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« Pour moi, Bielsa est une véritable influence »

Propos recueillis par Javier Prieto-Santos
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Unai Emery est donc le nouvel entraîneur du PSG. Dans cette deuxième partie de l'entretien fleuve qu'il nous a accordé, le nouveau patron technique des Parisiens revient sur ses années à Valence, ses influences, comme Guardiola ou Bielsa et même des entraîneurs qui perdent leur temps à jouer au golf.

ndlr : Entretien paru dans le numéro 86 de SO FOOT.

Le grand public vous a découvert à Valence. Vous êtes arrivé dans ce club alors qu’il était en pleine crise institutionnelle et économique…Je savais que ça allait être difficile, mais pas autant. Paradoxalement, la crise a confirmé que Valence était un grand club avec des bases solides. Il y en a beaucoup qui se seraient écroulés dans pareille situation. À l’époque, le manque d’argent nous a obligés à acheter des joueurs jeunes et à vendre des stars comme David Villa ou Silva, mais c’était un challenge excitant pour moi. Je me souviens aussi que le premier jour où je suis arrivé ici, les journaux annonçaient que Luis Aragonés allait être entraîneur du FC Valence. Je n’avais pas encore dirigé un seul entraînement qu’on me foutait déjà dehors, tu te rends compte ?

Comment avez-vous réagi ?Tranquillement. J’ai appelé Villalonga (l’ancien président intérimaire) tout de suite et je lui ai dit que je voulais le voir. J’ai attendu 6 heures pour lui parler. Quand, finalement, il m’a reçu, j’ai été direct : « C’est moi l’entraîneur du FC Valence, OUI ou NON ? » Je savais que l’arrivée d’Aragonés n’était pas qu’une simple rumeur, mais je venais juste de signer deux ans de contrat avec Valence… Je me voyais mal affronter des joueurs sans être confirmé à mon poste. Au bout d’un quart d’heure, Villalonga m’a dit : « Je vais t’embrasser fort pour te prouver que c’est toi que je veux comme entraîneur. » On l’a fait à l’ancienne. Ce geste affectueux valait plus que tous les contrats du monde.

Ça vous a renforcé, cet épisode ?Oui. J’ai eu trois présidents et quatre directeurs sportifs différents depuis que je suis ici, mais j’ai toujours travaillé de la même manière. Pour moi, le vestiaire, c’était comme un refuge. (Il se lève et fait des grands gestes) « Unai, il y a quelqu’un là-bas qui dit que tu vas te faire virer ! » Je m’en fous, je continue à travailler. « Unai, il y a des problèmes, c’est la crise ! » Je m’en fous, je continue à travailler. J’ai tracé ma route sans faire attention à tout ce qui se disait. Tu connais Sancho Panza, le gros qui accompagnait Don Quichotte sur son âne ?

Oui…(Il prend un ton révérencieux et récite théâtralement) « Don Quichotte, les chiens sont à nos trousses et ils aboient ! » , « N’y fais pas attention Sancho Panza ! Ne te retourne pas, fixe l’horizon et cavalons ensemble ! » À Valence, j’ai fait la même chose que le Don Quichotte de Cervantes : j’ai tracé ma route sans me retourner.

À l’époque, est-ce que vous vous êtes servi de la crise économique du club pour motiver vos joueurs ?En attendant l’embellie économique, on a fait ce qu’on pouvait pour tenir bon. On devait vendre des joueurs ? On l’a fait ! Il fallait acheter des jeunes joueurs pas chers et les rendre meilleurs pour ensuite faire des plus-values dessus ? On l’a fait aussi ! Il fallait se qualifier pour la Ligue des champions pour faire rentrer de l’argent dans les caisses ? Ok, pas de problème, on l’a fait aussi ! (Il sourit)

Pendant les causeries ou les séances vidéo, quand un joueur est au fond de la classe, il ne fait rien. Je suis bien placé pour le savoir, j’y ai passé toute ma scolarité. Ça me permettait de regarder les filles. Ici, il n’y a pas de filles à reluquer, donc je ne vois pas l’intérêt des joueurs à se mettre au fond de la salle, d’autant qu’on entend moins bien…

