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Pourquoi la Serie A n’a toujours pas trouvé son diffuseur en France ?
Alors que les vingt clubs de Serie A ont repris du service le week-end dernier, les négociations entre les diffuseurs français et la Lega Serie A sont toujours au point mort, à tel point qu’il pourrait de nouveau y avoir un écran noir pour la deuxième journée. Ma perché ?
Le week-end dernier, les amoureux de calcio ont dû utiliser des subterfuges pour assister à la correction du Napoli sur le gazon du Hellas (0-3), le premier but d’Alváro Morata avec le Milan face au Torino (2-2), la démonstration de l’Atalanta face à Lecce (4-0) ou encore la première réussie de Thiago Motta sur le banc de la Juve (3-0). En effet, la première journée de la Serie A n’a pas été diffusée en France, une non-diffusion qui pourrait même se prolonger pour cette deuxième journée.
Diffuseur du championnat italien depuis 2012, beIN Sports n’est pas parvenu à un accord avec la Lega Serie A, laissant entrer dans la danse DAZN – déjà diffuseur de la Serie A en Italie – qui s’est montré intéressé. « Nous avons 100 % des matchs en Serie A en Italie. Mon espoir est que DAZN devienne la maison de la Serie A dans le monde entier, dont la France », déclarait il y a quelques jours Shay Segev, PDG de l’entreprise londonienne, dans les colonnes de L’Équipe. Toujours est-il qu’à l’heure actuelle, le championnat transalpin se retrouve invisible en France et la situation ne se décante pas. Pourtant, ces dernières années, les clubs italiens ont retrouvé (un peu) de leur superbe, en attestent le succès de l’Atalanta en Ligue Europa, la finale de C1 de l’Inter perdue en 2023, ou encore le sacre de la Roma en Ligue Conférence il y a deux ans. Visiblement, ce n’est pas suffisant.
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Gourmands ou radins ?
En 2021 déjà, la Serie A s’était retrouvée dans une situation quasi similaire. À quelques jours de la reprise du championnat, les négociations entre les deux parties pataugeaient déjà, avant qu’un accord soit trouvé dans le money time entre beIN Sports et la Lega Serie A pour un contrat de diffusion de trois ans (2021-2024). Si trois ans auparavant, les deux parties étaient parvenues à un accord, les négociations pour un nouveau contrat de trois ans n’ont cette fois-ci pas abouti avant le coup d’envoi de la saison. Une bataille de coqs : d’un côté, beIN Sports souhaite diminuer le montant pour obtenir ces droits de diffusion, et de l’autre, la Lega Serie A souhaite que la chaîne qatarienne reste sur les mêmes standards que les précédents accords.
« L’attitude de beIN Sports n’est pas surprenante. Dans tous les pays où la chaîne est présente, beIN cherche à baisser les prix payés de ces droits TV. Et DAZN cherche toujours à acheter les droits TV au prix le plus bas », souligne Pierre Maes. Pour le spécialiste des droits TV et auteur du livre La Ruine du foot français, la Lega Serie A joue à un jeu dangereux : « Son attitude est assez étonnante. Elle se montre sûrement un peu trop gourmande et manque de pragmatisme, en comparaison aux Allemands et aux Espagnols, qui eux ont compris que le marché avait changé et qu’ils devaient finalement revoir leur exigence à la baisse. » Contactés, ni la Lega Serie A, ni beIN Sports n’ont souhaité s’exprimer sur la situation.
Et si finalement le championnat italien accusait un certain retard en comparaison aux championnats allemand et espagnol en matière d’audience ? Selon Pierre Maes, cet argument selon lequel la Serie A rapporterait moins que la Bundesliga et la Liga ne tient pas debout : « Je pense franchement qu’en audience et en attractivité, ces trois championnats sont au même niveau. Maintenant, la réalité est que ce sont des championnats “nice to have”, c’est-à-dire des championnats que l’on est content d’avoir dans son catalogue, mais ils ne sont pas vitaux pour les diffuseurs. » Des Italiens trop gourmands et/ou des diffuseurs trop avares ? Une chose est sûre, les rapports entre la Lega Serie A et beIN Sports se sont détériorés et l’accord signé entre la Lega Serie A et l’Arabie saoudite – rival historique du Qatar – concernant la Supercoupe d’Italie n’a pas arrangé les choses. De l’autre côté, DAZN souhaite entrer dans la danse. Mais selon nos informations, l’offre proposée par le diffuseur britannique est jugée insuffisante pour les dirigeants transalpins. Tout est chaos.
Un calcio méprisé
Mais si l’Italie n’a rien à envier à l’Allemagne ou à l’Espagne, pourquoi c’est avec elle que ça coince auprès du public français ? La faute certainement à une question d’image et de clichés. « Brighton, c’est Reims », disait Raymond Domenech il y a encore quelques semaines pour la venue de Roberto De Zerbi à Marseille, visiblement pas très emballé. Réputé (en partie) pour sa vision très critique du football italien, l’ancien sélectionneur des Bleus n’est pas le seul à vouer un certain mépris à l’encontre du calcio. Une tendance qui s’est particulièrement accélérée depuis la défaite de la bande de Raymond en 2006 face à la Nazionale. Dans l’Hexagone, la Serie A est souvent reléguée à un championnat archaïque, ennuyant, basé sur la défense et le vice. « Beaucoup ont encore cette vision du football italien très à l’ancienne, mais elle est erronée et caricaturale. Quand on suit un minimum la Serie A, on sait très bien que cette vision ne correspond plus à la réalité », explique Ricardo Faty. Un dédain que l’international a vécu pendant ses quelques piges à la Roma : « En France, on ne suivait pas trop ce que je faisais à Rome ou bien d’un regard différent. J’avais l’impression de ne pas être forcément pris au sérieux quand j’évoluais à la Roma. »
Si Ricky Friandise, comme aime le surnommer son ami Sébastien Bassong dans l’émission Ballons, Main, Corps !, a raccroché les crampons, il constate que ce déficit de popularité se perpétue en France. « Beaucoup pensent que la Ligue 1 est du même niveau que la Serie A. Or, il suffit de suivre les deux championnats pour voir que la différence est énorme », argumente-t-il. Et ce n’est pas avec ses bisbilles de diffuseurs que cela risque de changer. « Le dernier exemple en date est l’Atalanta de Gasperini. On en a vaguement parlé en France alors que c’est exceptionnel. À titre de comparaison, on a beaucoup plus parlé du Bayer Leverkusen de Xabi Alonso. La Serie A n’est pas respectée à sa juste valeur en France et ça se voit dans la manière dont on en parle », s’agace Faty, pour qui les clubs de la Botte ont aussi leur part de responsabilité : « La Serie A souffre aussi de ses infrastructures, et certainement que ça n’arrange pas la situation. Avec des stades aussi vétustes, c’est plus difficile d’être attractif et de donner envie aux gens de suivre son championnat, à la différence de l’Allemagne par exemple. » Autrement dit : les efforts doivent être faits des deux côtés, Ligue comme diffuseurs, pour que tout le monde y trouve son compte, dont les tifosi du foot italien installés en France.
Par Tristan Pubert
Propos de Pierre Maes et Ricardo Faty recueillis par TP.