- Licenciement de Stéphane Guy
Pourquoi le licenciement de Stéphane Guy est une mauvaise nouvelle pour le foot
Après avoir pris la défense à l'antenne de Sébastien Thoen et s'être indirectement livré au crime de lèse-Pascal Praud, Stéphane Guy s'est fait virer de chez Canal Plus. Si ce genre de sanctions constitue évidemment une grave menace pour le journalisme et la liberté d'expression, il ne faut pas oublier que le football français risque également d'en pâtir.
Stéphane Guy viré de Canal Plus. La nouvelle de cette mini-purge stalinienne tombe pile-poil au moment où la chaîne cryptée, qui avait bâti son succès sur le X et le foot, se retrouve sur le point de récupérer les droits télé de la Ligue 1 après le naufrage de Mediapro. Si commenter l’actualité du ballon rond peut représenter pour certains un front très secondaire de la défense d’un journalisme libre et indépendant, l’année 2020 a pourtant démontré à quel point l’exercice s’avérait vital pour la vie du débat démocratique dans notre pays. Ne serait-ce qu’avec le cas du racisme, explosant lors d’un match de Ligue des champions du PSG.
Ce sport, devenu phénomène de société, a besoin d’un traitement qui outrepasse les échanges sur le plateau du Canal Football Club. Et quand bien même on ne mobiliserait pas les grandes thématiques sociétales, il n’en demeure néanmoins pas moins vrai que ce qui se passe autour et sur le terrain mérite d’être trituré avec le plus grand sérieux combiné à un esprit critique affûté. Même si cela peut paraître futile, ou encore superflu.
Sauver le foot de son autosatisfaction
Le foot français, et surtout la LFP ou la direction des clubs, se croient déjà suffisamment de droit divin. Sans avis ni retour « de l’extérieur » , cette autosatisfaction – qui a déjà produit le Titanic des droits télé, ou qui conduit à recruter Raymond Domenech à Nantes – s’épancherait dans le silence poli de plateaux télé réduits à l’enregistrement des décisions ou à l’affrontement sur les prises de poids des joueurs entre deux polémiques sur leur vie privée.
Naturellement, il ne s’agit de défendre que le travail du journaliste, d’un Stéphane Guy ou d’un autre. Car le foot a besoin d’un esprit éditorial, il nécessite d’être raconté autant que commenté. Qu’auront en tête les successeurs de Sébastien Thoen ou Stéphane Guy, désormais ? Quelles craintes nourriront-ils, quant à leur liberté de ton ou simplement d’analyse ? Dans une boîte où l’on signe anonymement des pétitions de soutien, on ne doute pas que cette omerta et cette auto-censure désormais exigées ne finissent par s’imposer jusqu’à se généraliser ailleurs.
Le journalisme pour sauver le foot ?
Et le foot français, dans tout ça ? Il sort, déjà, d’une année 2020 affaibli. Économiquement, sportivement ou moralement. Surtout, en matière de popularité comme d’intérêt, il a clairement perdu des points. Du moins, il a perdu le contact avec une partie de la population, voire de la jeunesse. Privé de public et la plupart du temps condamné a des matchs à huis clos, ce foot est déserté par la passion, elle-même écrasée sous le poids du contexte. Retrouver le chemin des cœurs et des yeux des Français et des Françaises ne pourra pas s’effectuer par un lissage des discours, dont le seul but est d’aiguiller le parieur vers la bonne cote. Le foot a besoin, surtout dans l’Hexagone, d’être abrasif, polémique, politique pour devenir national et pour valoir bien plus que ce qu’il propose sur le terrain. Le foot a besoin d’un journalisme fort, pas d’une trahison des clercs ou de valets tendant les micros au bord des pelouses.
Certes, il existera toujours des niches de résistance dans la presse écrite ou sur le web. Mais faut-il accepter que ce principal média que demeure la télé soit à ce point normalisé, surtout pour un domaine devenu aussi essentiel et révélateur de notre société ? Qui sera là, pour y traiter des inévitables déferlantes partisanes qui vont le submerger ? Avec quelles armes, au nom de quelle conception du métier ? Davantage que de juger des choix tactiques ou des performances d’un entraîneur, qui répondra présent pour interroger l’échec ou non de Tuchel, de Bielsa, d’Emery en Ligue 1 ? Le journaliste critique était souvent considéré comme un pisse-froid ou un ronchon, invité pour faire bonne figure. Même sa version, pour le moins assagie, d’un Stéphane Guy n’est plus acceptable sur une grande chaîne comme Canal. Et il serait erroné d’imaginer que seul Boloré partage cette vision du journalisme. Le foot français a besoin de redevenir passionnant, et passionné. Cela ne peut reposer uniquement sur les épaules et dans les pieds des joueurs. Sans un journalisme qui se sent libre de mordre le trait, les débordements sur l’aile de Mbappé se réaliseront de plus en plus dans l’indifférence…
Par Nicolas Kssis-Martov