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Pourquoi les footballeurs font-ils souvent plus vieux que leur âge ?

Par Christophe Gleizes et Raphaël Gaftarnik
Pourquoi les footballeurs font-ils souvent plus vieux que leur âge ?

Jérémy Toulalan, Didier Deschamps, Arjen Robben, le foot les a vieillis prématurément. À 25 ans, certains en paraissent déjà 40 et semblent porter les stigmates d’une vie entière de dur labeur. Entre explications médicales et perceptions mentales, décryptage de ce phénomène étrange qui marque les visages, ride les peaux et donne du boulot aux chirurgiens capillaires.

Après avoir vérifié sur la page Wikipédia et rafraîchi l’url pour être bien sûr, la triste vérité éclate : oui, malgré ton duvet et ton acné, tu as bien trois ans de plus que Kurt Zouma et ton grand frère de 26 ans a le même âge que Salvatore Sirigu. Les explications empiriques à ce phénomène initié par Benjamin Button sont difficiles à trouver. Spécialiste en médecine physique et réadaptation, le docteur Philippe Serrano a bien voulu s’y essayer : « La première période, dite de « maturation », entre la sortie de l’adolescence et 22 ans, est chez un sportif celle pendant laquelle il fait des efforts « naturels » sans s’économiser. Parfois, il peut y avoir une libération hormonale importante semblable à celle d’un sprinteur en plein effort, ce qui peut conduire chez certains individus à un vieillissement visible. » Ainsi, les jeunes ont de bonnes probabilités de grandir vite. Mais tandis qu’ils atteignent leur apogée grâce à l’exercice physique, ils se conservent beaucoup mieux par la suite, une fois devenus « vieux » : « À partir de 23-24 ans s’ouvre une seconde période dite de reconditionnement. Le footballeur connaît mieux son corps, gère ses blessures et ses efforts, sait se conserver. Par conséquent, il subit peut-être moins le temps que la population lambda par son travail actif. »

La longévité de Jérôme Leroy ou Cédric Barbosa couplée à la maturité précoce de certains joueurs peut donc brouiller le continuum espace-temps sur notre télé. Mais à la vérité, si nous avons tendance à imaginer le footballeur plus vieux, c’est surtout à cause de nos représentations mentales, comme l’explique le célèbre sociologue Christian Bromberger : « Les footballeurs paraissent plus âgés car ils n’ont pas le même train de vie que celui des jeunes hommes « normaux ». L’argent leur permet de s’offrir plus de confort – maison, voiture, sorties – autant de privilèges associés au succès auxquels les garçons de leur âge n’ont pas accès. Se crée ainsi un décalage certain : les footballeurs vivent leur carrière professionnelle très tôt, tandis que la plupart des gens travaillent jusqu’à 60 ans. » Malgré un contexte tendu en France à ce sujet, nous aurions donc tendance à les admirer : « Il n’est pas rare d’idolâtrer celui qui a réussi quelque chose, alors que nous sommes encore en devenir. Le spectateur est en position d’infériorité puisqu’il n’a pas encore réalisé ses objectifs, contrairement au footballeur. Cette dualité crée le sentiment d’être plus jeune pour celui qui regarde. »

Le complexe du jeune « vieux »

Auteur de multiples ouvrages sur le football, le professeur de classe exceptionnelle à l’université de Provence poursuit : « En second lieu, il existe un décalage majeur en ce qui concerne la vie sentimentale et la situation familiale des footballeurs. Les études prouvent qu’ils s’installent, se marient et font des enfants plus rapidement que le reste de la population. » Joint au téléphone, Michael Isabey, l’ancien milieu sochalien, confirme en creux : « Selon moi, c’est moins le cas aujourd’hui, mais avant c’est vrai, on avait tendance à se marier jeune, pour le confort. Quand j’ai commencé il y a 15 ans, avoir une situation stable, c’était important, il fallait être bien entouré. Cela permettait de créer une ambiance de club avec femmes et enfants. » « Quand tu commences ta carrière pro, tu côtoies tout de suite dans le groupe des joueurs d’expérience, âgés de 25 à 30 ans, qui te font rapidement gagner en maturité » , complète le Havrais James Fanchone.

Il y a longtemps, Mickael Isabey a été jeune, mais il ne s’en souvient plus vraiment : « Non, personnellement, je ne trouve pas que je fais plus vieux que mon âge » , se dédouane-t-il tranquillement, avant de poursuivre : « À mon époque, le joueur qui paraissait vraiment plus vieux, c’était Ravanelli, à cause de ses cheveux gris. Personnellement, je pensais qu’il était beaucoup plus âgé. » Au niveau de la délation, l’attaquant havrais James Fanchone en connaît aussi un rayon : « Parmi les joueurs qui paraissent plus vieux, je citerais volontiers Laurent Bonnard, mon ancien coéquipier. Quand on jouait au Mans, il avait déjà quelques cheveux blancs alors qu’il avait 26 ou 27 ans. Mais bon, je charrie pas trop car je commence à en avoir aussi. » Il faut dire qu’à 33 ans, les os commencent à craquer : « Quand je dis aux personnes âgées que passés trente ans, on est considérés comme vieux dans le milieu, elles me rient au nez. Pourtant, on ne peut plus faire les mêmes efforts qu’à 20 ans. On s’entraîne tous les jours à haute dose pendant des années, ce n’est pas comme si on faisait un petit footing pour s’entretenir la santé. Les séances restent un plaisir, mais on se fait vraiment mal. Moi, des fois, le matin, j’ai des courbatures partout, je suis obligé de me faire masser avant, sinon je finis pas l’entraînement. »