Vous pensez qu’on peut entraîner un grand club comme on entraîne des clubs comme Lorca ou Almería ?Avec un grand club, tu as plus d’obligations, mais le travail reste le même. Je ne me prends pas la tête. Quand j’étais à Lorca, on a dû gagner énormément de points pour monter en Segunda A. je l’ai fait. À Almería, j’ai dû gagner beaucoup de matchs pour monter en première division. Je l’ai fait. À Valence, on m’a dit de gagner beaucoup de matchs pour rentrer en zone Ligue des champions. C’est aussi ce qui a été fait. Je fais la distinction entre la pression et l’autoexigence. « Il faut gagner » , c’est très différent de « Je veux gagner » . (Il s’emballe) Actif, proactif, bam, bam ! L’autoexigence, c’est de la conviction. On n’a pas besoin de me dire qu’il faut gagner. Je suis au courant hein !

Le joueur comprend la différence entre la pression et l’autoexigence ?Il faut lui inculquer. Dans cette salle, il y a généralement 25 joueurs assis qui écoutent leur entraîneur. Ceux qui veulent se cacher ou qui ont peur se mettent toujours au fond. Quand je vois qu’ils sont mous, je les fais venir au premier rang. Je veux qu’ils participent et qu’ils me donnent leurs opinions. Quand tu es au fond de la classe, tu ne fais rien. Je suis bien placé pour le savoir, parce que j’y ai passé toute ma scolarité : ça me permettait de regarder les filles. Ici, il n’y a pas de filles à reluquer donc je ne vois pas l’intérêt qu’ils ont à se mettre au fond, d’autant qu’on entend moins bien… Le football, c’est une sélection naturelle perpétuelle. Constante. Implacable. Les pros qui n’ont pas compris ça finissent par être démasqués rapidement.

Ça peut aussi être symptomatique d’autres problèmes, non ?Ceux qui ne participent pas aux matchs ont mal à leur ego. Ils sont honteux. Les footballeurs ont l’impression d’exister uniquement quand ils sont dans la lumière. Aux yeux des gens, ils n’existent qu’à travers leurs performances, alors quand ils ne jouent pas, c’est dramatique. Bizarrement, l’ego a tendance à souffrir seulement lorsque l’équipe marche bien… Mais ça ne marche pas dans l’autre sens. Quand un joueur n’a pas participé à la défaite, il est tout de suite moins déprimé. Il se sent libéré, mais moi, j’appelle ça de la lâcheté. Quand je donne un coup de pied à un joueur, j’ai envie que tout le groupe disent : « Aïe ! » Les victoires et les défaites sont collectives. C’est pour ça que je fais autant de turn-over. J’ai envie que tout le monde se sente concerné.

C’est quoi un bon entraîneur pour vous ?C’est celui qui arrive à optimiser au mieux le rendement des joueurs qu’il a à disposition. Un bon entraîneur doit être une machine à créer de la confiance. Quand je vois un de mes joueurs qui marche la tête basse, je vais le voir direct : « Hé toi, qu’est-ce que tu fous là ? » Je le prends par les cheveux et je le redresse : « C’est comme ça qu’il faut se tenir ! » Je suis un optimiste. (Il s’emballe) Actif, proactif ! Tu comprends ? Quand un joueur baisse la tête, je lui colle une baffe : « Bam ! » Je veux des joueurs fiers, pas des victimes.

L’innovation, c’est pour les vaillants. Quand ça marche, on dit de toi que tu es un philosophe, mais quand ça ne fonctionne pas, tu peux très vite passer pour un fou.

