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Pourquoi je ne vais pas regarder France-Danemark
Il m’est paradoxalement davantage impossible aujourd’hui de regarder ce Mondial et la sélection nationale. Voilà mes raisons.
Je ne me prive pas de ces matchs de foot par égocentrisme, ou encore moins par snobisme intellectuel. De nombreux aspects de cette Coupe du monde peuvent paraître intéressants, du temps de jeu réel à ce qui se passe autour de l’équipe iranienne. Il n’en reste pas moins pour moi impensable, voire incongru, au regard de la triple catastrophe (droits humains, écologie, droits LGBT) que dissimule cet événement, d’en profiter. Je ne juge pas les 49% et quelques qui ne pourront résister à l’appel du consensus national ou de la passion du foot. Il faut toutefois l’indécence de Noël Le Graët pour célébrer après la victoire sur l’Australie « des bars pleins et des records d’audience. Preuve que l’équipe de France est au-dessus de tout et que les critiques sur le Qatar étaient excessives. » J’imagine bien au contraire que parmi le public, ils ou elles sont nombreux-ses pleinement averti-es que cette Coupe du monde n’a rien d’ordinaire, que cette joie est quelque part gâchée.
Une déception française
Justement, j’aime trop le foot pour m’imposer cette expérience pendant 90 minutes. La Coupe du monde a toujours été un moment paroxystique pour moi. De la première déception de Séville 1982, qui fonda mon amour des perdants magnifiques, y compris au-delà du football, au plaisir d’observer mes fils vivre la seconde étoile en 2018 dans mon bar kabyle préféré, au milieu des fumigènes et des drapeaux. Cela ne serait pas concevable, cette fois. Je ne peux pas séparer le footeux du citoyen simplement pour que le président de la FFF puisse rassurer les sponsors et que Gianni Infantino soit réélu sans vague à la tête de la FIFA. Ce Mondial doit rester la pire des Coupes du monde.
Il existe, enfin, une dimension presque patriotique dans mon choix. Les Bleus me déçoivent trop. La France me déçoit trop. La faiblesse voire l’absence de prise de position, même aussi symbolique soit-elle que de se prendre un carton jaune pour un brassard « One Love » (et je ne suis pas dupe de ce qu’il représente en matière de bonne conscience), me laisse un goût amer. Kylian Mbappé s’était exprimé concernant les bavures policières, Antoine Griezmann sur les Ouïghours, ils ne peuvent être au Qatar et ne rien dire, alors qu’ils ne risquent pas grand-chose, au contraire des Iraniens, par exemple. D’un autre côté, je suis halluciné de voir une ministre des Sports demander aux Bleus de s’engager davantage quand la République envoie son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin la représenter, en toute déférence protocolaire, à la cérémonie d’ouverture.
Je ne me sentirai pas un mauvais Français tout à l’heure, bien au contraire. Je ne culpabilise personne, je préfère plutôt soutenir les actions positives et festives alternatives (tournoi de foot mixte, diffusion de matchs historiques, soirées débat, etc.) référencées par le site Carton rouge, avec une pensée pour les supporters qui étaient à Bauer ce vendredi soir. Personnellement, je n’emploie jamais le terme de boycott, et je me retrouve moins dans la démarche d’éteindre des télés dans les bars. Mais je ne veux pas me trahir justement parce que je garde un peu au fond de moi, que Charles Péguy me pardonne le détournement, une mystique du foot. Finalement, un peu de critique éloigne du foot, beaucoup y ramène.
Par Nicolas Kssis-Martov