- Billet d’humeur – Journée mondiale de l’art
Pourquoi le football est-il meilleur que l’art ?
Parce que le combo bière-foot est honnête là où le vernissage est hypocrisie. Parce que le Moustoir vaut mieux que la FIAC. Parce que Denilson ne s'emmêlait jamais les pinceaux. Le football vaut mieux que son cousin l'art.
Opposer football et art serait un grossier contre-sens. Il n’y a qu’à voir la gueule et le pied droit d’Andrea Pirlo pour comprendre que le Rinascimento a aussi touché le football et que là encore, c’est l’Italie qui est la mère patrie du beau. Au fond, la procession des supporters vers le stade est à peu près la même que celles des passionnés d’art vers une exposition. Tantôt on va au stade par curiosité, tantôt on y va pour supporter son équipe. Tantôt on entre dans une galerie au gré d’une balade, tantôt on va voir une expo de son artiste favori. Mais êtes-vous déjà allés à la FIAC ? Non, pas l’endroit où vous vous forcez à acheter des DVD parce que tante Jeanine, dépourvue d’idée pour votre 26e anniversaire, vous a filé un chèque cadeau. La FIAC, la Foire internationale d’art contemporain. Un événement annuel qui se tient à Paris depuis 1974. Là-bas, comme pour le quart de finale entre le Paris Saint-Germain et Chelsea, c’est le prix des places qui fait débat. Et quand certains ont déboursé plus d’une centaine d’euros pour voir le Giacometti Pastore en représentation sur la pelouse du Parc des Princes, entrer à la FIAC coûte la bagatelle de 35 euros. 35 boules pour y voir, par exemple, une aire de jeux pour enfant brûlée et fondue. Merci Anita Molinero. Un peu plus de 200 francs pour y côtoyer artistes, galeristes, collectionneurs et étudiants surendettés. Une certaine notion de l’enfer.
Vernissage vs bière-foot
Pour les agoraphobes, art et football peuvent se déguster à domicile. Mais pas sans sacrifice. Un abonnement beIN Sports coûte désormais 12 euros, quand acheter un livre en fin d’exposition coûte souvent un bras. Un livre que l’on vous propose en fin de circuit d’une exposition bâtie pour que votre route croise celle de la boutique. Plus réglos, les patrons de beIN Sports rendent l’antenne à Alexandre Ruiz en fin de match pour vous donner envie d’éteindre la télé et de passer à autre chose. Parmi ces agoraphobes, il y a les privilégiés. Ceux qui ont la chance d’aller en loges au stade, loin de la populace, et ceux qui sont invités aux vernissages. Ah, le vernissage. Peut-être la plus grosse escroquerie du monde de l’art. En tapant « vernissage » dans le Google Trad artistique, vous obtenez « on se met une grosse taule sans rien payer » . Convivial, le combo bière-foot est acte assumé, prémédité et fait entre amis, là où le vernissage n’est qu’hypocrisie – oui, c’est « petit, le monde de l’art, tu sais » -, acte de présence et champagne. Un repaire de pique-assiette parmi lesquels se baladent quelques collectionneurs prêts à tout pour voir leur patrimoine s’agrandir. Autrefois culte du beau, ou du moins de ce qu’un groupe jugeait beau, l’art a, par ses courants modernes et contemporains, délaissé certains de ses canons. À la FIAC donc, et ailleurs, des types colleraient une petite gommette rouge sur un centre de Jérémy Morel pour l’acheter parce qu’il ne « laisse pas le spectateur indifférent » et qu’il « sollicite chez lui une émotion » . Pourtant, n’en déplaise à René Magritte et sa Trahison des images, Morel est bien une pipe.
Ces ringards de Harcourt
« Design et foot » . C’est le nom d’une exposition qui s’est tenue en 2011 à la Cité du Design de Saint-Étienne. Nouvelle preuve qu’art et football sont des cousins, même éloignés. À cette occasion, des artistes comme le Belge Wim Delvoye, auteur d’un but avec un vitrail à la place du filet, ou Orlan, dont une croix chrétienne formée d’écrans diffusant du foot était exposée, ont fait rimer volupté avec « poteaux carrés » . Liés, les deux domaines ont chacun leurs classiques. La chaise Fourmi d’Arne Jacobsen pourrait être le Danemark 1992, le vase Savoy d’Alvar Aalto aurait la classe d’un Jari Litmanen et le lampadaire Arco de Castiglioni serait le Milan de Sacchi. Chacun ses classiques, mais à l’art ses casseroles. En effet, si on retrouve avec joie un album Panini des années 80 qui traverse le temps avec autant de facilité que Maître Yoda, les portraits du studio Harcourt apparaissent comme de plus en plus ringards. Mauvais profil toujours, mais jamais en noir et blanc (culte de la couleur oblige), celui des étudiants en art. Des gens qui répondent au triptyque du blédard de centre de formation « lunettes – survet’ – claquettes » par le triptyque du ringard « vélo fixie, ourlet loupé, chemise bas de gamme » . Des mouflets qui se ressemblent tous, comme issus de la secte Moon là où les écoles de football ne sont que diversité. C’est là l’autre victoire du football sur l’art : son accessibilité. Quelqu’un peut se perdre dans le dédale qu’est une exposition sur les peintres primitifs italiens car, sans grille de lecture, il est impossible de comprendre pleinement l’œuvre des artistes. Il est possible d’éprouver un ressenti, mais pas de la comprendre. Le ballet de Zidane face au Brésil en 2006, lui, est une beauté pure et accessible à tous. Le pire étant, évidemment, quand l’art tente de faire un pas vers le foot. Cela débouche, par exemple, sur la statue du coup de boule de Zidane à Materazzi. La rareté faisant la beauté, mieux vaut attendre quatre ans pour une Coupe du monde que deux ans pour une biennale. Non ?
Par Swann Borsellino