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- Women Paris Soccer Show
« Pourquoi je suis venue ? Pour vivre le rêve américain »
Ce week-end se déroulait à Clairefontaine la première édition du Women Paris Soccer Show. Venues de tout le pays, 50 joueuses de niveau national ont tenté de séduire les coachs américains à travers deux journées de sélection, dans le but d'obtenir un précieux sésame universitaire et de s'envoler vers l'eldorado du soccer. L'occasion de s'intéresser un peu plus à la réalité du football féminin en France, partagé entre rêves brisés et volonté d'ailleurs.
« J’ai été chanceux au tirage, j’ai eu la chambre de Zidane ! » Brian Dunleavy n’en revient toujours pas. Tandis qu’il progresse à pas feutrés dans les sous-bois qui entourent le château de Clairefontaine, le coach américain de la Georgia Southern University a du mal à contenir son émotion : « Pour moi, c’est vraiment un privilège d’être hébergé là où l’équipe de France s’entraîne. Le château est magnifique, je n’ai pas arrêté de prendre des photos. » Particulièrement enjoué à l’idée de passer deux jours dans la forêt, Brian n’est pourtant pas venu ici en villégiature. S’il a traversé l’Atlantique, c’est pour recruter dans son université des joueuses françaises de qualité. Le centre technique Fernand Sastre était en effet ce week-end le théâtre d’une sélection qui a vu défiler plus de 50 footballeuses professionnelles de l’Hexagone, éprises d’Amérique et d’opportunités. « Il y a plusieurs bonnes joueuses, le niveau est élevé. Les Françaises ont plus de qualité technique et savent faire davantage de choses avec le ballon. Elles comprennent bien le jeu et ne paniquent pas balle au pied. Moi, je recherche vraiment la polyvalence, j’aime les joueuses qui savent s’adapter à différent schémas. J’en ai repéré certaines qui me semblent prometteuses, je vais les faire passer en entretien tout à l’heure. »
Organisée à l’initiative de l’école Amos, spécialisée dans le business et le management sportif, le Women Paris Soccer show était l’opportunité pour les talents de demain de se faire remarquer, afin d’obtenir un précieux sésame pour le pays de l’Oncle Sam, où le football féminin est roi. Ce samedi, elles étaient 23, originaires des quatre coins de la France, à avoir répondu à l’appel dès 9h du matin. « Selon moi, sur le papier, une petite dizaine ont un gros potentiel balle au pied. Après, ce sont les coachs qui regardent et prennent leurs décisions par rapport aux besoins spécifiques de leurs équipes. Certains recherchent des profils très précis. Ils viennent chercher en Europe ce qu’ils ne peuvent pas trouver aux États-Unis, à savoir des filles qui ont une patte, une technique léchée, un sens de l’anticipation » , explique en préambule Sylvestre Louis, directeur du développement de l’école de commerce et organisateur de l’événement. Particulièrement satisfait en cette fraîche matinée, le double prénom n’esquive pas les questions : « Bien sûr que l’on a un intérêt dans cette opération, les filles présentes ici sont potentiellement de futures étudiantes, mais ce n’est pas une opération commerciale. On souhaite vraiment faire bouger les choses et aider ces jeunes femmes à avoir un plan de carrière. On veut leur prouver qu’il est possible de faire de leur passion un métier. »
« En France, les footballeuses sont confrontées à un choix cornélien »
Occupé à diriger l’entraînement du matin, Olivier Chauvin, étudiant en dernière année de master, explique les enjeux de la journée entre deux coups de sifflet : « Il y a un double aspect sportif et éducatif : le but est de donner la possibilité aux jeunes joueuses de niveau national (D1, D2 ou U-19) de poursuivre leurs études en même temps que leur passion. À ce titre, le système américain offre clairement les meilleures conditions. » Et son directeur de reprendre, en toute rationalité : « En termes d’infrastructures et de possibilités, les États-Unis c’est vraiment un autre monde. Par exemple, nous avons un partenariat avec l’université du Tenessee, leur campus comporte un stade de 110 000 places et 3 piscines olympiques ! À cela il faut encore ajouter un véritable encadrement des sportifs, à tous les niveaux. Ils sont en avance sur tous les sports, là on parle de football féminin, mais c’est la même chose dans d’autres disciplines. » Tandis que les jeunes candidates à l’exil se lancent sur le terrain dans des slaloms effrénés, Olivier complète le tableau : « Ces filles jouent déjà pratiquement toutes au plus haut niveau en France, elles peuvent difficilement aller plus haut à part la sélection. Ce qu’elles cherchent aux États-Unis, c’est un autre monde, plus professionnel et riche en possibilités, qui leur offrirait un véritable avenir, voire une porte de sortie. »
Si les États-Unis représentent un véritable eldorado pour toutes ces jeunes joueuses, ce n’est pas tant parce que le niveau est supérieur, mais parce que le système universitaire américain est plus flexible que chez nous dans son rapport au sport. « Aujourd’hui, en France, les footballeuses sont confrontées à un choix cornélien : soit elles arrêtent les études pour tenter de percer, soit elles restent à l’école et abandonnent le sport. Il est pratiquement impossible de combiner les deux, à part la filière STAPS qui fait un peu illusion. C’est dommage de constater que la société n’offre pas d’alternatives » , explique un Sylvestre Louis amer, avant d’ajouter : « Pour la plupart, c’est un rêve d’aller jouer aux États-Unis, certaines en parlent tout le temps. D’autres sont davantage attirées par l’opportunité financière et la possibilité d’études poussées. Elles se disent que même si elles échouent à percer dans le soccer, elles repartiront bilingues et diplômées. » Une chose impossible à imaginer en France, où le système de formation est une « usine à briser les rêves » . Impliqués très tôt dans des filières spécialisées souvent déconnectées d’un cursus scolaire normal, les jeunes sportifs français font souvent l’impasse sur l’obtention d’un diplôme universitaire. Plusieurs enquêtes ont révélé que seuls 12% des bacheliers réussissent à concilier pratique sportive de haut niveau et études supérieures. Pire, 93% des sportifs entrés dans un centre de formation décident de ne pas poursuivre leurs études à la sortie, faute de temps et de moyens. Quand on sait que moins de 5% des joueurs de football issus d’une entité de formation signent finalement un contrat professionnel, on comprend mieux à quel point ce manque de flexibilité produit « des déceptions à la chaîne » et laisse un grand nombre de candidats, sans ressources ni recours, sur le bord du chemin.
