- Billet d'humeur
- Réflexion autour du football
Pourquoi le football est-il meilleur que le Nouvel An ?
Parce qu'il n'y a qu'un Saint Silvestre et qu'il a une tête en forme de cacahuète et a porté le maillot de Manchester United, l'errance du 31 décembre ne mérite pas le respect des amateurs de ballon rond qui savent bien que le football est infiniment supérieur au Nouvel An.
C’est une technique comme une autre : quitter le stade quelques minutes avant le coup de sifflet final. Une pratique vieille comme le monde, prisée par les agoraphobes et saluée par les personnes de petites tailles, qui refusent logiquement un trajet en transport bondé à cause de contacts privilégiés avec des aisselles méphitiques. Mais chaque fourberie ayant un coût, fuir comme un lâche en plein match peut se payer cash. Entendre les spectateurs crier au moment où on le quitte est une douleur aigüe, presque un traumatisme irréversible. Ce mercredi, vous n’aviez pas vraiment envie de sortir. Pourtant, il est 23h59 et vous n’êtes pas au stade, mais dans la rue. « Viens, on va à une autre soirée, ça va être trop bien » . Déjà bien pinté et bercé par les « BONNE ANNÉE!!! » qui résonnent dans les appartements des alentours, vous vous rappelez ce jour où vous avez quitté ce stade un peu trop tôt. Aujourd’hui encore, vous avez le cul entre deux chaises. C’est l’heure des vœux, le moment où les textos ne partent pas, l’instant où l’on est censé penser à ses proches, et vous, vous venez de quitter une soirée médiocre pour en rejoindre une qui ne sera pas franchement mieux avec un timing de joueur de district. Élevé dans l’amour du ballon rond, vous réalisez que contrairement à Anfield ou au Celtic Park, au Nouvel An, on marche parfois seul.
Course à la soirée vs Clément d’Antibes
Les cris vous font lever la tête. Là-haut, à la fenêtre de cet appartement dont on soupçonne aisément le parquet collant, trône un type en T-shirt à message « Vodka Connecting People » . Bah oui, il fait moins 10, et alors ? S’il est difficile de juger un homme sous une perruque, force est de constater qu’il y a infiniment plus beauf que le football : les lunettes « 2015 » roses et à paillettes que ce gaillard un peu saoul arbore fièrement dans son donjon d’où il vous souhaite une « bananier » , la deuxième meilleure vanne des charts le 31 décembre après le sacrosaint « à l’année prochaine » . De quoi redonner ses lettres de noblesse à « l’important, c’est les trois points » . Seul bémol, ce type-là, il a l’air beaucoup plus heureux que vous à ce moment précis. Concrètement, errer dans la rue entre des ivrognes, ce n’est pas loin d’être un projet de vie, mais ce n’est certainement pas celui que vous comptiez embrasser. Au fond, le Nouvel An, c’est un mauvais match de Ligue 1 : la plupart du temps, ça se subit. C’est une quête sans fin, la recherche des sept boules de cristal, pour laquelle vous avez été prêt à envoyer « tu fais quoi ce soir ? » à l’intégralité de votre répertoire, quitte à dépoussiérer quelques numéros extraordinaires. Un truc bien moins vénérable que le traditionnel post Facebook « je cherche un joueur pour un futsal à 14h, anyone ? » , généralement commenté par votre brochette de chômeurs préférés. En somme, pour céder à la pression populaire, vous ne vous êtes pas respecté. Et ça, le parieur invétéré qui va miser cet après-midi sur la Coupe de Turquie pour avoir sa dose le sait bien. Mais il l’assume. Pas vous. Finalement, après une procession d’une heure, un passage chez un épicier qui a aligné ses prix sur le cours de l’or le temps d’une soirée, vous arrivez à cette seconde soirée. Il est 1h et des poussières, vous et votre bouteille de Jack Daniels vous apprêtez à pénétrer dans un endroit où vous ne connaissez personne. Vous êtes un « pote de pote » . Autrement dit, vous êtes un lâche. Et pourtant, à chaque bise échangée, à chaque poignée de main, on vous dit « bonne année » . Tantôt avec des postillons, tantôt sans consonnes, agrémenté d’un « mon frère » , s’il le faut. Oui, ces types que vous ne connaissez pas ou dont la gueule ne vous revient pas sont en train de vous souhaiter le meilleur pour les 365 jours à venir. Concrètement, c’est comme si on vous demandait de chanter en l’honneur d’un club qui n’est pas le vôtre, juste parce que c’est la trève hivernale, juste parce qu’aujourd’hui, c’est le réveillon de la Saint-Sylvestre, un footballeur avec une tête en forme de cacahuète.
Pierre Tchernia, mercato d’hiver et bouteilles vides
Le temps de faire la bise à tout le monde, de passer au crible les forces en présence dans l’appartemment – oui, vous êtes un renard, un renard aigri, mais un renard quand même – vous retournez sur la table où vous aviez posé votre bouteille de Jack. Et là, évidemment, elle est terminée. Et inutile de préciser que les types qui ont eu sa peau ne l’ont pas savourée, hein. Bref, le partage de la soirée bière – foot, c’est pas ce soir. Comme l’an dernier, entre ces couples qui font semblant d’être heureux, tel des supporters de l’ETG, et au milieu de personnes que vous ne connaissez pas plus que l’effectif du RC Lens, vous vous dites que vous auriez mieux fait de rester à la maison. C’est toujours mieux que de manger du mousson de canard à la place du foie gras et de se rincer le gosier avec du mousseux au lieu du champagne. Oui, le 31 décembre, c’est un sous-Noël. Plus personne n’a de thunes, mais tout le monde a peur de manquer, alors on dépense mal. Un mercato d’hiver, quoi. Le problème, c’est que rester chez soi n’est pas plus réjouissant. Merlin l’enchanteur avec Gérard Jugnot, un best of de Scènes de ménages, le plus grand cabaret du monde « sur son 31 » pour ne pas dire 51 ou encore Arthur sur TF1, pour le bilan de santé annuel de Pierre Tchernia. Et comment oublier les bêtisiers. Une présentatrice qui tombe dans l’eau, un petit coup de « la Mer noire » parce que ça mange pas de pain et des vidéos de chats. Toujours la même chose. En matière de best-of, Eurogoals, c’était autre chose. Les buts de Vitesse Arhnem / NAC Breda en 2002, vous n’êtes pas prêts de les oublier. Même que cette année-là, vous vous êtes laissé avoir par Watts, juste après. Il est 4h47 du matin, l’heure de rentrer, par tous les moyens. À pied, quoi. Mais ce n’est pas grave : dans quelques heures, il y a la Premier League. Elle commence bien, « l’année prochaine » .
Par Swann Borsellino