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Pourquoi le foot est meilleur que le travail du dimanche ?
Grand débat de société type « archaïsme français versus dictature des sondages », le travail du dimanche sera-t-il la tombe d'une République laïque où tout s'arrête le jour du Seigneur ? Tout sauf le foot, qui a depuis longtemps pris possession d'un espace laissé vacant par le salariat. Et qui ne cédera pas facilement son territoire.
On l’oublie souvent – contrairement à une idée trop répandue – si le dimanche est devenu le jour férié de la nation en 1906, le mouvement ouvrier n’y est pas pour grand-chose, ou si peu. C’est sous la double pression des employés , bref les « petits » des classes moyennes, et de l’armée que le Parlement impose le repos hebdomadaire, faisant plier, presque à son corps défendant, le patronat devant les grands impératifs de la défense nationale (l’armée a besoin de soldats reposés et prêts à ferrailler contre l’Allemand) et de la famille (la bataille démographique se cache fréquemment derrière celle des valeurs). Ironie de l’histoire, c’est au même moment que le foot vient fort à propos offrir d’occuper ce temps qui ne serait resté trop libre. Et bien qu’alors le journal L’Auto(ancêtre de L’Équipe disparu en 1945 pour collaboration) se soit clairement exprimé contre cette loi, le ballon rond sera l’un des grands gagnants de l’affaire. Désormais partout en France, le match du dimanche s’insinuera en repaire incontournable du calendrier de la vie sociale et locale. Alors risque-t-il d’y perdre des plumes avec la généralisation lente mais irrésistible du travail du dimanche ?
Premier touché, le foot amateur qui y perdrait forcément, bénévoles (travailleurs ou consommateurs), arbitres (qui doit lui aussi trouver les parquets flottants de son salon), voire des spectateurs. Dur en effet en ces temps de crise, surtout dans cette fameuse France périurbaine avec sa jeunesse précaire et ses quinquas endettés, d’imaginer qui que ce soit résistant à la tentation d’un tel complément de salaire. Si la pratique n’a cessé depuis dix ans d’empiéter sur la semaine avec les championnats du mardi ou du mercredi, le cœur ou le prestige n’en reste pourtant pas moins attaché aux rencontres du dimanche matin, et les incontournables yeux cernés des fêtards de Seine-et-Marne ou du Lot-et-Garonne. La dramaturgie unique du ballon rond peut-elle subsister si elle perd son unité de temps ?
L’union sacrée du dimanche ?
Deuxième victime collatérale, la fréquentation des stades. Déjà SOS Ligue 2 dénonce des matchs se déroulant le vendredi ou le lundi à 19h, date et horaire obstacles évidents à la venue des fans ordinaires dans les tribunes, pour le coup, en sens inverse, l’extension du domaine du salariat au 7e jour peut également faire fléchir les courbes, notamment dans les stades de seconde moitié de tableau. Sans oublier qu’on ne peut pas regarder son match de 17h dans les rayons de chez Ikea ou Bricorama.
Mais il reste un espoir : la mobilisation. Si quelques garçons coiffeurs sont parvenus à forcer au début du siècle dernier la représentation nationale à leur accorder 24h loin de leurs ciseaux, pourquoi ne pas rêver que devant la défaillance des syndicats, la complaisance des médias, l’inconsistance du gouvernement et l’hypocrisie de l’opposition, la conjonction des forces des maires et présidents d’AS ou de FC de districts, des ultras et indéps, de la Lfp et de la FFF, du CFC et de Téléfoot, ne parvienne à définitivement enterrer cette lubie pour bricoleurs et glandeurs du samedi. Ce sera toujours plus compréhensible que la grève contre les 75%, non ?
par Nicolas Kssis- Martov