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Pourquoi le foot ukrainien cartonne ?
En Ligue des champions, avec surtout le Shakhtar, comme en Ligue Europa, avec Dnipropetrovsk, les clubs ukrainiens carburent cette saison sur la scène continentale. A bien étudier la chose, le phénomène semble parti pour durer, voire s’amplifier dans les années à venir. Analyse.
D’accord, le Shakhtar Donetsk a perdu sur le fil hier à Stamford Bridge face à Chelsea, mais la bande brésilo-urkainienne de Mircea Lucescu a encore prouvé qu’elle avait le niveau pour rivaliser avec les grands d’Europe. Le score n’avait-il d’ailleurs pas tourné à leur avantage il y a deux semaines à domicile lors de leur première confrontation face au champion d’Europe en titre ? Le Shakhtar peut d’ailleurs nourrir des ambitions en C1 cette saison et représente fièrement le football ukrainien en compagnie de l’historique Dynamo Kiev, aux performances moins impressionnantes mais pas ridicules néanmoins – si on enlève la branlée face au PSG. En Ligue Europa, c’est la même limonade. Un club, le Dnipro Dnipropetrovsk, joue les têtes de gondole avec ses trois victoires en trois matchs – seuls l’OL et l’Atlético Madrid en ont fait autant – et le Metalist Kharkov s’assure d’asseoir encore un peu plus la présence ukrainienne dans la compétition. Ces deux clubs aussi ont les dents qui rayent le parquet, le premier a tapé Naples chez lui, le second arraché le nul face à Leverkusen. Des résultats de référence, dans la lignée de ceux obtenus ces dernières années par les formations ukrainiennes.
L’embellie débute en 2004-2005 : le Shakhtar, le Dynamo et le Dnipro s’incrustent dans la dernière phase de la C3. Quatre ans plus tard, la petite Coupe d’Europe parle définitivement la langue de Sergueï Bubka, le Shakhtar gagne l’épreuve, le Dynamo se hisse en demies et le Metalist en 8e. Depuis, la bande des quatre fait régulièrement parler d’elle : un quart de C1 pour le Shakhtar en 2011, un quart de C3 pour le Dynamo la même année, et encore un quart de C3 pour le Metalist au printemps dernier… Ces résultats se traduisent par une progression régulière au classement UEFA du pays qui pointe au 7e rang et devance la France et l’Italie sur la saison actuelle.
L’héritage historique du Dynamo
Plutôt pas mal pour un pays tout juste adulte (20 ans). Mais il faut dire qu’au moment de l’éclatement de l’URSS, l’Ukraine a un avantage de taille sur les autres pays satellites voisins : c’est une terre historique où le ballon rond a depuis longtemps bien cartonné. Le Dynamo Kiev est le club le plus titré de l’ère soviétique, devant les formations moscovites dont certaines étaient pourtant favorisées par le pouvoir. L’Ukraine, c’est aussi la patrie du mythique entraîneur Valeri Lobanovski, d’Oleg Blokhine, d’Igor Belanov et d’Andrei Chevtchenko, trois lauréats du Ballon d’Or représentant trois générations de grands footballeurs. Le football ukrainien d’aujourd’hui peut puiser dans cet héritage et s’en inspirer.
De la thune intelligemment utilisée
Mais à l’ère post-Arrêt Bosman, ces racines historiques ne servent pas à grand-chose aujourd’hui sans la présence d’un ingrédient essentiel à la réussite : l’argent. Plein d’argent. Là encore, ça tombe nickel, les meilleurs clubs du pays bénéficient de soutiens financiers de poids qui se contentent de faire ce qu’ils savent le mieux : signer des chèques, comme l’explique le journaliste local Andriyuk Kostyantyn, de la télé 1plus1. « On a un « big four » parfaitement dirigé par des hommes d’affaires avisés qui ne se mêlent pas de ce qu’ils ne connaissent pas, ils achètent des grands joueurs et laissent leurs entraîneurs les faire bien jouer. » Le Shakhtar bénéficie du soutien de Rinat Akhmetov, le Dynamo d’Igor Surkis, le Metalist Kharkov d’Oleksandr Yaroslavsky et Dnipropetrovsk d’Igor Kolomoysky. Tous sont des businessmen puissants et des hommes d’influence dans la sphère économico-politique du pays, avec pour certains des hautes responsabilités au sein de la Fédération. « Prenez l’exemple de Kolomoysky avec Dnipro, explique Kostyantyn, il a fait venir un entraîneur de renom, Juande Ramos, a claqué beaucoup d’argent pour renforcer l’effectif et ça commence à bien tourner. » Simple et efficace.
Une émulation bénéfique
Autre raison du succès actuel du foot ukrainien : l’arrivée d’une concurrence nouvelle qui tire tout le monde vers le haut. Dans les années 90, le Dynamo Kiev règne sans rival et truste tous les titres nationaux sans exception. Puis est arrivé Rinat Akhmetov au Shakhtar en 1996, créant une concurrence nouvelle. Aujourd’hui le Metalist Kharkov et Dnipropetrovsk veulent aussi bousculer la hiérarchie, obligeant les deux traditionnels rivaux de la dernière décennie à être encore plus performants. « On attendait l’arrivée de cette concurrence depuis des années et c’est une très bonne chose de la voir débarquer, se réjouit Andriyuk Kostyantyn. Le Shakhtar reste néanmoins au-dessus du lot encore cette saison, mais le Dynamo est désormais sérieusement menacé. » Derrière ces quatre fantastiques, peut-on voir émerger d’autres grosses formations dans les années à venir en Ukraine ? Le Karpaty Lviv s’est récemment montré sur la scène européenne, mais il est en difficulté depuis deux saisons. D’autres clubs bien soutenus financièrement peuvent quand même espérer se mêler aux équipes de tête. Le Chornomorets Odessa par exemple, propriété d’un important homme politique local et qui s’est doté récemment d’un nouveau stade moderne de 35 000 places.
Des points à améliorer
En parlant de stade, c’est aussi l’un des points forts des quatre actuels représentants ukrainiens sur la scène européenne, tous très bien dotés grâce à l’organisation de l’Euro 2012 et des travaux que ça a généré (Dnipropetrovsk n’a pas accueilli de match mais son stade est également récent). Donc résumons la chose : le foot ukrainien a des racines, de l’argent, une saine émulation et des infrastructures. Alors tout va bien ? « Non, clame Andriyuk Kostyantyn, car il y a un réel problème au niveau de la formation. Beaucoup d’argent a pourtant été dépensé pour construire de nouveaux centres pour les gamins mais le résultat est quasi nul. » D’ailleurs, la sélection nationale ne profite pas autant de la réussite actuelle des clubs du pays. Et pour cause : les formations ukrainiennes misent énormément sur l’afflux de joueurs étrangers, venus massivement d’Amérique du Sud, d’Afrique et des pays voisins d’Europe de l’Est. La grande colonie brésilienne du Shakhtar est connue, mais parmi les effectifs concurrents, c’est la même chose. Le Metalist notamment dispute ses matchs européens cette saison avec aucun joueur de champ local. Seul le gardien vétéran Oleksandr Horyainov représente la mère-patrie. L’Ukraine a appris sa leçon de mondialisation vite et bien. Reste à voir ce que cette stratégie peut donner sur le long terme…
Par Régis Delanoë