera de plus en plus d’être retraité afin d’espérer pouvoir les regarder en direct à la maison ou même se rendre au stade.
Par Nicolas Kssis-Martov