Même pour celles ou ceux qui réussissent au plus haut niveau, l’absence d’études reste un problème majeur dans l’optique d’une future reconversion. « Les sportifs qui font carrière se retrouvent souvent sans postes à la retraite. Pour les plus connus ou les plus chanceux, les clubs achètent leur image en leur donnant des rôles insignifiants dans l’organigramme » , explique Sylvestre Louis, qui ne s’explique pas l’absurdité de la situation : « Il faut vraiment arrêter de considérer le sport comme un truc qu’il faut mettre en bas du CV. Les sportifs professionnels développent sur le terrain des valeurs comme l’abnégation ou l’entraide qui ne s’apprennent pas sur les bancs de l’école. Ces compétences peuvent apporter une véritable valeur ajoutée aux entreprises traditionnelles, à condition de les former. » La démonstration de l’organisateur achevée, le mieux reste encore de se renseigner auprès des principales intéressées. Alors que se terminent les exercices de finition devant le but, la pause déjeuner est enfin sifflée.
« On est coincées dans l’ombre, alors que les américaines évoluent en pleine lumière »
Âgée de 20 ans, Barbara évolue en D1 à Saint-Étienne et se débrouille pour passer une licence à côté. « Pourquoi je suis venue ? Comme toutes les autres, pour vivre le rêve américain. Même si notre situation s’améliore en France, on reste en décalage, c’est difficile pour nous de vivre de notre passion. » Concrètement, Barbara n’a pas de salaire malgré son statut professionnel. Ses maigres revenus lui proviennent essentiellement des primes de matchs : une victoire lui rapporte ainsi 200 euros. « Mais en cas de défaite, on ne touche presque rien. Et le problème, c’est qu’il n’y a pas forcément quatre matchs par mois. » Un constat partagé dans ses grandes largeurs par Claire, qui évolue en D2 à Nantes Saint-Herblain : « À Nantes, on ne touche rien, seules les joueuses de D1 ont des primes de match, et encore, quand elles jouent dans les clubs du haut de tableau, souvent soutenus financièrement par les équipes masculines. » « À Juvisy, elles sont payées maintenant, je crois, mais nous c’est zéro » , confirme Charlotte, qui porte le même maillot, avant de résumer le sentiment général : « Si je reste en France, je privilégierai mes études, si je pars aux États-Unis, j’essaierai de percer dans le football. »
Le cas de Caroline, elle aussi âgée de 20 ans, est représentatif à bien des égards. Coéquipière de Barbara à l’ASSE, la jeune femme est actuellement en 2e année de BTS management. « En France, aucune joueuse n’est uniquement pro. On a toutes un métier ou des études à côté. En quelque sorte, on est coincées dans l’ombre, alors que les Américaines évoluent en pleine lumière. » Partagée entre les cours et les entraînements, ses journées chargées ne lui offrent aucun répit : « Je pars chaque matin à 8h à l’école avec mon sac de sport, et je reviens chez moi vers 21h. Il me reste alors 3h pour m’occuper de tout le reste, à savoir les études, les courses, les sorties, etc. Avec la fatigue qui s’accumule, c’est super compliqué de trouver un équilibre. » Si elle pense déjà à une reconversion dans le management sportif, Caroline serre les dents et refuse pour l’instant d’abandonner une passion qui lui est venue par « tradition familiale » . Néanmoins, même si elle a déjà eu des sélections nationales en U19, elle n’hésitera pas à privilégier les études au football quand elle ne pourra plus jongler entre les deux. Et Anaïs, la troisième représentante stéphanoise, de conclure à ce sujet d’une voix dépitée : « On est considérées comme professionnelles, mais on n’a pas la vie de sportives de haut niveau. »
Retour au terrain. Il est 15h et le match de sélection va bientôt commencer sous l’œil observateur des 16 coachs américains, sagement installés en rang d’oignons sur le banc de touche. « Je recherche une impact player pour nous aider à partir du printemps prochain » , avoue tout sourire Stephen Holeman, l’entraîneur de l’université de Géorgie, qui s’étonne de la question posée : « Non, nous ne les payons pas à proprement parler, mais nous leur offrons la scolarité, c’est-à-dire les frais d’inscription, la chambre, les repas et les bouquins. Dans mon université, ça coûte quand même 40 000 dollars l’année, ce n’est pas rien. » Alors que le coup d’envoi du match est donné, Mr Holeman accepte de partager ses premières impressions : « les Françaises ont une meilleure compréhension du jeu que les Américaines, qui sont plus athlétiques. Je pense que c’est parce qu’elles regardent du football très jeunes à la télé, ce que ne font malheureusement pas nos étudiantes, qui manquent de culture tactique. » ? Entre deux blagues sur Marinette Pichon, Mauricio Ingrassia, le coach de California State, nuance un peu l’analyse de son voisin : « Ici, le niveau est bon, particulièrement technique, mais les Américaines sont plus solides physiquement, car elles font de la compétition depuis leur plus jeune âge. Les Françaises sont moins impressionnantes, mais plus sophistiquées… même s’il y a des exceptions » , se reprend-il rapidement, en voyant Aurélie, la solide numéro 9 du TFC, mettre un énorme tampon à une adversaire.
