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Decreto Crescita : la hernie fiscale du foot italien
Depuis le 1er janvier 2024, les clubs italiens doivent faire sans le Decreto Crescita, un avantage fiscal qui a grandement contribué au retour sur le devant de la scène européenne des écuries transalpines. Une abrogation censée favoriser la formation italienne, mais qui inquiète certains acteurs du Calcio concernant la compétitivité du championnat.
Vendredi dernier, une bombe a explosé sur la planète Calcio. Après plusieurs heures de débat animé, le Conseil des ministres annonce officiellement la suppression du Decreto Crescita. Initialement, le Decreto Crescita (le décret de croissance, en VF) devait être prolongé jusqu’au 1er février. Mais à la stupeur générale, cette abrogation est effective dès le 1er janvier 2024. Autrement dit, les clubs italiens devront faire sans cet avantage fiscal pour le mercato hivernal. « C’est une énorme absurdité de ne pas prolonger ce décret de croissance », s’est insurgé Claudio Lotito. Pour le président de la Lazio, « la Serie A va perdre en compétitivité » et ajoute que cette décision « risque de détruire des clubs comme le Milan, la Juve et la Roma ». Le sénateur à ses heures perdues n’est pas le seul à s’y être opposé. Dans un communiqué, la Lega Serie A s’est également insurgée : « Cette décision aura pour seul résultat une issue diamétralement opposée à celle souhaitée. La non-prolongation se traduira par une perte en compétitivité des équipes avec pour conséquence une réduction des revenus et donc moins de recettes pour le Trésor public. » Ambiance…
Decreto Crescita, explication de texte
Depuis des décennies, l’Italie fait face à une importante vague d’émigration de ses cerveaux vers d’autres horizons, en raison du manque de perspective et également pour des raisons économiques. Pour contrer ce phénomène et ainsi rapatrier ses talents, le gouvernement italien a décidé de mettre en place le fameux Decreto Crescita, permettant aux travailleurs, mais également aux entreprises de bénéficier de nombreux avantages fiscaux. Les clubs de football ont aussi bénéficié de cette mesure qui a été mise en place au mois de janvier 2020. Un décret de croissance valable pour tout individu n’ayant pas vécu sur le sol italien pendant deux ans avant la signature de son contrat et qui doit s’établir pendant deux ans minimum dans la Botte. Une aubaine pour les écuries de Serie A qui en ont profité pour encore plus recruter des profils qui, sans cet avantage fiscal, ne seraient jamais (re)venu en Italie : de Thuram à Kvaratskhelia en passant par Maignan, Abraham, Mourinho ou encore Ibrahimović et Pogba. Des joueurs aux exigences salariales conséquentes sur lesquelles les clubs ont pu s’aligner grâce au Decreto Crescita. En quatre ans, les clubs italiens ont économisé pas moins de 320 millions d’euros de masse salariale.
Italianité vs compétitivité
Le revers de la médaille : cette explosion de joueurs venus de l’étranger se fait au détriment des talents locaux, et donc des joueurs italiens. C’est d’ailleurs une des raisons invoquées par le gouvernement italien (d’extrême droite, pour rappel), par la voix du vice-président du Conseil des ministres, Matteo Salvini : « L’objectif du gouvernement est d’aider le football italien en valorisant les équipes de jeunes et notre produit. » Un argument également avancé par Umberto Calcagno : « C’est une très bonne nouvelle pour notre football. Ce Decreto Crescita pénalisait l’ensemble du mouvement footballistique italien. » Pour le président de l’AIA (l’Association des joueurs italiens), l’abrogation du décret de croissance est une sage décision : « Les joueurs italiens et étrangers vont pouvoir désormais concourir au même niveau. Cette décision va nous permettre de protéger notre football et l’avenir de la Nazionale. »
L’obiettivo del governo è aiutare il calcio italiano anche e soprattutto valorizzando i vivai. Per questo motivo, la Lega ha ritenuto di stoppare la norma che consente ai calciatori stranieri di pagare meno tasse. Sono convinto che sia una scelta di equità e buonsenso. Il Decreto…
— Matteo Salvini (@matteosalvinimi) December 29, 2023
Cette manière des politiciens de se mêler de leurs affaires ne fait pas que des heureux dans les bureaux des clubs italiens, qui avaient entre-temps retrouvé un peu de leur superbe sur le plan européen, en témoignent les trois finales européennes du printemps dernier et les points du ranking UEFA (12 642 en 2019, 22 357 en 2023). « On n’a pas de conseil et d’ordre à recevoir des personnes extérieures à notre football, selon Giovanni Carnevali, l’administrateur délégué de Sassuolo. Pendant le Covid, nous avons demandé des aides que nous n’avons jamais obtenues. Nous devons, l’ensemble des clubs, nous opposer à cette décision. Restreindre nos clubs est encore plus grave que le décret de croissance. » Même son de cloche du côté de l’Inter. « C’est une décision complètement absurde sur tous les points, s’est indigné Giuseppe Marotta, l’administrateur délégué nerazzurro. C’est un but contre son camp pour le football italien. Certains disent que le Decreto Crescita désavantage nos jeunes joueurs, mais c’est complètement faux. Le fait qu’il y ait des joueurs de meilleure qualité dans la ligue permet à nos jeunes joueurs de grandir dans un environnement de haute qualité. Je pense donc que le produit “made in Italy” n’en tirera aucun avantage. »
Mais quelles alternatives ont proposé ces dirigeants du football pour garder leur compétitivité sans brider les jeunes Italiens et donc l’équipe nationale ? En 2019, la Lega Calcio propose une loi au gouvernement italien, la Legge Melandri, qui permettrait aux clubs italiens de recevoir des primes en fonction du pourcentage de joueurs formés au club lancés dans le grand bain au cours de la saison. Un projet déposé sur la table, mais qui n’a jamais été validé par le gouvernement. Pourtant rien ne dit que le problème de formation, bien plus profond, disparaisse en même temps que le Decreto Crescita. Il s’agit là d’un souci plus large que le foot, et relève de la mentalité italienne même. « Nous n’avons pas de courage. C’est même un problème sociétal. Pour être chef d’entreprise en Italie, il faut avoir 70 ans minimum, alors que dans les autres pays, beaucoup le sont à 30 ans », expliquait Francesco Palmieri, responsable du centre de formation de Sassuolo. Marcus Thuram a 26 ans et vient d’un autre pays. Il sait donc ce qu’il lui reste à faire pour reprendre les clés du vestiaire de l’Inter d’ici quatre saisons.
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