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Pourquoi le foot est-il meilleur que le communisme?
Jusqu'à dimanche, le PCF tient son congrès. Aujourd'hui, tout le monde demande ce qu'il reste du grand parti de la classe ouvrière. Autrefois grand moment de la vie politique française, l'événement est désormais éclipsé par une défaite des Bleus contre la Mannschaft en match amical. Mais après tout, à bien y réfléchir, le foot a triomphé là où la grande aventure bolchevique a échoué : parti unique des classes populaires, bureaucratie écrasant toutes les dissidences et imposant sa pensée unique, conjonction parfaite du nationalisme prolétarien avec l'internationalisme « dans un seul pays ». Et en plus, il compte même ses « idiots utiles ». Attention, le matérialisme historique sert aussi à faire rouler les ballons.
Le communisme se voulait d’abord, du moins dans les slogans, un rêve internationaliste. Il a terminé en néo-impérialisme à la sauce URSS pour s’autoparodier en cul-de-sac monarchique héréditaire en Corée du Nord (et on se taira poliment sur la fin médicalement assistée de la révolution « vert olive » de Castro). Le Kominterm ou le Kominform se résumèrent ainsi à la fonction de relais obséquieux des besoins du Grand frère soviétique. Le foot a suivi le parcours inverse. Fondé de manière très britannico-centrée, ce sont les Français, en l’occurrence Jules Rimet, qui ont eu l’idée de lui donner une hyper-structure globalisante capable d’asseoir et d’assurer sa victoire finale sur tous les autres sports. De quoi nourrir un fort ressentiment, toujours assez vif, chez nos amis britanniques ? Rappelons-nous la belle envolée du président de la Premier League : « L’Angleterre a donné le football au monde, le meilleur héritage que l’on puisse lui donner. Puis cinquante ans plus tard, un gars est arrivé et a dit : « Vous êtes des menteurs » , et il nous a volé ce jeu. Ce gars s’appelait FIFA. » Des propos qui devaient ressembler au ressenti d’un Georges Marchais (qui n’aimait pas finalement le foot de manière si apolitique que cela) face à l’OPA du PS de Mitterrand sur la gauche hexagonale. Aujourd’hui, Depardieu se réclame de son père coco et de radio Moscou pour justifier sa désertion fiscale vers Moscou, et le PCF confie son « front de gauche » à un Jean-Luc Mélenchon, ex PS ayant voté Maastricht, à la tête d’un parti de gauche concurrent direct. Pendant ce temps, Marine Le Pen prend quasiment des accents thoréziens pour parler au petit peuple d’Hénin-Beaumont. Imagine-t-on Bernard Laporte nommé à la tête des Bleus ?
Refuser le foot, c’est ne pas aimer le peuple
Le communisme (sa version dominante, copyright soviétique), une fois que « Moscou eut allumé sa force » (Daniel Halévy), sut construire son triomphe pas un sens quasi-militaire du devoir et une infanterie militante devenu salariée de la révolution prolétarienne. Or, à bien y regarder, la grande bureaucratie du foot n’a rien à envier à ce qui se passait dans les ex pays de l’Est. Elle arrive à maintenir un mur étanche autour de ses intérêts et parler d’universalisme pour se vendre au Qatar et évoquer la paix pour mieux oublier les Droits de l’Homme. Elle a appris aussi à amadouer et financer ses idiots utiles chez l’ennemi (la presse du « monde libre » et les artistes ou écrivains qui vantent la beauté de la « cause » ), qu’elle abreuve de sa propagande. Dur à contrer. Ceux qui s’y opposent sont vite qualifiés d’ennemi de « classe » .
Car le football dispose aussi de ses organisations de masse, et son audience auprès des couches populaires à travers le monde, réalisant enfin la grande unité des ouvriers et des paysans, peut difficilement se contester. Refuser le foot, c’est ne pas aimer le peuple. Pire, les peuples du monde dans leur ensemble. Quel intellectuel oserait pareil affront, à moins de passer pour un laquais des forces obscures qui veulent éternellement opprimer les exploités ou ne comprennent rien aux belles vertus de la culture prolétarienne ? Et pour les représenter, des dizaines de fédérations, avec leurs centaines de millions de pratiquants et des milliards de « compagnons de route » ou « sympathisants » . À la tête de ces avant-gardes, des hommes qui prétendent être démocratiquement élus pour aboutir à une quintessence de « centralisme démocratique » qui siège à Zurich. Et dire que depuis, il existe même des tendances au sein de l’ancienne maison de Duclos et Cachin. Tout se perd.
Et quand les preuves de l’échec s’accumulent, la seule raison ne peut forcément être imputée qu’à une faiblesse face aux « virus » provenant de l’extérieur contaminant le corps « sain » et qui appelle donc à une purge. Le foot se construit en s’épurant. La corruption et autres paris truqués ? Des mafias asiatiques (comment oublier la grande « hérésie » maoïste ?) à l’assaut de la forteresse du ballon rond « dans une seule FIFA » , comme les mœurs occidentales pervertissaient la belle jeunesse russe à coups de rock et de bleu jean. Quelques procès contre des sous-fifres lampistes issus de la CAF devraient suffire à en faire la démonstration (qui sera le Arthur London du foot ?).
Le football ne fait que bouffer ses petits copains
Qui a mieux à proposer à la place ? Car alors que communisme n’a cessé de céder ses parts de marché idéologique (au Caudillo socialiste en uniforme Chávez – lequel fait bien tripper également l’extrême-droite « solidariste » -, aux trotskystes ou anarchistes aux marges rebelles de l’Occident, voire aux islamistes sur le versant « anti-impérialiste » dans le monde arabe), le foot, lui, ne fait que bouffer tous ses petits copains au sein de l’arène sportive. Le rugby tente en vain de sortir de ses terres australes et du Sud-Ouest, c’est le foot qui vient s’implanter en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le souffle des Marx, Engels, Lénine, Staline ou Mao, ne réussit jamais véritablement à souffler aux USA, au cœur du Capitalisme triomphant et finalement triomphateur ? Le Soccer se dégage doucement sa place chez les Ricains, pourtant si adeptes de l’americana athlétique (base-ball et NFL). Le triomphe du Gramscisme du ballon rond constitue de la sorte l’illustration parfaite que le soft power ultra-libéral a besoin de contenu culturel et qu’il réclame aussi son bras armé de la « révolution » mondialiste.
Et rassurons-nous, il subsistera malgré tout la Fête de l’Humanité tout comme la FFF conservera toujours la Coupe de France. La rétromania n’est pas réservé au monde de la musique.
par Nicolas Kssis-Martov