- Billet d'humeur
- Réflexion comparative autour du foot
Pourquoi le football est-il meilleur que le ski ?
Les Mondiaux de ski ont débuté, et intéressent assez de monde pour que Saint-Moritz soit devenu depuis lundi une place forte de l'actualité sportive. Une aberration pour tous ceux qui n'ont jamais compris l'engouement autour des sports d'hiver, et qui gardent un ballon de football au fond du cœur. Bref, pour les personnes de bon sens, tout simplement.
Toute vêtue de rouge et de bleu, tape-à-l’œil avec sa titraille massive et guerrière, la une de L’Équipe de lundi dernier a ravi les amateurs de front pages agressives et rutilantes. Le genre de une puissante que l’on remarque de très loin, que l’on a envie de collectionner et d’afficher chez soi. En gros caractères blancs, cette annonce : « LES NOUVEAUX RIVAUX. » Juste en dessous, Falcao et Cavani en train de se chamailler pour le ballon. Avec, évidemment, le Colombien dans le coin rouge du ring et l’Uruguayen dans le coin bleu. Le PSG, Monaco, des buteurs, la Ligue 1, bref de la vraie une qui pue le football. Le reste de l’actualité sportive ? Balayée. Louis Picamoles avait à peine le droit de passer une tête, et était forcé de tenir en deux pauvres lignes dans le coin supérieur gauche de la page. Un intrus, à coup sûr. Mais comme dire leurs quatre vérités aux types de 120 kilos reste un exercice périlleux, fermons les yeux. De toute manière, la réelle anomalie de cette une, c’est plutôt dans le coin supérieur droit qu’il fallait la chercher. « Ski – Championnats du monde – Les Bleus à pleines dents. » Dans un monde normal, ces quelques mots auraient uniquement leur place en une du Dauphiné Libéré, mais L’Équipe aussi avait décidé d’annoncer la mauvaise nouvelle. Pour les deux semaines à venir, Eurosport ne diffusera donc pas que du snooker, du superbike et des teasers annonçant le Giro, et a déjà envoyé ses plus fins limiers à Saint-Moritz pour couvrir les dits Mondiaux de ski. Comprenez Alexandre Pasteur, Pauline Schatz et Pierre-Emmanuel Dalcin.
Du Milka et des Autrichiens
Bref, pas de quoi changer la face du monde. En plus, la rupture avec la chaîne Eurosport était déjà consommée depuis bien longtemps, du moins chez les gens respectables. Le schisme a démarré quand Eurosport a cessé de diffuser cette émission de zapping un peu dingue dans laquelle les plus beaux buts de la semaine européenne défilaient frénétiquement les uns après les autres. Alors quand en plus Eurosport a abandonné la Ligue 2, c’en était définitivement terminé. Adios. L’une de nos anciennes chaînes fétiches tombait aux oubliettes pour avoir préféré filmer des zones d’arrivée pleines à craquer d’un obscur Super G en Suisse, et non des stades vides de Ligue 2. Impardonnable. Des dossards trop petits sponsorisés Milka n’arriveront jamais à la cheville du maillot de Laval avec son gigantesque logo Lactel au milieu du torse. Les pancartes absurdes des fan clubs des skieurs agitées n’importe comment à la fin des slaloms font doucement rire comparées aux tifos furieux du stade de la Meinau. Alors oui, on peut avoir un tant soit peu d’estime pour les skieurs en pensant à Bode Miller, génie improbable qui se mettait des cuites tout seul dans la caravane qui lui servait de maison avant de bombarder à 120 km/h en descente. Ou en jetant un œil à la chute démentielle d’Hermann Maier aux JO de Nagano. Des couillus, pour sûr, mais rien à faire. Les fans de ballon rond se sont tellement habitués aux Autrichiens qui n’ont pas des noms d’Autrichiens – coucou Arnautović et Alaba – qu’il leur est impossible de regarder un sport où Marcel Hirscher tire la bourre à Philipp Schörghofer.
La CAN plutôt qu’un Super G
Lindsey Vonn pourra poser dans le body issue de Sports Illustrated, tant qu’elle voudra, Tina Maze et Lara Gut auront bon suer comme des diablesses dans leur tenue moulante, rien n’égalera jamais le plaisir d’une visite sur l’Instagram de Laure Boulleau. Et qui jure, plein de mauvaise foi, ne pas tout comprendre aux règles du football ne s’est jamais penché sur le déroulement d’une compétition de ski. Car si le principe du hors-jeu peut être expliqué de façon claire à n’importe quel simple d’esprit, la nuance entre un slalom géant et un super G reste un mystère. De même, tout le monde peut juger si une conduite de balle est hasardeuse ou précise, et le football est un sport d’actions simples. Une passe, ça arrive dans les pieds ou pas. Un tir, c’est cadré ou non. Tout le contraire d’une faute de carre quasiment impossible à juger à l’œil nu, ou des considérations liées à la qualité de la neige dont se foutent les béotiens. De toute façon, pour qui aime le football, la neige est toujours une mauvaise nouvelle. Un synonyme de match annulé, ou de partie foireuse jouée avec un ballon orange impossible à maîtriser.
Qu’il soit de fond, alpin, sauté, acrobatique, le ski est un sport obscur doublé de l’une des activités de loisir les plus surcotées, et n’importe quelle piste rouge a fourni dix fois plus de ligaments croisés foutus en l’air que tous les tacles trop appuyés du monde. Et s’il y en a qui voulaient passer une partie de leur hiver à regarder des sportifs en tenue bariolée slalomer entre des piquets immobiles, le football avait pensé à eux, en leur offrant la CAN, ses maillots fous et ses défenseurs en bois. Les footballeurs africains ont au moins le bon goût de ne pas venir au boulot avec des moufles.
Par Alexandre Doskov