- Billet d'humeur
Pourquoi le football est-il meilleur que la beuh ?
Les paradis artificiels, très peu pour vous. De toute façon, aucune drogue ne vous fera jamais autant de bien que lorsque vous plantez un pion avec votre équipe de district. Votre came à vous, c'est le foot, et elle est tout sauf douce. La preuve.
Quelque part au beau milieu du méandre autoroutier belge. Le petit écran digital de votre Polo sport toute équipée affiche désormais 16h et, comme d’habitude, vous êtes un peu en avance sur les temps de passage dictés par Mappy. Sans doute parce que, comme d’habitude, vous avez bloqué le compteur sur 140km/h, « pour que ça fasse 130 en vitesse réelle » . Sur la banquette arrière, vos coéquipiers sont toujours là, fidèles au poste entre deux vannes et un gros son préparé pour le voyage. Tous sauf un, qui préfère fixer anxieusement la route, histoire de soigner son mal des transports comme il peut. Après avoir évité de justesse une gerbe au premier péage, cherché tous les jeux de mots qui riment avec Ligue 2 en dépassant Valenciennes, galéré sur le « RING » avant de comprendre qu’Anvers s’écrit aussi « Antwerpen » , et vidé quatre Red Bull dans une station service flamande, l’expédition touche enfin au but. Face à vous, des éoliennes à n’en plus finir et surtout ce panneau tant attendu : « Nederland » . La suite, c’est Amsterdam. Et même s’il reste encore une bonne centaine de bornes, dans l’habitacle, ça sent déjà le gouda.
« Salut, j’aimerais acheter de la weed ? »
La caisse à peine garée et les sacs hâtivement balancés dans votre chambre d’hôtel pas tout à fait étoilée, vous voilà enfin à la porte de ce que le politiquement correct a choisi d’appeler un « coffee shop » . Et pas n’importe lequel. Le DampKring, là ou Brad Pitt, Georges Clooney et Matt Damon ricanent bêtement dans Ocean’s Twelve. D’ailleurs, même si personne ne partage votre avis, vous avez toujours pensé que c’était une bonne suite. Quand même, un film où un jeune Chinois voyage planqué dans le sac d’Arsène Wenger, ce n’est pas rien. Qu’importe. Dans quelques minutes, vous aurez tout ce qu’il faut pour méditer tranquillement là-dessus. En attendant, l’heure est au choix, multiple. À votre grande surprise, l’homme à qui vous venez d’adresser un « Salut, j’aimerais acheter de la weed ? » dans la langue d’HBO, répond en dégainant une carte format A4. Au menu, du shit, de l’herbe et des space cakes. Simple comme bonjour. Sauf que derrière le bar, vous comprenez vite que le Batave jouit d’un stock à faire pâlir la BAC Nord de l’OM. Une dizaine de variétés différentes pour chaque style de défonce, soit plus d’une trentaine de saveurs possibles dont les effets sont clairement détaillés en fluo. Devant tant de débauche, vous faites un peu moins le malin. En bon Français, votre instinct penche naturellement vers le shit. Mais de l’afghan au pakistanais, en passant par le classique marocain ou l’exotique népalais, votre doigt reste hésitant.
Hasan Kings Extreme, Cream Maroc et Fernando Torres…
N’ayant que très peu de connaissances en la matière, vous vous en remettez à la seule chose qui vous parle vraiment : le football. Étrange mais efficace. Entre le « Hasan Kings Extreme » et le « Cream Maroc » , vous venez de trancher en faveur du premier. Une évidence. Vos neurones savent pertinemment qu’un tacle appuyé de ce bon vieux Hasan Şaş étourdit bien plus que la conduite de balle de Mustapha Hadji. Au rayon herbe, votre collègue a été plus réactif. « Orange Bud » ou « Alegria » , son cerveau n’a fait qu’un tour. Normal, ce con faisait partie des rares à avoir soutenu les Pays-Bas lors de la dernière finale de Coupe du monde. « Y avait de la « El niño » aussi… T’imagines, fumer Fernando Torres ? C’est un coup à chialer comme une fille ça ! » , justifie-t-il un peu n’importe comment. Forcément, les esprits divaguent à mesure que les vapeurs montent. Inspiration, combustion, expiration. Vous voilà maintenant particulièrement détendu, confortablement affalé dans ce douillet fauteuil que vous considérez comme votre plus solide allié, et fin prêt à disserter sur les choses de la vie. Raté. Vous qui pensiez passer un moment convivial en causant Eredivisie avec les locaux, êtes rapidement persuadé que le pays tout entier vous veut du mal. Pour ne rien arranger, votre anglais scolaire vient de tomber dans l’approximatif, vous privant définitivement de toute forme de fraternisation. Machinalement, vous vous retournez alors vers vos potes pour vous rassurer : « Hey les mecs, on n’est pas bien là ? »
