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Pourquoi le football est-il meilleur que la pétanque ?

Par Eric Carpentier
6 minutes
Pourquoi le football est-il meilleur que la pétanque ?

Le 15 août, c'est l'acmé de l'apéro. Et pour une grande partie de l'humanité française, qui dit apéro dit pétanque. Sauf que parmi tous les joueurs du dimanche, peu peuvent se prétendre vraiment boulistes. Alors ils feraient mieux de jouer au ballon.

Dans la vie, vous avez deux amours, et ce n’est ni la Kanterbräu ni la Kronenbourg. Non, vous, vous êtes un homme de goût. Pour le foot, vous êtes team Chouffe ; les jours de pétanque, place au Bardouin – parce que vous, vous voulez réussir votre vie. Deux amours, et deux saisons : l’hiver, après un match de foot idéal sous la pluie et dans le froid, vous levez votre verre en hommage à Rino Gattuso ; l’été, le soleil et les cigales venus, vous jouez à pieds plantés, ou à ped tanca, en provençal, à votre autre jeu favori. Boules Obut ATX trois étoiles, 690 grammes, diamètre 75 mm, toujours. Puis vous trinquez, encore, cette fois à la gloire d’Éric Bauthéac. En résumé, vous êtes un épicurien doublé d’un esthète, vous aimez la vie et la vie vous aime. Vous êtes un mec bien, un mec qui a tout compris.

Le nouveau Dylan Rocher

Et cet été, vous avez kiffé. Mondial La Marseillaise à pétanque, 7 juillet. Finale entre les Intouchables, mais pas handicapés Rocher – Lacroix – Robineau et la triplette surprise Heredia – Maille – Vandycke. Dans ce mène à mène, malgré la défaite, la prestation des outsiders vous a donné des ailes et des idées plus sûrement qu’un brainstorming boosté au Red Bull. Oui, vous aussi, vous allez vous frotter au gratin ! Et, un jour, on parlera de vous comme le futur Dylan Rocher. Parce qu’il faut bien se l’avouer, avec vos deux passions pour la cigarette et le chichon, être le futur Kylian Mbappé, ça s’annonce un peu plus compliqué.

Alors vous avez soigneusement choisi votre camping d’aoûtien – pas de Pascalounet** pour vous – en fonction de son boulodrome. Exit la tapissette, place au sable 0/4 damé sur terrain de quatre mètres par quinze, la base. Vous êtes partis avec vos deux gars sûrs, plus deux autres potes plutôt portés sur les filles et l’apéro, mais efficaces pour assurer l’ambiance, les péages et l’essence. Le moteur encore chaud, vous avez lustré vos boules tandis que la paire est partie à la recherche de sa triplette. Et alors que vous leviez l’index pour sentir le sens du vent (vous touchez toujours la pelouse en entrant sur un terrain de foot), vous l’avez vue arriver : perchée sur ses Buffalo, sapée comme Zahia et maquillée comme Victoria Beckham, elle fait sa Micheline en débarquant les mains vides : « J’me présente, je m’appelle Fanny ! » Ah oui, quand même. Gros pick des copains.

Raspaille et rétropissette

« Non, Fanny, on ne va pas jouer au mölkky parce que c’est « plus marrant ». Ni au palet breton. Tu jouerais au volley sur un terrain de foot ? Bah là, c’est pareil. Et non, Fanny, cette petite boule en bois n’est pas un cochonnet : c’est un but. Comme au foot, oui. Tu mettrais un but dans un panier ? Bah là, c’est pareil. » En clair, cette fille commence gentiment à vous courir sur les nerfs. Alors vous vous calmez en vous fixant un objectif simple : dans treize points, Fanny va payer à boire. Et ce soir, elle passera aussi sous le baby, tiens. Mais ça, c’est une autre histoire.

Vous avez toujours aimé le toss, évaluer s’il vaut mieux choisir l’engagement ou le côté, mais la galanterie vous oblige. La fille lance le but, balance sa première boule… elle bouchonne d’entrée. Coup d’œil en coin : cette pimbêche cacherait-elle son jeu ? On en a vu, des mecs débarquer en claquettes/chaussettes et régaler la chique comme Ribéry. Mais la roue tourne, vous le savez. Tir au fer pour dégager l’intrus. Vous avez le point, la triplette d’en face va devoir vous le reprendre. Et votre modèle de toujours, c’est le catenaccio. Quand l’adversaire se rapproche, vous dégainez votre botte secrète – « la messine » vous l’appelez – et tirez sur l’oreille. Reste une boule, celle de la fille. Elle vous regarde avec un sourire narquois, vous demande : « Tu connais le Fanny time ? » Raspaille scandaleuse, boule écartée, point à la dernière minute. Votre petit cœur d’Italien pleure.

Les mènes se suivent, et le scénario se répète. Pendant que vos potes font n’importe quoi, alternent paloufs et pets de vieille, Fanny trimbale sa chance de débutante comme un collier de nouilles. Elle manque de se gaufrer en se trémoussant sur le Get Lucky craché par les haut-parleurs ? Le déséquilibre lui fait envoyer une rétropissette parfaite. Elle fait des yeux de biche à vos potes ? Le carreau est posé sans regarder. Elle plombe pour rire ? Ça se termine en têtard. Au bout du compte, vous repartez avec une valise aussi sûrement qu’un Gijón au Camp Nou, sauf que votre Barça à vous est emmené par la version féminine d’un Cabella en baggy camo. Fanny célèbre sa victoire en pouffant avec vos potes, avec lesquels elle disparaît aussitôt. Pas de match retour pour vous, aucune remontada possible. Le coup est rude.

FIFA vs L’Équipe TV

Les yeux dans le vide, vous refaites votre match. Et vous n’arrivez pas à vous l’expliquer. Sur un terrain de foot, au moins, les choses sont simples. On ne peut pas tricher longtemps. Un bleu-bite peut réussir deux passes, passer un petit pont dans un bon jour, mais son niveau faiblard le rattrapera invariablement et votre dizaine d’années de club en sortira victorieuse. Soudain, une révélation crue vous saute aux yeux : malgré votre pratique estivale assidue et votre haute estime de vous-même, vous êtes mauvais. Depuis toujours, vous lancez vos boules plus ou moins au hasard et ne retenez que les coups de chance pour croire à une amélioration de votre coup de poignet. Votre air concentré au moment d’évaluer le terrain, de faire rouler la boule dans votre paume ou de mesurer des écarts évidents ne correspond à rien. Parce que, non, la pétanque n’est pas accessible à tous. Au contraire. C’est une affaire de puristes qui ne manqueraient pour rien au monde la redif’ du National d’Espalion sur L’Équipe TV. Oui, cette même chaîne qui diffuse des matchs de foot sans images. Vous regardez alternativement vos boules fatiguées et votre ballon dégonflé. Et si, avec lui aussi, vous étiez nul, en fait ? Vous chassez vite cette idée de votre tête et vous relevez, le regard fier, la certitude ancrée : quoi qu’il en soit, à FIFA, vous êtes le meilleur. Enfin, de votre groupe de potes. Vite, une partie pour se remettre d’aplomb. Oui, mais non : ils sont tous partis chiner Fanny et ses amies. Vous vous retrouvez seul et déprimé. Tout ça à cause d’un putain de cochonnet.

Dans cet article :
Franck Haise : « Il valait mieux entraîner il y a vingt ans  »
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Eric Bauthéac