« Dans sa tête, elle est déjà là-bas »
10 minutes ont passé et le score est toujours nul et vierge. « Pour l’instant c’est pas trop mal » , explique Hugo, journaliste à L’Équipe 21, tandis qu’il est en train de filmer : « Pour avoir déjà vu du football féminin hors équipe de France, c’est pas si lent que ça. Après techniquement, c’est pas incroyable, mais bon, c’est pas déplaisant à regarder. » Quelques mètres plus loin, un spectateur attentif, visiblement stressé, attire ma curiosité. « Je suis là, car ma fille joue à l’OL et rêve d’aller aux États-Unis » , explique Emmanuel Petite, qui s’avère être le dirigeant des jeunes féminines de l’Olympique lyonnais, le meilleur club français, deux fois champion d’Europe. « C’est la numéro 23, celle qui a le ballon. Je ne sais pas ce qu’elle a, mais pour l’instant, elle ne joue pas très bien » , explique le presque homonyme du champion du monde 98. Le regard fixé sur le jeu, il avoue d’une voix amicale les raisons de son anxiété : « Léna n’a pas le niveau pour jouer en D1 à Lyon, car elle a connu de graves blessures. Elle s’est pété les croisés à deux reprises et il lui a fallu faire beaucoup de sacrifices pour revenir. Le foot, elle adore ça. Cette sélection, c’est vraiment l’occasion pour elle de rebondir. » Quand on lui demande s’il n’est pas déçu du fait que sa fille veuille quitter le club qu’il entraîne, il répond sans ambages : « Non, ça ne m’énerve pas, j’ai envie qu’elle s’en sorte. Aux États-Unis, tout est mis en place pour l’épanouissement de la joueuse, tout est fait pour réussir. En France, le problème c’est que certains clubs comme l’OL ou Montpellier proposent de prendre en charge les études, mais après le lycée, il n’y a plus rien, soit tu deviens pro soit tu arrêtes. Or, à part à l’OL ou au PSG, tu ne peux pas vivre de ce métier. »
Alors que la brume s’épaissit et que le froid glace les os, les débats engagés sur le terrain sont désormais clos, après trois mi-temps intenses de 30 minutes. Occupés à se concerter, les entraîneurs américains vont maintenant convoquer les joueuses qu’ils ont remarquées pour un rapide entretien personnel, destiné à les convaincre de choisir leur université. Un coup d’œil rapide aux notes de Stephen Holeman révèlera qu’il a coché trois numéros, comme au tiercé : le 9, le 14 et le 6. Direction maintenant une salle privée, pour plus d’intimité. Parmi les courageuses candidates, beaucoup ne seront pas retenues, à leur grand regret. Le lendemain, 23 autres concurrentes prendront le relais, dans une journée minutée et chronométrée, entièrement tournée vers la productivité. Contacté hier au téléphone, Emmanuel Petite avait cependant une bonne nouvelle à annoncer : « Léna a finalement eu le droit à un entretien, elle a discuté avec 3 coachs d’université, une à New-York, une en Floride et une en Géorgie. Ils nous ont dit qu’ils étaient intéressés sans toutefois préciser encore s’ils prenaient vraiment en charge les études, ce qui sera pour nous un critère décisif. Mais bon, c’est vraiment super, Léna est très contente. Il lui faut maintenant préparer le TOEFL, c’est toute une organisation à mettre en œuvre, mais elle est prête à partir. Dans sa tête, elle est déjà là-bas. » Ému et soulagé, il se racle une dernière fois la gorge, avant d’ajouter dans un sourire : « Mais bon, avant tout ça, il faut qu’elle ait son bac ! »
Par Christophe Gleizes, à Clairefontaine