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Pourquoi la Norvège est-elle la seule à se mouiller dans le boycott du Qatar ?

Par Quentin Ballue
Pourquoi la Norvège est-elle la seule à se mouiller dans le boycott du Qatar ?

Que faire face à la perspective d’une Coupe du monde organisée dans des conditions douteuses du point de vue des droits de l’homme ? La grande majorité des pays a préféré ne pas trop s'avancer, évidemment. La Norvège, elle, a opté pour la solution offensive. En posant clairement la question d’un boycott sur la table. Mais pourquoi diable la patrie du groupe a-ha fonce-t-elle là où tout le monde recule ?

« Plus de 6 500 travailleurs migrants originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts au Qatar depuis que le pays a obtenu le droit d’accueillir la Coupe du monde il y a dix ans. » Le Guardian a ravivé la flamme de la contestation le 23 février dernier avec un chiffre à faire froid dans le dos. Et le bilan est sans aucun doute bien supérieur à l’estimation faite par le journal britannique, qui a précisé qu’elle n’incluait pas « les décès concernant un certain nombre de pays qui ont envoyé un grand nombre de travailleurs au Qatar, notamment les Philippines et le Kenya ». L’étincelle a mis le feu aux poudres en Norvège.

« La critique et le dialogue n’ont mené à rien »

Le club de Tromsø IL a embrayé le premier par le biais d’un communiqué. Constatant que « la critique et le dialogue n’ont mené à rien », il a défendu l’idée d’un boycott : « Nous devrions réfléchir à ce qu’est l’idée du football et pourquoi tant de gens aiment notre sport. Le fait que la corruption, l’esclavage moderne et un nombre élevé de décès constituent le fondement de la chose la plus importante que nous ayons, la Coupe du monde, n’est pas du tout acceptable. Nous ne pouvons plus rester assis et regarder des gens mourir au nom du football. » Cinq autres clubs ont suivi le mouvement, dont Rosenborg, le plus titré, entraînant la fédération à annoncer un vote pour trancher la question en juin.

Pendant ce temps, les autres pays préfèrent éviter de se poser trop de questions. Au Danemark, la pétition qui permettrait d’introduire le débat au parlement est loin, très loin des 50 000 signatures requises (à peine 7800 soutiens depuis son lancement en décembre). En France, le député Régis Juanico et le maire de Bourg-en-Bresse Jean-François Debat ont bien tenté de mettre le sujet sur la table en 2019, mais leur appel n’a pas été suivi. Une fois n’est pas coutume dans le monde du football, la Norvège dicte le tempo. Et donne des idées. Avant leur victoire à Gibraltar, Erling Haaland et ses potes ont arboré un T-shirt avec le message : « Droits humains, sur et en dehors du terrain. » L’Allemagne leur a emboîté le pas dès le lendemain, comme les Pays-Bas samedi dernier. Pas un appel direct au boycott, certes, mais la preuve que le monde du football n’accepte pas tout, même pour un Mondial.

Une culture du boycott ?

Selon un sondage paru dans le journal Verdens Gang, 55% des Norvégiens penchent en faveur d’un boycott de l’événement. Le syndicat des travailleurs de l’électricité et de l’informatique s’est rangé de ce côté, comme le syndicat norvégien des travailleurs généraux, qui avait pointé dès 2015 « des conditions de vie et de travail inhumaines », ainsi que la confiscation de passeports. « On a notre meilleure possibilité d’atteindre un tournoi majeur depuis plus de vingt ans, et en même temps, beaucoup de gens pensent que cette question est beaucoup plus grande que le sport et qu’il faut boycotter au nom de nos principes. Ça en dit beaucoup sur le peuple norvégien, estime Arilas Ould-Saada, journaliste football pour VG. On est un peuple assez clair par rapport à des questions de droits humains et de ce qui est acceptable. » Même son de cloche du côté de sa consœur Vibeke Knoop Rachline, autrice du livre Les Norvégiens, pacifistes : « Je ne suis pas surprise parce que la Norvège est un pays toujours engagé quand il s’agit des droits de l’homme. Beaucoup supportaient le boycott de l’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid. Il y en a aussi pas mal qui sont pour un boycott d’Israël à cause de l’occupation des territoires palestiniens. »

En octobre, la Première ministre Erna Solberg avait elle-même pris position en faveur d’un boycott de la compagnie Wizz Air, qui refusait à ses employés de se syndiquer. En précisant qu’elle n’avait, de même, jamais voyagé avec Ryanair, aussi visé par un appel au boycott quelques années plus tôt en raison des conditions de travail de ses salariés. Dans le domaine du sport, Lars Bohinen avait refusé de jouer contre les Bleus en 1995 à cause des essais nucléaires français dans le Pacifique. Plus récemment, l’équipe nationale de biathlon avait menacé de boycott l’étape sibérienne de la Coupe du monde 2016-2017 à la suite des révélations du rapport McLaren. La Fédération russe avait alors renoncé à organiser la compétition. Ada Hegerberg a également choisi de ne plus porter le maillot de la sélection au nom des inégalités entre footballeurs et footballeuses. De là à parler d’une culture du boycott ? « Oui, on peut dire ça », juge Vibeke Knoop Rachline. « Peut-être une culture d’honnêteté morale, si l’on peut dire comme ça », esquisse Thomas Mohnike, professeur d’études scandinaves à l’université de Strasbourg, en mettant l’accent sur « l’importance de l’intégrité morale pour la décision politique ».

Un sacré cas de conscience attend le football norvégien, qui espère, dans le sillage d’une génération prometteuse emmenée par Martin Ødegaard et Erling Haaland, retrouver le parfum d’une compétition internationale pour la première fois depuis l’Euro 2000. « Les conférences de presse de l’équipe nationale, maintenant, c’est 50% Qatar et 50% football, souligne Arilas Ould-Saada. C’est un vrai sujet en Norvège, et ça va continuer jusqu’en juin avec le vote lors de l’assemblée générale extraordinaire. Je pense qu’il y a une réelle possibilité de boycott, car le mouvement est très fort. Il y a peu de liens politico-sportifs avec le Qatar, cela aide. La Norvège est assez indépendante si tu compares à la France, l’Espagne ou l’Allemagne, avec le Bayern (sponsorisé par Qatar Airways). » L’option n’est cependant pas privilégiée par le président de la fédération Terje Svendsen, ni par l’équipe nationale. « Le sélectionneur Ståle Solbakken l’a dit, Martin Ødegaard aussi, ils souhaitent plutôt changer les choses de l’intérieur, en participant. L’équipe nationale n’est pas pour le boycott, mais pour faire passer un message. C’est ce qu’ils ont commencé à faire. Quand on voit que l’Allemagne et les Pays-Bas suivent, c’est que ça a un impact. » À qui le tour ?

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Tous propos recueillis par QB sauf mentions.

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