- Cérémonie du Ballon d'or 2014
- Billet d'humeur
Pourquoi il fallait donner le Ballon d’or 2014 à Arjen Robben
Ce lundi soir, à Zurich, le gratin du football remettra le Ballon d'or aux statistiques de Cristiano Ronaldo, à la gueule d'ange de Lionel Messi ou au palmarès de Manuel Neuer. Si certains déplorent l'absence de Luis Suárez, Toni Kroos ou Thomas Müller, le vrai scandale est ailleurs : c'est évidemment Arjen Robben qui aurait dû repartir avec le trophée sous le bras. Et ça se discute à peine, à condition de faire preuve d'un peu de mauvaise foi et d'un peu de goût.
Parce qu’il le méritait, tout simplement
Paraît que depuis 2010, le Ballon d’or est avant tout une histoire de chiffres. À ce titre, même s’il n’a pas à rougir, Arjen Robben fait figure de boulier face à la Casio fx92 Collège II de Lionel Messi et le tableur Excel de Cristiano Ronaldo. « Cette année, Cristiano a marqué beaucoup de buts, mais je suis argentin, je préfère Messi. Après, Robben a fait beaucoup de bonnes choses l’an passé. Si je devais choisir, je le donnerais à Robben » confiait ainsi l’Argentin Javier Pastore à l’heure des nominations. Neymar n’en pense pas moins : « Je ne sais pas si c’est juste ou pas. Pour moi, trois joueurs se sont détachés cette saison : Messi, Schweinsteiger et Robben. » C’est simple, depuis deux saisons, au moins, le Néerlandais est l’un des joueurs les plus excitants à suivre en Europe, et son influence dans le dispositif du Bayern Munich est indéniable. L’ancien gaucher de Chelsea et du Real Madrid, qui avait déjà offert la Ligue des champions à son club en 2013, a largement contribué par ses dribbles – enfin, par son crochet extérieur –, son activité, son coffre, ses buts, ses passes aux titres du Bayern en 2014 (Coupe d’Allemagne, Bundesliga). Parmi les dirigeants bavarois, d’ailleurs, Karl-Heinz Rummenigge, double Ballon d’or en 1980 et 81, a du mal à digérer la nouvelle : « Le fait qu’Arjen Robben ne soit pas dans le top 3 est une honte. C’est difficilement possible de jouer mieux que ce qu’il fait depuis un an et demi. » Une analyse partagée par son coéquipier, grand déçu du Ballon d’or 2013, Franck Ribéry : « Arjen a été incroyable cette saison en Bundesliga et sa Coupe du monde a été exceptionnelle. Mais je crains qu’il y ait encore beaucoup de politique. Est-ce que le Ballon d’or récompense encore le meilleur joueur ? Je ne pense pas. » Ribéry n’est pas rancunier : la saison dernière, Robben avait publiquement soutenu… Cristiano Ronaldo. Mais Ribéry a raison, 2014 est une saison particulière : c’est une année de Coupe du monde. Et ça tombe bien, l’ailier des Pays-Bas n’a jamais paru aussi fort que cet été en Amérique du Sud. À lui seul, à coups de sprints et de petits coups de rein, il démonte l’Espagne, championne du monde en titre et double championne d’Europe, d’un doublé, comme pour effacer son double échec en finale face à Casillas quatre ans auparavant. Avant d’emmener son équipe jusqu’à la troisième place de la compétition après une ultime baffe infligée au Brésil, lors de laquelle Robben offre un dernier récital avant de reprendre l’avion. Cristiano Ronaldo peut-il en dire autant ? Lionel Messi a-t-il été le moteur de son Argentine dans les matchs qui l’ont menée en finale ? Non, et non. Alors, qu’on se le dise avant de passer à autre chose : sans Robben, ce Mondial n’aurait pas été une telle fête.
Parce que ça aurait bien emmerdé tout le monde
Une fois l’un, une fois l’autre. Si ça continue comme ça, c’est toute une génération de footballeurs qui se verra confisquer le Ballon d’or par Lionel Messi et Cristiano Ronaldo qui, attention spoiler, ne s’arrêteront sans doute jamais de marquer soixante buts par an. Mais bon, c’est l’air du temps qui veut ça. L’époque est aux super-héros. Deux champions hors normes, aux statistiques folles, qui se reniflent comme chien et chat, engagés dans une course au palmarès collectif et aux récompenses individuelles : le scénario est haletant, les acteurs bien dans leur rôle respectif et le public cramponné à son siège. Pour saupoudrer le tout, le challenger 2014 s’appelle Manuel Neuer. Beau gosse, jamais un mot plus haut que l’autre, la référence ultime à son poste. Ç’aurait pu être un autre joueur du Bayern ou de l’Allemagne championne du monde, d’autres gentils comme Müller, Kroos, Schweinsteiger. Mais non, c’est leur gardien-cyborg qui est chargé de les représenter pour cette distinction. Sauf que Robben représentait autre chose, quelque chose de plus que les autres joueurs du Bayern, que les champions du monde allemands, que les abdos de CR7 et la belle histoire de Lionel Messi. S’il se repent de temps à autre, Arjen Robben reste ce joueur écorché, parfois incompris, dans une équipe de joueurs lisses, qui semble encore plus à l’aise dans une sélection faite de gros melons bien juteux. Le genre de joueurs, à la Luis Suárez, qu’on n’aime certainement pas trop voir en haut de l’affiche du côté de la FIFA : un joueur énervant dans son jeu – à quoi lui sert ce putain de pied droit ? –, et agaçant dans son comportement – jamais l’ennemi d’un petit plongeon si son équipe est en difficulté –. Une image de footballeur bouillant, arrogant, voire égoïste souvent mise à mal par les performances et l’efficacité du joueur… et surtout par ces quelques secondes d’étreinte avec son fils, en larmes, après l’élimination des Pays-Bas face à l’Argentine.
Parce qu’un jour, il faudra bien venger Sneijder
Il faudra bien qu’un jour, l’histoire du foot répare son erreur. Ses erreurs. Ses inepties. Ses non-sens. Pour tous les Buffon, Totti, Raúl, Henry, Giggs qui n’ont pas eu LEUR Ballon d’or. Et surtout, parce que quatre ans après le scandale de l’édition 2010, il faut envoyer un autre signal. Une saison où visiblement, il ne suffisait pas d’être espagnol, et donc champion du monde. Où il ne suffisait même pas d’avoir gagné, entre autres, la Serie A et la Ligue des champions, d’avoir fini meilleur buteur d’un Mondial où l’on était arrivé en finale. Du coup, c’était bien là, en janvier 2015, l’occasion pour Robben de rendre à Wesley Sneijder et aux Pays-Bas – eux qui en ont tant remportés, mais qui ne l’ont plus gagné depuis Van Basten en 1992 – ce Ballon d’or 2014 qu’il leur avait enlevé des mains en salopant ces caviars face au San Iker, le gardien espagnol. Et puis, au-delà de tout ça, un Ballon d’or pour Robben, c’était une sacrée victoire pour tous les crânes dégarnis trop jeunes de la planète. Des trentenaires qui auront encore moins de cheveux en janvier 2016…
Pourquoi il faut donner le Ballon d’or à :
Cristiano Ronaldo Lionel Messi Manuel Neuer
Pierre Maturana