Quel est selon vous l’entraîneur qui arrive à avoir le meilleur rendement avec ses joueurs ?Le numéro un dans ce domaine, c’est Guardiola. Et puis il y a aussi Mourinho, mais il m’a un tout petit peu déçu, parce que j’ai parfois l’impression qu’il prêche des choses qu’on ne voit pas sur le terrain. Avec Porto, par exemple, il avait fait un travail extraordinaire. Le pressing que ses joueurs effectuaient à cette époque était merveilleux. Là, ils défendaient en avançant, alors qu’à l’Inter, son bloc était exclusivement défensif. De toute façon, ce qui est intéressant avec Mourinho, ce n’est pas ce qu’on voit sur le terrain, mais plutôt la partie immergée de l’iceberg. J’aimais bien l’idée qu’il avait de mettre des vidéos de ses rivaux dans les couloirs du centre d’entraînement. Je trouve ça génial de motiver les joueurs comme ça. Aujourd’hui, il fait beaucoup moins de choses comme ça. Quand il affirme qu’il fait tout ce qu’il dit, c’est faux.

Qu’est-ce qui vous séduit au contraire chez Guardiola ?Tout. Quand j’entraînais Almería, j’ai pu affronter le Barça de Rijkaard, une très bonne équipe, mais le Barça de Guardiola, c’était fort. Très fort. Il l’a sublimé. (Il crie avec l’index pointé vers le ciel) Guardiola a donné l’excellence à Barcelone ! Il y a beaucoup d’entraîneurs qui se reposent sur le talent individuel de leurs joueurs, mais quand tu affrontes une équipe de Guardiola, tu vois que tout est très élaboré. Ok, il avait des supers joueurs comme Messi, Xavi et Iniesta, mais si le Barça est une référence aujourd’hui, c’est grâce à la minutie de Guardiola. Tactiquement et stratégiquement, le Barça de Guardiola était impressionnant.

Comme Guardiola, vous aimez regarder les divisions inférieures. Qu’est-ce qu’il y dans ces catégories qu’il n’y a pas dans l’élite ?En deuxième et troisième divisions, on travaille plus la stratégie. Comme le niveau est plus homogène, le seul moyen de faire la différence, ce sont les coups de pied arrêtés. Miguel Álvarez (ancien entraîneur de L’Hospitalet, club de National espagnol, ndlr) est l’un des meilleurs stratèges d’Espagne pour ça. Pour voir de la nouveauté, il faut s’intéresser aux divisions inférieures. En première division, les entraîneurs sont plus conservateurs, ils se contentent juste de mettre en place des concepts qui ont fait leurs preuves, un peu comme s’ils avaient peur du changement. L’innovation, c’est pour les vaillants. Quand ça marche, on dit de toi que tu es un philosophe, mais quand ça ne fonctionne pas, tu peux très vite passer pour un fou.

Est-ce que vous êtes un fou, un philosophe ou un fan de Sacchi ?Sacchi, je ne me suis jamais vraiment intéressé à ce qu’il faisait. Je sais que son 4-4-2 était révolutionnaire, que le pressing de son bloc équipe était exemplaire et qu’il y avait beaucoup de coordination en défense, mais c’est tout. On retrouve tout ça chez Benítez. Dans le football, il y a deux manières de défendre. Tu peux défendre pour ne pas encaisser de buts, et tu peux défendre pour attaquer. Moi, je pense qu’on peut surprendre l’adversaire non seulement dans les phases offensives, mais aussi dans les phases défensives. Bien défendre, ce n’est pas être défensif, c’est être très bien organisé. Moi, je veux défendre pour attaquer. Je veux que mes joueurs volent le ballon le plus rapidement possible. Bielsa pour moi, c’est une véritable influence. C’est quelqu’un dont je me sens plus proche que Sacchi sans doute parce qu’il est plus contemporain.

Il est possédé, Bielsa, non ?J’ai pris un café avec lui une fois. Tu sens qu’il réfléchit tout le temps. Lui, pour le coup, c’est un philosophe.

Beaucoup d’entraîneurs vont jouer au golf pour améliorer leur swing. Bah, c’est mauvais. Un entraîneur qui joue bien au golf, ça veut dire qu’il ne travaille pas beaucoup. Ça prend une éternité pour être bon sur un green. Ce n’est pas sérieux. Moi, le jour où je jouerai au golf, je ne servirai plus pour ce métier.

