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Pourquoi le foot est-il meilleur que la bûche ?

Par Maxime Brigand
4 minutes
Pourquoi le foot est-il meilleur que la bûche ?

« C'est en bûchant qu'on devient bûcheron. » Ah, ce vieux Pierre Dac. Voilà plus de dix siècles que le refrain joue avec la patience du cervelet : à chaque repas de Noël, la bûche fait son retour et fait briller les yeux de la grand-tante. Problème, les raisons ne manquent pas pour lui prouver qu'une partie de ballon rond vaut bien mieux qu'une vieille génoise roulée.

Ding. Rapide coup d’œil, ce qui vient de vibrer n’est pas votre montre, Tonton n’ayant pas encore ouvert la course à la prune, mais simplement votre tympan. 23h57, ce qui représente, en gros, l’heure qui va décider de quel côté de la ligne votre corps va basculer. Remballe ton trou normand, Pépé, t’es déconnecté, il fallait l’avaler il y a déjà deux assiettes. Vous relevez la tête, autour de vous, un bordel au milieu duquel vous êtes paumé, seul. Un instant, vous pensez à Nolan Roux et vous vous dites que si un mec né à Compiègne à la fin des années 1980 a pu retrouver la patate en plein mois de septembre à Angers, votre cas n’est pas encore désespéré. Il reste encore Loïs Diony. Et Bernard, aussi, que tata Véronique rêvait de présenter à la famille et qui a tenté le papier toilette imprimé de billets de cent dollars pour arracher un sourire à un beau-père qui lui a broyé les doigts dès la poignée de mains qui faisait office de coup d’envoi. Ouais, ce soir, vous voilà pris dans le tourbillon du réveillon. Et ce soir, comme chaque année, après avoir pensé à vous effondrer devant un Grand Bêtisier de Noël qui a le mérite de réveiller le souvenir de Laurence Boccolini chaque 24 décembre, mais aussi que chaque huître pouvait être synonyme d’intoxication alimentaire, vous voilà face au jeu : une merveille d’action en triangle se met en place entre la spatule, un nain pourlingue en plastique et un nappage chocolat foireux. Votre grand-mère, passée en quelques instants maîtresse dans l’art du un-contre-un, vous tend cette soucoupe de porcelaine. Votre heure est arrivée. La bûche est de retour, avec son suspense inhérent, et on repense à cette semaine passée où l’on a décidé de se jeter dans le canapé, déchaîné à l’idée de retrouver le Multiplex : quel goût ça a déjà ?

Rébellion

Réponse simple : ce nappage ne vous touchera pas, ni cette génoise roulée, encore moins cette saloperie de crème au beurre. Vous regardez votre grand-père, il vous fusille : gamin, tu crois vraiment que j’ai glissé une enveloppe dans ton paquet pour que tu me foutes la vieille dans cet état-là ? Plat du pied sécurité : « Je vais goûter, ok. » Ce qu’il ne sait pas, c’est que le Multiplex, lui au moins, n’avait pas de plastique, pas de graisse et encore moins cette scie en plastique qui vous fait penser bizarrement à Pierre Dac et ses conseils à la Julien Sablé : « C’est en bûchant qu’on devient bûcheron. » Oh guignol, tu crois vraiment que c’est en se bodigeant qu’on devient Bodiger ? On nous avait, une nouvelle fois, promis une explosion de saveurs et, passée l’excitation de la première bouchée, vous posez fièrement votre cuillère. Bûche, tu ne m’auras pas. Ne pas la finir est un acte de rébellion, un virage serré sur le destin et l’apothéose d’un repas que Bernard vient de quitter. La prune vient de remplacer le bordeaux, le soldat est tombé au front. Amen. Un éclair, au-dessus de l’épaule de Chantal, la dernière de la bande, qui a décidé cette année d’épouser la prune faute d’avoir pu épouser Bruno : votre grand-père a laissé la télé tourner, vous apercevez un ange dessiné par les pixels. Il chiale à moitié, c’est Gabriel Batistuta. Il n’est pas seul : il y a Redondo, Gheorghe, Tibor et les autres. Vous avez compris et retrouvé le goût. Vous êtes un peu bourré, aussi.

Mise à mort

En un instant, vos saveurs sont visuelles : jaune, bleu, rouge, ciel et blanc. Vous êtes ramenés en 1994, à Pasadena, Dumitrescu claque un doublé, c’est géant. Plus rien n’existe, on vous tend de la prune, pour vous c’est de l’eau. Vous hurlez votre joie, embrassez votre grand-mère, vous détestez Noël, mais un Noël comme ça, vous l’adorez. Votre mère se dit qu’elle a raté un truc, votre père décide de profiter de l’instant pour vous raconter les histoires d’un druide de Kergrist-Moëlou, Michel Le Milinaire est presque à votre table. Bernard se relève, pense que c’est le moment pour parler de « l’argent roi » , de ces « danseuses » de footballeurs qui seraient prétendument trop payées. Vous ne l’écoutez pas, vous ne l’avez probablement jamais écouté. De toute façon, il ne connaît rien, ne ressent rien et ne sait pas que votre dinde farcie à vous arrivera le 26 : un Bournemouth-West Ham, et peut-être un Aston Villa-Sheffield United si vous en avez encore sous le capot. Abel Balbo vient de réduire la marque pour l’Argentine, vous touchez les étoiles. Ding. 00h58, vous ne respirez plus, vous recrachez. Tout le monde s’arrête, les images avec. Tête baissée, vous regardez votre assiette : ce nain en plastique a bien failli vous avoir. C’est donc ça le goût de la bûche, une certaine idée de la mise à mort. « Enfoiré de Pierre Dac… »

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