- Billet d'humeur
- Réflexion autour du football
Pourquoi le football est-il meilleur que le rugby ?
Le rugby, vous aimez bien, mais à petites doses. Et surtout pour insulter les Anglais, faut pas se le cacher. Votre truc à vous, c’est le foot. Un sport qui ne prétend pas être parfait. Un sport où le meilleur ne gagne pas à la fin. Un sport où même la pire des équipes de France ne perd pas contre les Tonga.
Juin 2010, esplanade du Stade de France, une finale de Coupe d’Europe 100% française, un vainqueur (le Stade Toulousain), un perdant (Biarritz pour la 2e fois en cinq ans). Une heure après, les vaincus et leurs bourreaux se confondent déjà dans un mélange de bière coupée à l’eau, de frites trop grasses et d’un pakito improvisé sur une dalle de béton. La défaite est déjà oubliée et digérée. On ne va quand même pas se gâcher le week-end pour une passe ratée de Damien Traille. La convivialité l’emporte toujours. La convivialité, cette première des valeurs d’un sport qui en a revendre et à en marketer. De ces moments de partage et de confraternité, le rugby tire sa supériorité morale sur ce demi-frère un peu mongolo, incapable de bien se tenir et où on se met sur la gueule pour un motif aussi dérisoire dans le fond que le résultat d’un match.
Oui, le footeux a des mauvaises manières. Il met ses doigts dans le nez, pose son coude sur la table quand il ne le met pas carrément dans la gueule d’un type qui a le tort de porter un maillot d’une autre couleur. Mais « le manchot » a une excuse. Chez lui, son sport n’est pas une question de vie ou de mort. C’est bien plus que cela pour pomper encore une fois Bill Shankly. Le foot mange votre esprit, provoque des abysses de tristesse, met en danger votre couple et gâche vos week-ends. Le football est une maîtresse exigeante, une maîtresse qui demande une attention de tous les instants. « Je pense à l’Hellas tout le temps » , avoue le voisin de Tim Parks dans Une saison à Vérone, plongée recommandée dans la psyché tourmentée des différents acteurs d’un club (joueurs, dirigeants, supporters).
Avec sa troisième mi-temps, ses voyages organisés à Cardiff ou Dublin, le rugby tient, lui, du prétexte. Prétexte à un gueuleton, prétexte pour « monter sur Paris » , prétexte pour vider ses tripes rue Princesse, prétexte à discuter affaires, prétexte pour « se retrouver avec les copains » . Rien n’est jamais grave au pays de l’ovalie. Un arbitre sud-africain vous vole une Coupe du monde ? C’est dur, mais les All-Blacks jouent chez eux, et puis une parade est déjà prévue pour le lendemain. Votre pilier droit a de la cocaïne dans son urine ? Peter a fauté, mais il traverse une sale passe et cela ne sert à rien de l’enfoncer. Votre sélectionneur est un affairiste ? Bernard a eu deux, trois placements hasardeux, mais c’est Bernard, tout va parfois un peu trop vite dans sa tête. En revanche, évitez de parler de sodomie. Surtout si elle est arbitrale. Toujours bien se tenir, ne pas sortir du cadre, tu n’as pas encore compris Mourad ? Le gentleman peut toujours donner la leçon au voyou, il sait très bien qu’il est condamné à la comparaison avec lui. Le footballeur est à la fois son enfer et son paradis du rugbyman. Il rêve de sa célébrité et de sa fiche de paye, mais sans la jalousie et les critiques qui vont avec.
Et puis, on parle d’un sport qui veut bannir l’imprévu. Un sport où le vainqueur doit toujours l’emporter à la fin, un sport qui ne jure que par la loi du plus fort et, pire encore, par la vidéo. Le foot, lui, laisse toujours la porte ouverte aux petits malins, aux imposteurs de talent et aux cocus de tous bords. Il est injuste, frustrant et un peu malhonnête aussi. Et c’est un peu pour ça qu’on l’aime d’amour.
Par Alexandre Pedro