- France
- Ligue 2 – 38e journée – Orléans-Sochaux
Pourquoi la Chine a investi en Franche-Comté ?
Après l'accord de vente officialisé entre les groupes PSA et chinois Ledus pour le rachat du FC Sochaux-Montbéliard, les fans des Lionceaux se demandent ce que vont devenir Bonal, le blason au lion et les valeurs maison. Le nouveau proprio va-t-il tout révolutionner ? Les fidèles oscillent entre amertume et envie d'y croire.
Un an. À peine une foutue année. C’est le très court laps de temps nécessaire au FC Sochaux-Montbéliard pour voir voler en éclat une partie de sa raison d’être : son record de longévité dans l’élite – 66 saisons consécutives – et sa filiation avec la marque au lion, Peugeot, dans un modèle précurseur à sa création, avec un club et une entreprise imbriqués, à l’image de ce stade collé aux usines PSA. Une relégation et une cession à un groupe chinois plus tard, c’est tout un pan de l’histoire du club dont on tourne la page. Avec la prise de contrôle par un groupe coté à Hongkong et spécialisé dans la fabrication de systèmes d’éclairage Led, tout d’un coup, qu’elles semblent poussiéreuses toutes ces anecdotes sur la déportation et la mort en martyr d’Auguste Bonal, avec la complicité du fondateur d’une autre marque de renommée mondiale, Ferdinand Porsche, sur la personnalité de Jean-Pierre Peugeot et sur ses joueurs-salariés ou même sur les années fastes des Paille, Sauzée, Bats et autres. En Franche-Comté, on n’est pas loin de penser que le foot, c’était mieux avant.
« Ledus ne se paye pas une danseuse »
« Je regrette énormément que le club sorte du giron de Peugeot. Heureusement, on voit que nos p’tits jeunes se sont encore qualifiés contre le PSG pour la finale de la Gambardella face à Lyon. » Président historique des dernières années fastes du club doubiste, Jean-Claude Plessis tente de se rassurer et de rassurer les fidèles des lionceaux. Comme bien des supporters, il l’a mauvaise de voir cette histoire stoppée nette. À l’image de Fabrice Lefèvre, président depuis 2007 de l’association Planète Sochaux, dont le forum sur le web génère 2000 connections par jour : « Pour nous tous, c’était impensable que ça s’arrête entre Sochaux et Peugeot. On oscille entre amertume et colère. Colère à l’égard de PSA et Carlos Tavarez. Et amertume et déception avec la famille Peugeot. Même si elle était minoritaire depuis l’entrée au capital de PSA de Dongfeng et de l’État en 2014, on n’a pas la sensation qu’elle nous ait entendue ou qu’elle se soit démenée pour éviter ça. On n’a pas envie de voir tous les symboles constitutifs du club voler en éclats, que ce soit les couleurs, le blason avec le lion, le nom du stade… »
« Ledus ne se paye pas une danseuse »
Au pays de l’emmental, on en a gros sur la patate. Et le fait que Sochaux soit le premier club européen passé entièrement sous pavillon chinois n’est pas une première dont on se sent fier. C’était pourtant une échéance à craindre depuis quelque temps déjà. À l’automne, les contours d’offres de reprise par des investisseurs locaux s’étaient dessinées. Même Jean-Claude Plessis avait un temps évoqué le sujet avec le président du Standard de Liège : « Mais ça a fait tellement de bruit avec les agents et les faux-agents que le projet a été vite abandonné. J’aurais pourtant souhaité réintégrer le club, même en L2. » Puis un tandem, Mounir Jahwar et Jean-Luc Witzel, après avoir sondé le président de Sion, a joué les entremetteurs avec le groupe Ledus par l’intermédiaire de son directeur France, le Mulhousien Thomas Lichtenauer. Pas de quoi rassurer les fidèles de Bonal, comme le détaille Fabrice Lefèvre : « Le premier a eu des embrouilles avec la justice, a vu une société dans le sport placée sous liquidation judiciaire et a été agent de joueurs avant de voir sa licence retirée. Et le second a été le bras droit de Jafar Hillali au RC Strasbourg, avant de s’en aller quand le vent tournait. On voit ce qu’ils ont fait du Racing… »
Les craintes sont d’autant plus marquées chez les supporters que les liens entre le pays de Montbéliard et l’Empire du milieu sont pour le moins infimes, voire inexistants. Certes, le club a bien accueilli deux jeunes Chinois dans son centre de formation il y a quelques années. Certes, Jean-Claude Plessis avait aussi pris des contacts pour une tournée sur place, PSA possédant une usine à Wuhan : « Il était question d’un ou deux matchs amicaux pour un rapprochement entre nos usines. » Mais à part ça, nada. C’est en fait le président de la SASP, Denis Worbe, qui a peut-être le mieux défini le pourquoi de l’intérêt de Ledus auprès de France Bleu Belfort-Montbéliard : « Ledus définit le FCSM comme un projet marketing. Ledus veut se faire connaître en Europe et en France à travers le FCSM. Ledus ne se paye pas une danseuse, c’est extrêmement rassurant car une danseuse on peut s’en lasser assez vite. Là il y a une légitimité économique derrière ce projet. »
Chine-football, mariage de raison ?
