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Pourquoi le foot est-il meilleur que les festivals de musique ?

Par Mathieu Rollinger
Pourquoi le foot est-il meilleur que les festivals de musique ?

Le mois de juin voit se lancer une autre saison, celle des festoches. Des événements qui rythment chaque week-end d’été, mais dont les joueurs majeurs sont Matthieu Chedid, Jain ou Franz Ferdinand, et dans lesquels le public a un respect tout à fait relatif du gazon et des chants collectifs. Un monde qui semble irréconciliable avec celui du football.

Quand les températures dépassent allègrement les 25 degrés, voyager en métro est une mise à l’épreuve sensitive. Pas uniquement à cause des odeurs de sudation irrespirables ou du fait que les barres soient plus que jamais collantes. Mais surtout parce que ce dédale de couloirs devient le lieu d’un matraquage visuel à décrocher des rétines. Des affiches rouge sanguine, bleu acidulé, jaune criard, vantant toutes un week-end de rêve dans les coins paumés du pays, barrées de listes non exhaustives de groupes avec pour seul lien le même son électro-pop-world-latino-chill-smooth. Une formule et un prix qui ne peuvent qu’inciter à succomber à cette offre low-cost de la musique live, plus connue sous le nom générique de « festival » .

L’été dernier, 5,93 millions de Français ont enfilé un bracelet en tissu, sésame pour entrer dans ces temples du pogo, du gobelet consigné et de la fumette décomplexée. Faites le calcul : dans chaque équipe de foot, il y a donc un joueur qui a foulé une pelouse l’an passé pour courir après autre chose qu’un ballon. Un terrain, où le « V » de la victoire sert cette fois à marquer son approbation aux paroles écolo-militantes de Tryo. Où les mecs portés à bout des bras ne sont que des personnes dans un état second qui n’ont rien des fins tacticiens ou des buteurs décisifs qu’on envoie triomphalement dans les airs. Clairement, entre foot et festival, voilà deux conceptions du monde et de la civilisation qui entrent en confrontation.

Les Francoribéry’s

Pour se rendre compte de l’intérêt limité que peuvent susciter les festivals par rapport au football, il suffit d’étudier le comportement d’une foule, ses réactions, ce qui la fait frémir. En témoigne ce souvenir des Solidays 2012, où à l’écoute des doléances des visiteurs, les organisateurs se sont résignés à diffuser sur écran géant le quart de finale de l’Euro France-Espagne, quitte à chambouler le déroulé de la soirée. A priori, aucun spectateur du Vélodrome n’a demandé le 7 juillet dernier, un soir de France-Allemagne, à ce que soit projeté le passage de Bloc Party aux Déferlantes d’Argelès-sur-Mer. Tout est une question de sens des priorités. Car le public sait qu’en matière de suspense, de dramaturgie, d’aléatoire, les festivals ne peuvent rivaliser avec le football. Chaque programme est ficelé, attendu, fantasmé et digéré bien avant d’avoir commencé (en plus d’être bien souvent semblable à celui de ses homologues). Cela fait des mois que tout est joué d’avance et que les seules inconnues résident dans le fait de savoir si Pete Doherty ne sera pas trop high au moment de monter sur scène, s’il restera suffisamment de paille dans les toilettes sèches ou si la météo sera clémente. A contrario, un supporter portugais souhaitant acheter des billets pour la finale de la Coupe des confédérations sera plongé dans un doute qui ne se dissipera que trois jours plus tôt, quand son équipe aura validé ou non sa présence à ce niveau de la compétition.