Stress et cheveux blancs

Tout ce débat laisse pour le moins Mickael Isabey indifférent : « Selon moi, il y a certains joueurs qui font leur âge, d’autres moins, c’est une question de physique et de maturité. Des garçons comme Mamadou Sakho paraissent plus vieux, mais c’est lié à leur personnalité ou à leur prestance. À l’inverse, certains comme Grégory Malicki, qui joue toujours à Angers, n’ont pas un cheveu gris à quarante ans. » Concerné, James Fanchone, tente de pousser plus loin la question et lance de nouvelles pistes sur le vieillissement prématuré de certains joueurs : « En tant que footballeurs, on est souvent victimes du stress, à cause du manque de résultats ou de buts. Personnellement, j’ai déjà été sifflé par mon propre public, ça met la boule au ventre. La pression peut parfois être positive, mais je trouve aujourd’hui que les footballeurs sont attaqués de partout. C’est difficile de tout gérer sereinement. »

Le stress, c’est un sentiment que les entraîneurs connaissent bien, au moins autant que les joueurs sur le terrain. L’attaque cardiaque de Gérard Houllier, les sucettes de Luis Fernandez ou les touillettes de Laurent Blanc sont là pour témoigner. Entraîneur du Racing Colombes, Azzedine Meguellatti traîne sur les bancs de touche depuis des années. Il explique en préambule son rapport à la pression : « Tout dépend du boulot… Tout dépend de la position de l’équipe et des objectifs qui te sont fixés. Après ce n’est pas le bagne, à un moment, chez France Télécom, cela devait être beaucoup plus stressant. » Après réflexion, notre spécialiste avoue avoir vécu des moments difficiles mentalement, notamment lorsqu’il a coaché Istres durant la saison 2002/2003 : « C’était stressant car il y avait aussi une responsabilité sociale importante… En cas de relégation de l’équipe en National, il y aurait eu une vingtaine de licenciements économiques au club. J’entendais régulièrement des salariés me demander : « On va s’en sortir, coach ? Ça va aller ? » Honnêtement ce n’était pas simple de répondre, surtout quand on lutte pour se maintenir. » S’il n’a pas l’impression que ces lourdes responsabilités ont véritablement joué sur son physique, il donne volontiers un exemple d’entraîneur particulièrement marqué : « Aimé Jacquet avant, pendant et après la Coupe du monde 1998. C’était vraiment frappant : en à peine deux années il a vieilli de 15 ans. »

Le pot de gel de Thauvin

Attaqué par L’Équipe avant le sacre de 1998, Mémé a pris un sacré coup de vieux. Une décrépitude que le Dr Christophe Bagot explique simplement : « Les personnalités du monde du football sont soumises à un stress constant de performance. Or, le stress est un facteur de vieillissement précoce à tous les niveaux de l’organisme. Il affecte la qualité des ongles, provoque la calvitie, vieillit la peau, autant de facteurs qui donnent un aspect plus âgé. » Le psychiatre et psychothérapeute, véritable spécialiste du stress au travail, poursuit l’analyse : En revanche, la responsabilité du stress dans le blanchiment des cheveux reste sujette à débat. Rejetée par les spécialistes, elle est confirmée par de multiples exemples historiques. » Et le docteur de se lancer dans une anecdote : « En juin 1791, pendant la fuite de Varennes, les cheveux de la reine Marie-Antoinette sont devenus aussi blancs que ceux d’une femme de 60 ans, alors qu’elle avait à peine 36 ans. Selon sa femme de chambre Mme Campan, elle aurait alors confié à la princesse de Lamballe une bague qui contenait une boucle de ses cheveux, avec l’inscription : « Ils sont blanchis par le malheur. » »

Stress, entraînement intensif, cocon familial et perception mentale hypertrophiée, les façons de vieillir le footballeur sont nombreuses et diversifiées. Malgré l’évidence physique, certains mortels tentent encore de déjouer le temps, avec plus ou moins de brio. S’inspirant des trucages d’identité de Freddy Adu ou Obafemi Martins, l’ancien gardien du PSG Apoula Edel a bien essayé de s’oublier quelques anniversaires sur son passeport râpé. Sans succès. D’autres, au contraire, refusent toujours de grandir et souffrent du syndrome de l’adolescent attardé, accro au pot de gel. Thauvin et Hamšík en ambassadeurs de qualité, cette génération de jeunes footballeurs ressemble à s’y méprendre à un groupe de lycéens en rut. Qu’importe. Car vieux, pré-pubères ou tricheurs, tous savent une chose : aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Et ce ne sont pas les bagues de Marquinhos qui diront le contraire.

BONUS :

Christophe Bagot, L’Empire du Stress, Editions de l’Homme, Montréal, 2012

Christian Bromberger, Le comportement du supporter, Revue E.P.S, n° 268, nov.-déc. 1997 (pp. 45-47) ou Le sport et ses publics, in Le sport en France, Paris, La Documentation française, 2000 (pp. 97-113).

Le top 10 des vieux dans le foot, par Who ate all the pies ?

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