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U19 : l'Italie de la tentation
Ces dernières années, bon nombre de jeunes prospects français ont décidé de mettre le cap sur l’Italie, avant même d’avoir décroché leur premier contrat professionnel. Pourquoi cet exode massif ? Explications.
Aylan Benyahia-Tani (Empoli), Issiaka Kamate (Inter), Clinton Nsiala (Milan), mais aussi Kévin Mercier (Bologne), pour ne citer qu’eux, car la liste est longue. Au total, pour cette saison 2023-2024, ce ne sont pas moins de vingt joueurs français (ajouter à cela quatre autres joueurs formés en France, mais qui ne jouent pas avec la nationalité française) à évoluer en Primavera-1, l’équivalent du championnat national U19. À titre de comparaison, ils étaient seulement quatre six ans auparavant. Si la grande majorité sort des centres de formation tricolores, d’autres joueurs passés sous les radars des mastodontes français sont parvenus à exploser en Italie. C’est le cas notamment d’Issiaka Kamate qui – à même pas 16 ans – a quitté Montfermeil pour rallier le club vice-champion d’Europe. Depuis, le bambino a explosé au sein de la Primavera intériste, en témoignent ses statistiques cette saison : 12 matchs joués, 7 buts, 2 passes décisives et surtout 2 convocations avec l’équipe première. L’herbe serait donc plus verte chez les voisins transalpins ?
Coup de foudre à l’italienne
À l’été 2019, après trois saisons passées au centre de formation, Steeve-Mike Eyango n’est pas conservé par les Girondins de Bordeaux. Mais alors que de nombreux clubs français sont intéressés pour le récupérer (Strasbourg, Brest, Caen), lui décide de mettre le cap vers l’Italie, plus précisément Gênes. « À ce moment-là, j’avais besoin de voir ailleurs. Quelques mois avant, j’avais fait une détection à Sassuolo et j’ai directement accroché à la vision du football en Italie. Quand je signe au Genoa, je ne suis encore qu’un simple U19, mais je suis tout de suite considéré comme un semi-professionnel », explique le regista. Une soif d’aventure donc, conjuguée à une philosophie italienne plus séduisante, telles seraient les raisons qui pousseraient nos jeunes prospects à rallier la Botte. C’est le coup de foudre pour Steeve-Mike qui juge le championnat de Primavera plus professionnalisant : « Il est ultra-compétitif, complètement différent de ce que j’ai connu à Bordeaux. Les matchs sont diffusés, les attentes sont grandes, j’avais l’impression de jouer dans un championnat professionnel. Tout y est décuplé : les entraînements, l’exigence, le professionnalisme. »
Un amour réciproque, puisque les clubs italiens sont eux aussi tombés sous le charme de nos talents tricolores. « En France, il y a tellement de talents que certains passent entre les radars ou sont lâchés par leur centre de formation, alors qu’ils ont d’énormes qualités », avance Francesco Palmieri. L’actuel responsable du centre de formation de Sassuolo – qui connaît très bien le sujet pour avoir fait venir Grégoire Defrel à Parme en 2009, alors que le Martiniquais évoluait à Châtillon – souligne lui aussi l’argument compétitif : « En Italie, même chez les plus jeunes, le résultat est primordial. L’objectif est d’avoir des profils capables d’atteindre rapidement le haut niveau. Et la France en regorge, c’est pour cela que les clubs italiens développent énormément leur réseau de recrutement là-bas. » À cet argument sportif se greffent également des raisons aussi économiques : s’attacher les services d’un jeune de 16-17 ans qui n’a pas encore de contrat pro reste moins coûteux pour les écuries italiennes que de le recruter après une saison pleine en Ligue 1 ou Ligue 2.
Un pari risqué
Le 9 juin dernier, Lecce remportait le championnat de Primavera avec un onze titulaire composé uniquement de joueurs étrangers, symbole de cet attrait exorbitant des clubs transalpins pour l’étranger. « Quand je suis arrivé au Genoa, j’étais choqué de voir autant de joueurs étrangers. En France, il serait impensable de voir même un seul joueur non français dans une équipe de U19 », constate Steeve-Mike Eyango, qui évolue désormais à Giugliano, en Serie C. « Si tu souhaites recruter un jeune Italien très talentueux, l’argent va forcément venir dans les discussions, des clubs même amateurs vont demander des sommes démesurées. En France, cet argument économique n’existe quasiment pas. C’est pour ça que c’est plus simple de recruter un jeune Français ou étranger, qu’un jeune joueur italien », insiste Palmieri. Pas pour rien donc que 188 joueurs étrangers évoluent cette saison dans le championnat de Primavera. Une politique globale du football italien tournée vers l’étranger, mais certains se veulent réfractaires, c’est notamment le cas de Monza. Avec seulement deux joueurs étrangers dans sa Primavera (dont un Français), le club lombard est le club le plus « italien » du championnat. « Notre club, des équipes les plus jeunes à l’équipe première, croit en ces talents italiens. Notre réseau de recrutement se concentre essentiellement sur l’Italie. Nous n’avons pas de réseau de recrutement en France », explique Alessandro Lupi, l’entraîneur de la Primavera, conscient de faire de Monza une exception.
Cependant, quitter l’Hexagone pour la Botte reste un pari très risqué. N’est pas Grégoire Defrel qui veut. En effet, les jeunes joueurs français se retrouvent face au même problème que leurs coéquipiers italiens : le manque de confiance accordée à la jeunesse au moment de pousser les portes du foot senior et professionnel. Eyango en est l’exemple parfait. Très vite performant avec la Primavera du Genoa, l’ancien Bordelais signe son premier contrat professionnel seulement quelques mois après son arrivée. Mais il attendra plus d’un an pour connaître ses débuts chez les grands : « Cette réticence à faire confiance aux jeunes, je l’ai clairement ressentie. J’étais frustré, je sentais que j’avais le niveau, mais ils préféraient miser sur des joueurs qui avaient de l’expérience, surtout lorsque tu joues dans une équipe qui lutte pour le maintien. » Pour Francesco Palmieri, c’est le fléau du football transalpin : « Nous n’avons pas de courage. En Italie, à 22-23 ans, ils sont encore considérés comme des jeunes joueurs. C’est même un problème sociétal. Pour être chef d’entreprise en Italie, il faut avoir 70 ans minimum, alors que dans les autres pays, beaucoup le sont à 30 ans. » Avant d’avoir un Mbappé, l’Italie doit donc avoir un Xavier Niel. La révolution passe par là.
La Roma de nouveau freinée à MonzaPar Tristan Pubert
Propos d'Eyango, Palmieri et Lupi recueillis par TP.