- Billet d'humeur
- Réflexion comparative autour du foot
Pourquoi le football est-il meilleur que la réouverture des terrasses ?
Il y a ceux qui aiment s'entasser sur un bout de trottoir pour faire semblant de s'apprécier entre eux. Et il y a ceux qui préfèrent s'entasser au stade pour s'aimer vraiment. Les gens bien sont dans la deuxième catégorie.
Ce mercredi 19 mai au matin, les Français ont le sourire aux lèvres. Ils ont pu commencer leur journée comme d’habitude : une petite douche, un brossage de dent, des croquettes jetées dans la gamelle du chat, un tâtement de toutes les poches pour vérifier que les clefs sont bien là, le masque sur le pif et on est prêt pour affronter le monde extérieur. Sauf qu’aujourd’hui, un grand plaisir fait son retour dans nos vies. Et contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, il ne s’agit pas de prendre un café en terrasse, ou plutôt sur trois bouts de palettes sculptées par-dessus le caniveau pour l’occasion. Le vrai plaisir, c’est de pouvoir acheter L’Équipe en même temps que ce café trop cher, et d’y contempler la joie de Karim Benzema, « la surprise du chef » Didier Deschamps, sélectionné pour participer à l’Euro avec l’équipe de France. Comment être emballé par la réouverture des terrasses, fermées depuis seulement un peu plus de six mois, quand la veille, le meilleur footballeur français a fait son retour en sélection après plus de cinq ans d’absence ?
Les terrasses de la discorde
Imaginez une seconde ce moment : Olivier Giroud qui va se prendre un tampon pour dévier un ballon de la tête dans les pieds de Karim Benzema, qui contrôle parfaitement, crochète son adversaire et plante le but de la victoire en finale de l’Euro. Bah c’est très simple : plus de fracture sociale. La France réconciliée. Marine Le Pen qui fait 3% à la prochaine présidentielle. Jean Messiha et Taha Bouhafs qui dansent la lambada ensemble. Voilà ce que peut permettre le football quand on lui laisse la place qu’il mérite. Alors que la réouverture des terrasses, c’est un nouveau terreau fertile pour continuer de diviser les Français. Parce que seuls les chômeurs vont pouvoir se mettre bien à 15 heures en terrasse toute la semaine, histoire de remettre une pièce dans la machine « marre de l’assistanat ».
Pire que le concept de terrasse, on parle bien là de la réouverture de celles-ci. Donc tout le monde semble avoir oublié que c’était nul. S’entasser sur un bout de trottoir avec vue sur les embrouilles entre cyclistes et chauffeurs-livreurs est apparemment devenue le « symbole de l’art de vivre à la française », si on en croit nos hommes politiques encore plus costauds à la récupération que N’Golo Kanté. Tant qu’à faire, on préfère voir Jacques Chirac faire semblant de connaître les noms des joueurs de l’équipe de France, plutôt qu’Emmanuel Macron et son Premier ministre nous faire croire qu’ils prennent des cafés en terrasse en détente comme des Français lambda.
Arnaques, crimes et afterwork
D’accord, le football n’est pas parfait. Les sommes indécentes dépensées dans ce milieu peuvent donner la nausée si on veut se lancer dans des comparaisons hasardeuses. Mais c’est quoi la plus grosse arnaque ? Harry Maguire qui rejoint Manchester United pour 90 millions d’euros, ou claquer 16 balles dans une salade César sous la flotte (parce que oui, on est en mai, et il flotte TOUS – LES – JOURS) ? Mediapro qui fait croire au football français que des Nîmes-Angers ou Bordeaux-Brest valent quasi un milliard d’euros, ou cet escroc de serveur qui écrit « Bière du moment – 6 euros » sur son ardoise pour parler de sa fin de fût de Heineken coupée à l’eau ? Franchement, y a match.
D’accord, le football n’est pas parfait. En tribunes, les supporters ont le mot « enculé » un peu facile sans trop chercher à comprendre pourquoi ils choisissent tous cette insulte en premier. Mais au fond, qui sont les beaufs les plus imblairables ? Sûrement pas eux. Ce sont ceux qui portent un costard, qui parlent très fort en terrasse, qui sont très contents de pouvoir « se mettre cher », et qui commandent sept mojitos-fraise pour pouvoir enfin lancer l’ambiance de cet « afterwork ». Alors on va vite arrêter de célébrer l’ouverture de ces horribles endroits comme si la 2e division blindée du général Leclerc venait d’entrer dans Paris pour libérer la ville. D’ailleurs à 21 heures, tout le monde aura arrêté de faire semblant de s’amuser en terrasse pour se caler devant les vraies bonnes choses de la vie : un bon vieux PSG-Monaco en finale de Coupe de France sur France Télévisions. Merci le couvre-feu.
Par Kevin Charnay