Dans une période dépourvue de compétitions internationales entre juin et juillet, vouloir danser le jerk sur de la musique pop peut s’entendre. Mais quand aura lieu le Mondial russe en 2018, jeter son dévolu sur une soirée avec Julien Doré et Caravan Palace dans la banlieue caennaise ressemblera à une belle faute professionnelle. Quel plaisir trouve-t-on dans un champ dont les irrégularités feraient blêmir les chevilles de footballeurs amateurs ? Pourquoi s’infliger un campement à Saint-Laurent-de-Cuves, Carhaix ou Aix-les-Bains, alors que l’aller-retour en minibus se fait très bien un soir de Coupe de France ? Comment est-il possible d’approuver un line-up dans lequel sont noyés quelques artistes du moment au milieu de jeunes pousses qui seront oubliées à l’automne et de vieilles gloires décongelées pour l’occasion. Aurait-on idée de mettre un match de U19, suivi d’un jubilé des légendes du club en lever de rideau d’une journée de championnat de Ligue 1 ? Non. Le foot a au moins la décence de respecter l’espace-temps.

We Love les Verts

D’ailleurs, la culture du festival se berce d’illusions enterrées depuis longtemps sous des flaques de boue. Ses représentants aiment s’imaginer comme les descendants directs de leurs tontons nudistes de l’île de Wight ou de Woodstock. Sauf que bienheureux sont ceux qui peuvent aujourd’hui profiter d’un témoignage direct de cette période de libéralisation des mœurs qu’est la fin des seventies. D’une part parce que les anciens hippies, ça ne court pas forcément les rues, et d’autre part parce que les médias de l’époque se fichaient pas mal des fêtes de village. La culture foot, elle, n’est pas la dernière pour ressasser les grands exploits du passé. Mais cette légende est toujours contée par ceux qui ont vécu l’épopée des Verts, que cela soit au stade, sur les ondes ou à la télé. L’émerveillement procuré par Johan Cruijff ou le grand Bayern sont encore transmise par ceux qui les ont vus de leurs propres yeux aux jeunes générations.

Au-delà des arguments musicaux, les pro-festoches brandissent le spectacle humain comme principale source de motivation. Cette émulation collective, ce partage intergénérationnel, cette communion entre les classes sociales, ce brassage entre les populations, pour lesquels les festivals seraient les derniers havres. À y regarder de plus près, ces événements sont surtout les derniers endroits pour observer à l’état sauvage des mecs déguisés en banane, des délurés couverts de sacs plastique qui s’adonnent à une compétition de ventres qui glissent ou encore des nanas urinant sur une palissade pour éviter la queue pour les toilettes. Un microcosme qu’on ne croiserait selon eux nulle part ailleurs. Sauf dans un stade de foot. Avec pour principale valeur ajoutée que ce folklore dans un contexte sportif a au moins le mérite de proposer une certaine harmonie, chacun essayant de se parer de la couleur de son club ou de son pays. Le « fashion faux pas » est ici évité. Et puis si on tient tant que ça à voir des tresses ou des dreads, il y aura toujours Bruno Grougi et Bafé Gomis.

Maxwellfest

La différence abyssale peut tout simplement se mesurer aux « goodies » que les passionnés tiennent tant à collectionner. Alors qu’un T-shirt sans forme détaillant la prog’ du Sziget 1997 (David Bowie, dEUS, Faith No More, Foo Fighters, Motörhead, The Cardigans – du vu et revu) ne suscitera au mieux qu’un petit clin d’œil d’un congénère qui ne peut partager avec vous qu’un vague souvenir de ce séjour hongrois. Alors qu’un maillot de la Fiorentina de la même époque, floqué d’un « Batistuta » , inspirera irrémédiablement le respect inconditionnel de n’importe quel connaisseur du football moderne. Quand une passion se dilue dans la multitude des propositions, l’autre arrive à fédérer grâce à des marqueurs communs faisant l’unanimité ou presque. Mieux : les chants repris en chœur dans une tribune ont au moins l’honnêteté artistique de rester accessibles, simples et efficaces, car conçus pour usage collectif. Rien à voir avec le yaourt craché à l’unisson lorsqu’un artiste anglophone demande au public de reprendre son refrain. Et puis aucun Scouser n’a jamais été obligé de porter ces foutus bouchons d’oreille orange dans le Kop d’Anfield.

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