- France
- Stade de Reims
Entraîneurs en tribune : une hauteur pestilentielle
Dimanche dernier, Will Still n'a pas aimé regarder le match de Reims depuis les tribunes nantaises. Pourtant, la plupart des entraîneurs de rugby ont adopté cette vue plongeante permettant d'avoir un regard plus pointu sur l'animation tactique. De quoi impliquer un fonctionnement bien différent du management.
Le coup de sifflet final scellant la victoire du Stade de Reims à Nantes (0-1) a été fêté comme il se doit par Will Still dimanche. Le « Fuck yes » hurlé par le Belge ne s’est pas fait entendre du banc de touche, mais des tribunes de la Beaujoire. Suspendu, l’entraîneur rémois a été contraint d’assister au match perché aux derniers rangs et ne s’y est pas fait : « Je tiens à dire que c’est absolument affreux de vivre un match de là-haut. […] T’as l’impression d’être sur une autre planète, de ne pas être connecté à la réalité, de ne pas pouvoir contrôler ce que t’aimerais contrôler, et tu te sens con en fait. » Celui qui semblait apporter un vent de fraîcheur sur les pelouses de Ligue 1 n’est donc qu’un coach parmi tant d’autres qui aime faire les 100 pas dans sa zone technique et pousser sa gueulante au moment venu.
Une vue d’ensemble unique
Quelques semaines après la Coupe du monde, le football pourrait pourtant s’inspirer du rugby sur ce point-là. Pendant le Mondial, tous les sélectionneurs étaient campés en haut des gradins pour observer le jeu, car le règlement de World Rugby leur interdit tout simplement d’aller au bord du terrain. « C’est cette vue d’ensemble que je cherche », explique Alexandre Ruiz, entraîneur de Soyaux-Angoulême en Pro D2, constamment posté dans les tribunes aux côtés de ses adjoints, malgré la souplesse française qui laisse le choix aux coachs. D’en haut, il communique grâce à un casque avec Tanguy Kerdrain, l’entraîneur des avants, qui se trouve aux abords de la pelouse. Rolland Courbis avait aussi tenté l’expérience dans les années 1980 en regardant certains matchs du SC Toulon depuis les tribunes et va dans le même sens : « Quand t’es en rase-mottes, tu ne vois rien, ça c’est sûr. C’est comme quand tu regardes un match à la vidéo où tu te rends compte de choses différentes que celles vues du banc. »
Au niveau de la tactique, tout est plus clair en montant de quelques mètres. « Tout ce qu’on travaille à l’entraînement se voit très rapidement d’en haut. Même au niveau des adversaires, tu sais assez vite ce qu’ils veulent faire quand t’as cette vision d’ensemble, explique Alexandre Ruiz. Si un mec me dit qu’il voit mieux en bas, je ne comprends pas. Souvent, quand j’écoute la conférence de presse d’un entraîneur adverse qui était au bord de la pelouse, je me dis qu’on n’a vraiment pas vu le même match. » Lors de son passage à Montpellier, celui qui était alors adjoint de Philippe Saint-André avait passé un an sur le banc de touche, mais opte largement pour sa place en tribune depuis. Ravi d’avoir accès directement aux statistiques et aux ordinateurs, il note aussi être moins touché par la pression de l’évènement quand il est avec ses adjoints dans le box réservé. « L’avantage d’être à part est surtout de pouvoir rester très lucide. On ne peut pas être quatre sur le banc à gueuler dans tous les sens. J’ai un caractère assez sanguin et je peux vite perdre le contrôle », reconnaît-il. Rolland Courbis et Will Still possèdent aussi un caractère bien trempé, mais préfèrent tout de même rester au bord de la pelouse.
L’impuissance de l’entraîneur
Le Marseillais, qui a fait le tour des clubs français, n’a pas retenté l’expérience depuis ses années toulonnaises. « Finalement, je suis assez vite revenu sur le banc, se souvient-il aujourd’hui. Je gagnais au niveau de la lecture du jeu, mais ça ne compensait pas ce que je perdais à me tenir loin de mes joueurs. » Will Still aussi déplorait cet éloignement ce week-end, pendant que son adjoint et frère, Nicolas, occupait sa place au bord de la pelouse. Constamment en mouvement dans sa zone technique, l’entraîneur du Stade de Reims, en bon polyglotte, n’hésite jamais à prendre la parole pour replacer chacun de ses hommes. Pourtant, les interactions entre les acteurs semblent parfois limitées lorsque les décibels s’envolent. Après la défaite de l’OM face à Tottenham la saison dernière, Igor Tudor en venait presque à regretter l’ambiance du Vélodrome : « Les joueurs n’ont pas entendu. Je leur disais de rester (derrière), mais ils sont montés, ils n’entendaient pas avec le public. »
Obligé de déléguer durant les rencontres, notamment en envoyant les kinés parler aux joueurs, Alexandre Ruiz admet que ce fonctionnement oblige un management plus participatif entre chaque membre du staff. L’entraîneur de Soyaux-Angoulême remet en cause l’essence même de son métier : « Pendant le match, je ressens une certaine impuissance. Je sais qu’entre la causerie et la mi-temps, je ne peux pas agir. Donc, pour moi, autant être loin d’eux et voir exactement ce qu’il se passe pour leur expliquer clairement aux vestiaires. » Rolland Courbis veut aussi voir ce découpage de la rencontre en regardant la première mi-temps depuis les tribunes, puis la deuxième du banc pour opérer ses changements et gérer une possible fin de match à suspense. « Les vingt dernières minutes sont sûrement les seules où tu peux agir sur le collectif », estime Alexandre Ruiz qui pourrait envisager de descendre auprès des siens dans ce money time. Les temps morts, comme au basket ou au handball, ne devraient pas voir le jour de sitôt dans le football pour permettre à Pep Guardiola et ses confrères de donner quelques consignes. Alors, dans une quête toujours plus importante d’hypothétiques gains marginaux, la prochaine révolution est tout simplement de prendre un peu de hauteur.
Pronostic Le Havre Reims : Analyse, cotes et prono du match de Ligue 1Par Enzo Leanni
Tous propos recueillis par EL, sauf ceux de Will Still et d'Igor Tudor, issus de zone mixte et de Canal+.