C’est ce à quoi vous aspirez ?Non, je ne veux pas en être un. Je n’ai pas envie de passer pour un prétentieux. Après, si les gens veulent me coller cette étiquette, il n’y a pas de problème ! (rires) Tout le monde parle de foot, mais le problème, c’est que la majorité n’y connaît rien. Ceux qui écrivent sur le football, par exemple… Bah, qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Ils sont mauvais. Ils te parlent de systèmes, de stratégie, mais qu’est-ce qu’ils y connaissent au final ? Rien. Ici, on mélange la philosophie avec le système de jeu.

Qu’est-ce qui est le plus important ?Quelle question !!! La philosophie de jeu, bien sûr ! On me critique parce que je change de système souvent : « Ouais, mais Unai, tu n’as pas vraiment d’idées précises… » Conneries ! C’est très clair dans ma tête ! Ma philosophie n’est pas dure à comprendre : je défends pour attaquer. Le système est ce qui te permet de mettre en pratique la théorie. Après, j’ai plus de 20 joueurs à mon service, et des centaines de combinaison possibles. Pourquoi je m’en priverais ?

On a l’impression que vous êtes plus dans la recherche de verticalité que dans la possession. Ça aussi, ça fait partie de votre philosophie de jeu ?Mes équipes peuvent avoir la possession de balle pendant deux minutes, ou faire une attaque en dix secondes. Peu importe le temps que tu mets, l’important reste la finalité. Si je peux placer une attaque sans passer par des phases de possession de balle pendant un quart d’heure, bah allons-y ! L’Espagne et le Barça aiment la possession de balle, mais s’ils voient qu’ils peuvent en planter un rapidement, ils ne vont pas se gêner. Un bon système, c’est une organisation qui t’offre plusieurs possibilités dans un match. Dans un match, tu ne peux pas passer ton temps uniquement à défendre ou à attaquer. C’est du suicide. Le système, c’est le compromis qui te permet d’appliquer la philosophie. Moi, je veux attaquer, mais il m’arrive parfois de mettre un double pivot pour surveiller mes arrières… C’est impossible de mettre tous ses œufs dans le même panier. Mon système est toujours du 70% / 30%. 70% du système est pensé par rapport aux qualités des joueurs que je vais titulariser. Et les 30% restants, c’est pour m’adapter au mieux aux caractéristiques de l’adversaire. Cette proportion-là reste toujours la même. Après, ce sont les joueurs qui changent.

Vous adorez les stats et les séances vidéo. Qu’est-ce que ça vous apporte concrètement ?Dans les matchs, il se passe tellement de trucs que je passe à coté de beaucoup de choses, même si je suis très attentif. Ce qui est bien avec la vidéo, c’est que tu peux voir ce que l’œil ne voit pas. Quand on marque un but par exemple, j’ai vu les mouvements du passeur et du buteur. Ok, mais pourquoi ce mouvement qu’on a répété mille fois à l’entraînement a marché aujourd’hui et pas le week-end dernier ? Ce qui m’intéresse dans ce cas précis, c’est de voir les mouvements et le placement des joueurs qui n’ont pas participé à l’action, mais qu’ils l’ont, d’une manière ou d’une autre, influencée. Revoir les buts que mon équipe a marqués, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse beaucoup plus, ce sont les à-côtés.

Combien de…(Il coupe) J’ai oublié de te dire un truc.

Quoi ?Il y a beaucoup d’entraîneurs qui vont jouer au golf pour améliorer leur swing.

Et alors ?Bah, c’est mauvais. Un entraîneur qui joue bien au golf, ça veut dire qu’il ne travaille pas beaucoup. Tu sais combien de temps il faut pour être bon sur un green ? Une éternité ! Ce n’est pas sérieux, c’est tout. Moi, le jour où je jouerai au golf, je ne servirai plus pour ce métier.

Est-ce que, selon vous, il est possible de dominer sans avoir la possession ?La domination, c’est bien, mais le contrôle, c’est mieux. On peut dominer un match et le perdre, mais c’est très difficile de le perdre si tu le contrôles. Il y a des joueurs et des équipes qui sont plus à l’aise sans le ballon. Qu’est-ce qu’il y a de choquant là-dedans ? Rien.

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Propos recueillis par Javier Prieto-Santos

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