Un outil de comm’, donc. Mais de quel type ? Un investisseur foireux comme Mammadov à Lens ou des finances XXL comme au PSG ? Avec Ledus, le FC Sochaux ne sait clairement pas à quelle sauce il va être servi la saison prochaine, quand bien même la surface financière chinoise n’est pas celle des puits sans fond octroyés à Nasser. L’antécédent le plus proche de la situation doubiste résidant à Birmingham City, un club sans histoires en Championship, propriété du businessman hongkongais Carson Yeung, difficile donc d’imaginer Ledus, un fabriquant d’éclairages LED, claquer 100 millions d’euros par mercato et ramener Antoine Griezmann ou Marco Reus. D’autant plus que le pedigree des Lionceaux, en dépit des propos flatteur du futur nouveau propriétaire sur « la marque Sochaux » , ne permet pas à Ledus de s’assurer une visibilité massive en Chine, comme aurait pu le faire Bordeaux à travers son patrimoine viticole.
Les intérêts de Ledus à Sochaux sont donc probablement à mettre en parallèle avec ceux de la Chine dans le football. Depuis 2008 et un tournoi olympique masculin catastrophique, les autorités chinoises ont décidé de nettoyer un football local miné par les affaires de corruption. Après avoir traqué tous les moutons noirs – et notamment jeté en prison deux anciens présidents de la Fédération – Pékin a officieusement « encouragé » les grandes entreprises du pays à investir dans le ballon rond. Un mouvement qui a d’abord pris forme dans le championnat chinois avec le rachat de clubs et l’investissement de grosses sommes d’argent sur le marché des transferts, phénomène symbolisé en 2012 par les arrivées de Nicolas Anelka et Didier Drogba au Shanghai Shenhua. Si ce projet-ci fut un fiasco, d’autres ont prospéré, comme celui du groupe immobilier Evergrande à Canton, dont le club de Guangzhou Evergrande, en D2 en 2010, a été sacré champion d’Asie en 2013.
Quelques garanties, et après ?
Mais comme avoir un championnat compétitif ne suffit pas, la Chine a également exploré la piste de la formation de joueurs afin de faire progresser son équipe nationale. Depuis 2008, de nombreux partenariats ont ainsi été négociés entre la Fédération chinoise et des écuries européennes comme Everton, l’Ajax d’Amsterdam ou encore Le Mans, sans pour autant aboutir à la mise en place d’un projet sur le long terme… Cette piste est la plus crédible aujourd’hui pour expliquer le rachat de Sochaux par Ledus : acquérir à bon prix, 7 millions d’euros (ndlr : seulement 4 millions si Ledus respecte un cahier des charges demandé par PSA) l’un des fleurons de la formation à la française, le voir tourner, et en assimiler le mode de fonctionnement, pour au final en faire bénéficier la direction technique de la Fédération chinoise. En clair, Ledus à Sochaux, ce n’est peut-être rien d’autre qu’un transfert de technologie… L’intérêt pour l’entreprise chinoise ? Rendre service à Pékin, ce qui sous-entend bénéficier en retour d’un accès privilégié à des marchés locaux.
Des considérations à des années-lumière des JoyRiders et autres fans inconditionnels des successeurs d’Isabey et Frau. Eux veulent avant tout savoir ce que sera le club de demain. Quelques garanties émergent malgré tout, comme le détaille Fabrice Lefèvre, très bien informé sur les affaires internes : « Le blason et les couleurs ne devraient pas changer d’après les premiers échos. Cela nous rassure aussi de savoir que l’équipe en place assurera la transition pendant les mois à venir. Le président Pernet devrait rester, et avec lui ceux qui ont permis à Sochaux de se maintenir pendant des années en L1 malgré des moyens limités et l’accident de parcours de l’an dernier. Ledus a annoncé sur son site Internet vouloir retrouver la L1, et on peut le comprendre pour atteindre ses objectifs de visibilité. »
Et si Guerbert, Lopy ou l’enfant chéri Butin sont annoncés partants en fin de saison, ce n’est pas tant par volonté du nouveau proprio, mais la faute à des contrats arrivant à échéance et à un rendement entaché par des blessures graves ou à répétition. Mais les motifs pour se rassurer sont rares et nombreux sont ceux à vouloir emprunter la DeLorean d’Emmett Brown pour savoir de quoi seront fait les mois prochains. Jean-Claude Plessis ne souhaite en tout cas qu’une chose de son côté : « J’espère de tout cœur que l’avenir du FC Sochaux-Montbéliard avec son actionnaire chinois ne ressemble pas à celui promis à Grenoble Foot 38 avec ses investisseurs japonais. »
Par Arnaud Clement et Nicolas Jucha