Le San Siro de la fumette
À peine le temps de passer votre oinj au petit monde perché sur la corde à linge, que votre regard commence à bloquer sur tout et n’importe quoi. Au fond de la salle, dans le prolongement du comptoir, une vitrine pleine de trophées attire votre attention. D’abord interloqué, vous comprenez progressivement que, depuis 1987, l’enseigne a remporté plusieurs Cannabis Cup. Sans trop savoir en quoi consiste réellement la compétition, vous ne parvenez pas à retenir le sourire béat qui barre votre visage. Dans ce San Siro de la fumette, cette photo de Bob Marley serrant la pince d’Henri Michel avec un maillot du FC Nantes sur les épaules, qui a longtemps orné votre agenda de collégien, prend enfin tout son sens. Désormais, ce qu’il vous faut, c’est une bière. Remède habile à cette nostalgie qui vous envahit sans prévenir. Problème, le weed-barman vous explique qu’il ne sert pas d’alcool et que, comme son nom l’indique, un coffee shop est d’abord un endroit où l’on peut déguster toutes sortes de boissons caféinées. Vous souriez à nouveau, avant de vous écriez : « Oh le café-crème ! » , avec l’accent du Sud-Ouest. Vous êtes high, très high, How High.
Clarence Seedorf et les pom-poms du Roudourou…
En quête d’une bonne pinte d’Amstel, vous voici à déambuler dans les rues (ou plutôt sur les pistes cyclables) de l’une des nombreuses Venise du Nord. Et parce qu’on y passe toujours par hasard, vous découvrez soudainement les vitrines du quartier rouge. Malgré les on-dit, le constat est implacable : « Ah ouais, quand même ! On dirait les pom-poms du Roudourou… » La pauvreté du spectacle vous invite à rejoindre des lieux, disons, plus positifs. Le premier sport-bar fera l’affaire et, ça tombe bien, des drapeaux de l’Ajax habillent la devanture de celui-ci. Vous poussez la porte. À l’intérieur, les ondes paraissent nettement plus chaleureuses que les volutes de fumée du DampKring, et les habitués ne tardent pas à vous interpeller. Johnny Rep, Van der Wiel, Zenden, Kluivert, Bergkamp, Overmars, Van Persie… Pour que le courant passe mieux, vous dégainez tous les Oranjes passés par des clubs français. Avec succès. Forcément, l’ambiance monte à mesure que les chopes se vident. Levée, sifflée, posée. Vous voilà maintenant particulièrement imbibé, douloureusement appuyé sur ce tabouret qui vous sert de béquille, et très fier de votre anglais d’alcoolique. Entre deux phrases sans verbe, votre co-pilote vous tire par le bras. Lui aussi est un peu cuit, mais tient absolument à vous montrer la photo vintage de Seedorf qui trône au-dessus de la porte des toilettes. « Non mais regarde ses yeux tout fermés ! Je te l’ai toujours dit, sans les pétards, il aurait pu être triple Ballon d’or, le Clarence… »
« L’herbe est interdite, seule la pelouse est sacrée »
Consterné, vous en profitez pour vidanger le mélange bière/café qui encombre votre vessie. Sur le mur où est venue s’amarrer votre main gauche, pile poil au niveau de vos yeux, un autre philosophe, sans doute passé par là dans une vie antérieure, tient à vous délivrer son message : « Ce que le haschisch te donne d’un côté, il te le retire de l’autre. Il te donne le pouvoir de l’imagination, mais t’enlève la possibilité d’en profiter… Charles Baudelaire. » Fort heureusement pour la suite de votre soirée, ces paroles ne résonnent pas instantanément dans votre tête. En revanche, d’ici dimanche midi, lorsqu’il sera question de reprendre la Polo sport pour rentrer dans l’Hexagone, vous avez intérêt à vous en souvenir. Si les arbitres vous serrent à la douane, l’amende infligée par la fédé devrait être salée. Sans parler de la suspension de licence pour plusieurs mois. Demandez à Stéphane Paille, Fabien Barthez et Bernard Lama ce qu’ils en pensent… Au volant comme sur les nouvelles affiches du Parc des Princes : « L’herbe est interdite, seule la pelouse est sacrée » . Ceci étant posé, au retour, passez par Lille. Y a France/Jamaïque pour boucler la boucle.
Par Paul Bemer